Une actualité chasse l’autre, mais n’oublions pas trop vite que nous venons peut-être d’assister à l’événement le plus comique de la décade:
Au nom de la souveraineté populaire et nationale, il a été question pendant quelques jours d’organiser un référendum en Grèce, de consulter son peuple, et voilà ce qu’on s’apprêtait à lui demander, au souverain:
On doit 200 milliards. Acceptez-vous que nos créanciers nous fassent cadeau de la moitié de cette somme? Dans ce cas, votez oui.
Si au contraire vous pensez qu’au nom de notre droit à disposer de nous-mêmes, et parce que les marchés financiers n’ont ni police ni canons, on devrait carrément voler les 200 milliards, votez non.
S’il y avait des gens qui ne savaient pas encore que la souveraineté nationale et la primauté du politique sur le droit et la finance, on appelle ça en bon français de la prédation, maintenant, ils n’ont aucune excuse.
La question me semble plus épineuse que ça.
D’abord parce que, s’il est certain qu’il était gonflé, de la part de Papandréou, d’organiser un référendum maintenant, c’est une impardonnable erreur, de la part de la Troïka, de ne pas avoir conditionné dès le début la mise en œuvre du plan de sauvetage à sa ratification par référendum (bon, le mieux aurait sans doute été de laisser la Grèce pourrir dans son marasme, ça aurait constitué un excellent exemple pour les autres Etats et pour leurs créanciers potentiels). C’est un peu comme si on avait négocié un contrat avec un chef d’entreprise alors que son personnel menace de faire grève ou que son conseil d’administration ne le soutient pas. C’est du travail d’amateur. Un particulier pourrait être condamné pour moins de ça.
Ensuite, parce qu’il est reconnu, de manière tout à fait officielle, que la responsabilité des Etats est limitée, puisque leurs biens situés sur leurs territoires sont insaisissables, de sorte qu’ils peuvent répudier leurs dettes quasi à leur gré et ne sont responsables que sur les fonds détenus à l’étranger. Là encore, c’est comme si on négociait un prêt avec une SARL en omettant de prendre en considération que sa responsabilité est limitée et qu’elle n’a que 100€ de fonds propres. En face de débiteurs ayant une responsabilité limitée, c’est aux créanciers d’être prudents. Il se trouve qu’en l’espèce, ils l’ont très peu été.
Or, il se trouve que les créanciers des Etats ont une légitimité très faible pour être protégés. D’abord, parce que les fonds qu’ils prêtent à l’Etat, au lieu d’être investis dans des affaires raisonnablement productrices de richesses, sont utilisés pour des projets peu ou pas productifs, voire carrément économiquement destructeurs. Ensuite parce que les intérêts de leurs prêts sont financés, non par la rentabilité des projets dans lesquels les capitaux sont investis, mais par d’autres individus, les contribuables, qui n’avaient rien demandé mais qui subissent la contrainte de l’Etat.
Les créanciers de l’Etat sont donc les complices de celui-ci dans son entreprise de gaspillage des fonds et de spoliation des contribuables. Entre les contribuables et les créanciers de l’Etat, s’il faut choisir quelqu’un à sacrifier, il pourrait ainsi être largement préférable de choisir ces derniers.
(Je précise que je ne suis pas entièrement convaincu par ce que j’écris.)
J’entends bien ce que vous dites, et je suis en grande partie d’accord avec vous.
Vous dites deux choses, dans le fond: les créanciers de la Grèce ont très mal géré cette affaire, et les grecs ne seraient pas forcément dans l’illégalité, s’ils plantaient tout le monde.
Seulement, ce n’est pas ce discours-là, qu’ont tenu les souverainistes.
Ils n’ont pas dit « c’est tout a fait immoral d’organiser un référendum, mais les créanciers n’ont qu’a s’en prendre à eux même, et si les grecs ont la légalité pour eux, on ne peut rien y faire ».
Non, ils ont dit que c’était moral, d’organiser un référendum. Et ça change tout.
Dans un conflit financier, si quelqu’un de malhonnête est juridiquement en position de force (ex: on lui a prêté de l’argent sans lui faire signer de reconnaissance de dette), alors le devoir des gens de bonne volonté, c’est d’organiser une conciliation, et lui faire reconnaitre qu’il doit de l’argent, quitte à prendre en compte qu’il est en position de force (c’est ce que Sarkozy et Merkel ont fait… 100 milliards de remise de dette, tout de même).
Maintenant, si vous exploiter le fait que le mauvais payeur est en position de force pour en faire une victime, qu’il ne doit surtout rien payer, si vous êtes ce genre d’avocat-là, vous êtes un avocat véreux.
Et ce que cette affaire nous apprend, c’est que les souverainistes sont des véreux.
J’ajoute une chose:
les partisans du réferendum nous ont dit « les grecs vont se prendre 20 ans d’austérité, c’est normal qu’ils refusent, mettez-vous à leur place ».
C’est un argument fallacieux. Si les Grecs se tapent deux ou trois ans d’austérité et qu’on les voit changer en profondeur,qu’on voit jaillir chez eux de nouvelles sources de richesse, il est évident que la donne va changer, que de nouveaux prêteurs se présenteront, que la dette sera assouplie.
L’Allemagne post-nazie n’a jamais payé les dommages de guerre imposés par les alliés… Parce qu’il était évident pour eux que l’Allemagne ayant radicalement changée, il fallait mieux pour tout le monde passer à autre chose.
« […] Si les Grecs se tapent deux ou trois ans d’austérité et qu’on les voit changer en profondeur,qu’on voit jaillir chez eux de nouvelles sources de richesse, il est évident que la donne va changer[…] »
C’est déjà bien rigolo, mais c’est encore plus marrant si on change « Si les grecs » par « Si les punks à chien ».