Philippe Muray, catholique à sens unique

Soyons honnête, l’ouvrage de Maxence Caron « Philippe Muray, la femme et Dieu » est absolument brillant. Évitant les écueils sur lesquels tout ouvrage prématuré dédié à Muray risque d’échouer (paraphrases inutiles, éloges tristes, thèses stériles et haines laborieuses), le livre de Caron contredit également les hypothèses que j’avais avancées pour expliquer ce en quoi Muray ne pouvait être considéré comme un romancier, ou plutôt, il les retourne pour démontrer l’évidence qui se trouvait devant moi sans que jamais je ne puisse la saisir, telle la lettre volée de Poe.

Le pari était celui-ci : non pas trouver ce pourquoi ou en quoi Muray se trompe, et par là risquer de poser un doute sur l’ensemble de l’oeuvre de Muray, mais prouver ce par quoi Muray se limite qui est aussi ce par quoi Muray s’explique entièrement. J’avais avancé l’idée que Muray était allergique par nature à la modernité, ce qui expliquait une forme de manque d’empathie (cette formule limitée est on le verra révélatrice) envers le monde moderne, et donc par là, au fond, le caractère paradoxalement et intuitivement incomplet de celui-ci décrit par Muray. L’échec de l’oeuvre romanesque de Muray étant la clé de voûte de cette problématique.  Maxence Caron met le doigt sur la plaie : Muray était moderne. Il l’a été dans ses débuts avant-gardistes (proximité avec Sollers, avec les courants hyper-intellectualisés des années 70) et dans ce qu’il a gardé de l' »esprit » de cette époque, une espèce de vision donjuanesque, libertaire, jouisseuse de la vie, sous diverses formes mais essentiellement celle de l’art et de la sexualité. L’explication de Caron consiste à établir de le fait que Muray usait de la théologie catholique uniquement comme moyen littéraire et que, conséquence directe,  sa sexualité comme sa vision de l’ art avaient quelque chose s’apparentant au nihilisme, extrêmement proches de celles d’une secte païenne, c’est à dire comme des choses pouvant supporter par elles-mêmes l’absence de Dieu. Caron utilise pour cela des parallèles limpides avec le film « La voie Lactée » de Bunuel, admiré par Muray, qui contient presque totalement dans ses transpositions l’espèce de « limite » murayenne, de la messe orgiaque primitive des débuts de la chrétienté et de ses premières sectes à la phrase de fin du Christ, « Je suis venu vous apporter un glaive » qui, déclamée hors contexte, les autres phrases du Christ notamment sur l’amour et le pardon, perd de son ambiguïté pour laisser entendre qu’en effet le catholicisme peut se concevoir comme une arme intellectuelle, une arme parfaitement efficace et prometteuse dont les arts et les artistes ont pu faire usage avec le brio que l’on sait, mais qui met de côté le caractère total de la foi, l’altérité se concevant de ce mouvement double, séparation puis compassion, c’est à dire retour vers Dieu. La sexualité et l’art selon Muray n’ayant au final pour unique but, dans ce premier mouvement diviseur, qu’eux-mêmes, ressemblant beaucoup trop à la réduction du sujet désiré à ses organes pour -malgré d’enchanteresses  circonvolutions érotiques- se différencier de l’indifférenciation dont Muray ne cesse de répéter avec raison qu’elle est la substance de la post-histoire. Si l’érotisme c’est la séparation, que dire d’une séparation se limitant à la jouissance de l’autre conçu presque qu’uniquement comme autre sexe ? Que dire de l’art dont le sujet n’est finalement que secondaire face à l’oeuvre ?

Caron étudie d’une manière extrêmement intelligente et précise « Minimum Respect » qui, en dehors de son magnifique prologue et du côté fun de certains de ses poèmes, donnait l’impression d’une chose bâclée, usée, voire pénible dont le lecteur de Muray fait peu de cas, comme embarrassé. En fait, les poèmes étudiés, « Ce que me dit ton cul »  et « Mémoires », démontrent que si l’arme catholique de l’intelligence discriminante et anti-lyrique (la séparation à coups de glaive, c’est à dire la clairvoyance de la volonté de fusion des croyances païennes) fonctionne à merveille, notamment grâce à l’humour, la foi de Muray (foi comme appel vers Dieu) est elle par contre extrêmement pauvre et même absente, et donc le sexe devient mécaniquement une échappatoire, en réalité une voie sans issue. Se faisant, l’anti-lyrisme murayen se fait lyrisme de la sexualité et mène à un mur. Cependant, avec une lecture attentive, ces poèmes laissent apparaitre une certaine tristesse, une forme de nostalgie, comme s’il n’était pas dupe d’un manque qui ne se réduit pas à la joyeuse bagatelle libertaire. Cet aveu se saisit dans les derniers vers : le cul véritable dont Muray fait l’éloge appartient bien à une femme réelle, et que celle-ci, vue comme être, peut se révéler médiatrice de cet au-delà du cul, c’est à dire dans l’amour pour une personne réelle. Ainsi Muray réintègre in extremis dans son œuvre, comme en conclusion discrète, cette « empathie » toute humaine (« Essence » dit Caron évidemment plus justement) dont j’ai parlé et qui faisait défaut au Muray romancier, c’est à dire au Muray véritablement croyant, bien que Muray se limite là encore au simple constat d’un amour indispensable à la sexualité et ne peut qu’avouer son incapacité à toute renaissance supérieure, véritablement spirituelle. Au moins cela aura été dit, et l’usage du « nous » dans ces dernière lignes signent également l’appartenance de Muray à ce monde libertaire, Muray dont l’oeuvre peut alors se voir comme la « lutte du père contre le fils que la modernité lui a fait dans le dos »  (écrit Caron), c’est à dire le monde de Festivus.

Bien entendu on ne saurait rendre coupable Muray des conséquences de sa génération, mais au moins saisit-on ce dont il n’aura réussit à se défaire et qui constitue le bruit de fond de ses livres, ainsi les titres de « Moderne contre Moderne » ou « Exorcismes spirituels » empruntent une toute autre perspective que celle que donne Muray en première lecture, et Caron en vient à poser l’idée qu’au-delà de ces enchaînements de modernités coupables, la critique que fait Muray réintroduit encore l’absence de l’essence divine, par la façon dont Muray érige cette critique comme une autre fin en soi. Brillant, vous disais-je.

Bref on touche là à exactement, je pense, ce que tout bon lecteur assidu de Muray ressentait : la force d’un intellectualisme de combat jouissif en même temps qu’ une forme de nihilisme dans une approche sexuelle trop ressemblante à un paradis perdu pour être honnête, mais que le génie artistique arrive à  maquiller en… subversion. L’erreur de Muray étant de vouloir absolument former un ensemble autonome où finalement l’absence de Dieu n’est plus douloureuse,  péché originel de tout moderne (c’est ce que je ressentais avec la formule « différenciation, piège à con »).

Un lecteur assidu rétorquera d’emblée « Mais le rire tout de même ! ». En effet, le rire, utilisé et décrit chez Muray presque autant sinon plus que l’érotisme, semble pouvoir être assimilé à une forme de la foi, du moins d’un quelque chose de l’ordre de l’approche sensible du divin. Oui et non, et Caron ne néglige pas cette approche : si le rire permet en effet de restituer le ridicule de l’homme, dans une vision « descendante » – se placer aux côtés de Dieu, dès la Chute, il ne permet pas le mouvement inverse, ascendant, d’où l’homme appelle ce Dieu qui lui manque, cet ascenseur étant l’amour, donc la foi véritable. On peut considérer que si l’œuvre de Muray est totale dans cette vision descendante, elle ne pouvait l’être qu’au prix d’un volontaire oubli de ce double du rire. Certes, l’amour a été galvaudé par l’époque, même s’il n’est pas question pour elle d’un amour pour Dieu, mais le terrain est miné. On me dira qu’il en est de même du rire- qui n’est évidemment pas le rire-dont-on-parle. Tout cela est recevable, mais c’est à mon avis la force de ce livre, des perspectives  de champs critiques et créatifs s’ouvrent.


Site de Maxence Caron

 

10 réflexions sur « Philippe Muray, catholique à sens unique »

  1. oxymore1202

    Fini le livre cette après midi.

    Déja une question : Caron parle d’une utilisation positiviste du catholicisme qu’en fait Muray. Je ne mesure pas bien la portée de ces deux mots accolés. S’agit il simplement du catholicisme utilisé comme démonologie (comme instrument critique) ou bien d’autre chose ?

    Si le livre m’a semblé toucher juste aussi, je reste étonné que Muray soit passé à coté. C’est tout bête comme sentiment, hein, croire le maitre infaillible. Ma première réaction a été de me dire « lui qui s’était même fendu d’un article sur les danseuses pour répondre à la croyance célinienne, et hop, rattrapé par ses points d’aveuglement. » Après, n’étant pas croyant, si je peux saisir ce dont parle Caron à propos de vivre dans le dogme, je saisis mal ce que Muray aurait pu y faire. Ca semble quand même autre chose qu’une simple affaire d’empathie !

    Un autre point, lié à ce que développe Caron qui reste un point d’énigme chez Muray est pour moi le rapport à la paternité. Je sais qu’il le justifie en disant qu’on doit choisir, l’oeuvre ou les enfants. Mais, sans pouvoir dire pourquoi, ca ne me convainc pas.

    Enfin, la perspective évoquée par Caron sur l’axe immanentiste est très intéressante. Un familier de ses oeuvres pourrait me conseiller un ouvrage où il développe le sujet ?

    1. Il Sorpasso Auteur de l’article

      -positivisme comme « système intellectuel » ou « système social » ou « structure socio-religieuse » donc démonologie également, bref tout ce qu’on veut sauf rapport « intime » à Dieu (vision ascendante)

      -Muray n’est pas passé à côté, mais je pense qu’il faut regarder vers la vie privée, ou la trajectoire de Muray, de plus concevoir ce rapport ascendant à Dieu aurait modifié l’oeuvre de Muray, il a conçu je pense originellement son oeuvre (et sa vie) par ce biais..peut-être que Muray n’arrivait tout simplement pas à produire quelque chose de cette façon ascendante, « dans le dogme », ou que ça ne l’intéressait pas, lorsqu’on possède une « arme » intellectuelle, qui fonctionne admirablement, qui permet une oeuvre, on ne cherche peut-être pas à la modifier, mais qui sait, il est mort tôt tout de même. L’empathie est un terme galvaudé, je vous l’accorde, remplacez par compassion, pour rester dans le domaine catholique. Ce qu’il aurait pu y faire ? Et bien écrire des romans avec de véritables personnages, par exemple, pas des avatars de son intellectualisme. Ce qui frappe, c’est à quel point ils sont inoffensifs, au fond. Ce qui est terriblement ironique-à son insu-mais qui rentre dans l’analyse de caron.

      -pour la paternité, je ne suis pas convaincu non plus, il n’y a pas vraiment d’arguments (contingence ? responsabilités ? vie de couple modifiée ? rôle symbolique empiétant sur le domaine artistique ? croyance imposée de fait en l’avenir ?), peut-être à rapprocher de sa volonté de totalité autonome

      Je ne pourrais vous conseiller un autre ouvrage, c’est le seul que j’ai lu, mais je viens de commander celui sur Hegel « Etre et identité » qui devrait toucher ce sujet.

      1. XP

        En fait, tu dis qu’il n’a pas pû être romancier parce qu’il intellectualisais trop, et qu’il n’a pas su créer des personnages.

        Moi je dirais qu’il a été un grand romancier, sauf dans ses romans.

        Ses chroniques sont pleins de personnages, de créations fictives, finalement. Et le levain de l’oeuvre n’est pas cérebral, mais artistique. C’est l’humour, la mauvaise foi, la furieuse envie d’en raconter une bonne a ses lecteurs et d’imaginer leurs réactions, de faire le show…

        Festivus à Roulettes, c’est un personnage de fiction. Non pas qu’il n’existe pas, évidemment, mais sous la plume de Muray, ca devient « son » personnage.

        Bref, des personnages incarnés et des histoires, il y en a des centaines, dans Muray, d’après moi… C’est sa sensibilité artistique et sa propention naturelle a raconter des histoires, qui lui ont permis d’intellectualiser, et non l’inverse.

        Je suis sûr qu’il a décidé d’écrire « On Ferme » parce que lorsqu’il publiait sur Internet ou dans des revues papiers confidentielles ses articles qui ont donné ensuite « Après l’Histoire » et les « Exorcismes », on devait lui dire, « quand-est-ce que tu écris un nouveau livre » ou Pourquoi tu n’en ferais pas un Roman ».
        Il aurait dû envoyer chier en leur disant « j’ai écrit des dizaines de Romans, je n’écris plus que ça ».

        Mais enfin, on ne peut pas se facher avec tout le monde…

        1. Il Sorpasso Auteur de l’article

          « Moi je dirais qu’il a été un grand romancier, sauf dans ses romans.  »

          Oui, oui on se comprend ^^
          Au delà c’est une question esthétique : peut-on enfler l’enflé ? Les faits divers décrits par Muray sont plus parlants que ces personnages de roman (mais il y a beaucoup de choses dans ses romans, notamment lorsque me narrateur digresse, je ne les jette pas du tout à la poubelle), il y a eut l’oeil pour déceler l’universel, le symptôme dans des figures réelles, parce qu’elles étaient déjà énormes. Ce qui m’intéresse, c’est la mise en parallèle de ses personnages figés de roman, et son utilisation du catholicisme uniquement comme le dit Caron, comme positivisme.

          Mais surtout, au fond, le livre de Caron est bourré d’autres fulgurances, qui mériterait énormément de développements, en fait, je crois que c’est Delsol qui le dit dans sa postface (inutile je trouve, enfin) Muray écrivait sur lui-même, il a repéré l’espèce de nihilisme de Festivus parce qu’il en portait en lui les germes, qu’il n’a dépassés qu’en créant une analyse critique (et artistique) sur ce nihilisme ET le livre de Caron est lui, pareil, plus un livre sur Caron qu’un livre sur Muray, et c’est pour ça qu’il est aussi bon.

          1. oxymore1202

            « Peut on enfler l’enflé ? »

            En fait, pour ses romans, me semble t’il, si les personnages de Muray ne prennent pas vie, c’est qu’ils n’ont aucune humanité. Pas de souffrance, pas d’intériorité, pas de contradictions. Juste leurs furieuses envies de Festivus. Il les dépouille de toute vie. Mais je me demande aussi s’il n’y a pas là les traces de son affiliation à Céline.

            Concernant la paternité, vous évoquez la croyance imposée en l’avenir. Ca rappelle Péguy qui considérait les pères comme étant « engagés de toute part dans l’avenir du monde. »

            Je vais tâcher de me plonger dans La vérité captive, de Caron. Apparemment, c’est là où il développe son système, dont on semble en apercevoir un bout dans le bouquin sur Muray.

            1. Il Sorpasso Auteur de l’article

              « En fait, pour ses romans, me semble t’il, si les personnages de Muray ne prennent pas vie, c’est qu’ils n’ont aucune humanité. »

              Oui, et malgré toutes les explications de sens et de style possibles, je trouve que cela est une erreur-bien que je le répète, ses romans soient intéressant pour d’autres raisons intrinsèques. La question est : pourquoi les personnages des essais sont impressionnants et ceux des romans non, alors qu’ils subissent grosso modo le même traitement ? Et bien c’est que les personnages des essais sont réels, c’est à dire qu’ils ont une dimension, qu’on le veuille ou non, tragique. Même et surtout si l’on insiste sur leur caractère grotesque, irréel, post-historique. Ça ne peut pas marcher de la même façon dans les deux sens. A la limite, dans la dernière nouvelle de Roues Carrées, ça prend forme, et ça m’a fait penser à du Houllebecq, d’ailleurs. Mais, fondamentalement, « On ferme. » peut s’analyser de la même façon que le dernier poème de « Minimum respect » par Caron.

              Je ne vois pas trop le rapport avec Céline, qui me semble être l’inverse du point de vue romanesque.

              Oui Péguy, de ce point de vue, c’est l’opposé. Mais il est un peu emmerdant Péguy, je trouve, trop militant. Limite prof ^^.

      2. oxymore1202

        En fait je pensais à Céline, quand Bardamu dans le voyage est docteur à l’asile (ou dans un hopital, j’ai un trou de mémoire). Il discute avec son chef qui s’exalte en affirmant que le patriotisme est ce qui produit les êtres les plus moraux. Mais en fait non, ce passage est inséré dans l’apprentissage par le chef de l’anglais, passion qui se met à le dévorer au point de partir. Autrement dit, si le personnage récite les bêtises de l’époque, il le fait dans un ensemble plus grand, où il désire, où il vit.
        De même, quand une concierge attend d’avoir son pourcentage parce qu’elle a filé le tuyau à Bardamu pour un accouchement. La mesquinerie est présente, mais glissée encore dans un contexte plus large.
        Je retire mon hypothèse, donc !

        Après ca tient peut être aussi au biais de Muray de principalement traiter la relation homme femme, et les faux fuyants de celle ci. La chair de ses romans semble là. (encore que je me demande si je me laisse pas bouffer par l’hypothèse de Caron pour le coup.) Même s’il y a une foule de chose intéressantes autour, je suis bien d’accord.

        Quand à Péguy, vous êtes dur. J’aime bien son feu sacré et son sens de la mesure personnellement.

  2. XP

    Magnifique, on porte un regard critique sur l’oeuvre de Muray, il est donc encore vivant!

    Mauvaise nouvelle pour Elisabeth Lévy et quelques autres, eux qui pensaient qu’il était mort et qu’ils pourraient roupiller jusqu’à la fin de leurs jours à l’ombre de son mausolée.

  3. oxymore1202

    Je reviens sur ce livre. Un mois après, c’est mon coté ruminant. Voici mon babillage, en espérant que vous y trouviez un semblant de pertinence.
    Si je reprends les propos de Caron. Il voit dans les poèmes de Muray ses dernières traces d’immanence, c’est-à-dire de non croyance en Dieu.
    Je vais continuer à réfléchir en constructiviste, c’est-à-dire à penser le dogme catholique comme un montage normatif. Mes réflexions vont être entachées à ma foi de mon manque de connaissance théologique et du fait que je n’arrive pas forcément à remettre toutes les pièces du puzzle à leur place. Je m’en excuse par avance.
    Il faudrait séparer la proposition de Caron en deux. D’un coté la femme, et se demander quelle norme le catholicisme met en place concernant celle-ci. De l’autre, le passage de la transcendance à l’immanence. Le dogme de l’immaculée conception apparait en 1854. En tentant de reprendre l’appareil critique de Muray, on trouve une double utilité à l’ascension au paradis de cette mère vierge. Ce dogme est purement contre nature, c’est-à-dire qu’il sape doublement le narcissisme féminin. D’un coté, la femme objet, celle qui trouve son identité dans son corps, qui s’enivre du pouvoir de son physique. Atomisé, par la présence d’une Marie vierge. L’innocence dans le narcissisme s’en retrouve sapée. De l’autre coté, le narcissisme maternel est tout autant annihilé, puisque Marie mère était vierge, chose difficilement possible dans la réalité.
    Il faudrait plus de notion historique, à savoir quoi réagit le Vatican quand il pose ce dogme. S’agit il des hérésies du type de celle de Blavatsky (Déesse mère, femme avenir de l’homme, etc …)

    Soit dit en passant, d’un point de vue masculin, ce dogme est tout aussi dissolvant. Rempart parfait contre la cristallisation possible quand la femme est souillée dans son impossibilité d’être la vierge mère. Zone tampon du métaphysique.
    Mais ce à quoi Muray s’attache, dans ce poème, c’est son cul. Autrement dit, ce n’est pas tant la femme en tant que sujet qu’en tant qu’objet de jouissance et de perfection. On sent là son attachement à la psychanalyse d’ailleurs. Même si ce rapprochement ne va pas de soi non plus : la jouissance, c’est l’effacement du père, le fantasme fondamental qui habite le sujet et qui à cet instant le déborde. Lacan parle d’ailleurs de ratage sexuel (ou sa phrase « la femme n’existe pas. »), parce que rien ne cadre avec le fantasme dans la réalité.
    Caron parle alors d’appel de la transcendance qui échoue sur ces rondeurs. Un désir d’absolu mal placé, en quelque sorte.
    En reprenant la vue d’un montage normatif, qu’en dire ? C’est la notion d’âme (et son corolaire, l’individu.) sur lequel Muray échoppe ? La femme n’existe pas en tant qu’individu mais en tant qu’objet de désir. Autrement dit, il passe entre les mailles du dogme de l’immaculée conception, puisque celui-ci se réfère à la femme en tant que sujet non d’objet.
    Il y a donc l’irréconciliable entre le désir, qui ne fonctionne qu’en terme d’objet dans la psychanalyse et le catholicisme de Muray qui fonctionne en terme de dissolvant du narcissisme ? Pour poser la question autrement : Quand le catholicisme cesse t’il d’être négativité pour devenir affirmation ? La réponse de Caron, c’est la foi. Mais que faut il entendre par là ? Dieu dans la vision d’un montage normatif est celui envers qui on a des dettes (ce qui se traduit par l’idée de payer son salut.), c’est-à-dire quelque chose en moins, tout autant que l’Autre, au sens de celui dont la volonté est indiscernable. C’est lui qui engendre le désir (mécanisme de l’idéal du moi en psychanalyse.) Autrement dit, Dieu est un référent mais pas une positivité, tout au plus oriente t’il le désir.
    Alors l’empathie est elle à voir ici ? C’est-à-dire comme la conséquence de la volonté de tendre vers Dieu ? Mais ca ferait de l’empathie un impératif surmoïque, et donc ne me semble faire que peu de cas du désir, toujours amoral, toujours visant un objet. Tout le maillage métaphysique ne peut empêcher ca, on ne peut que faillir face à la Loi. Le christianisme l’a compris puisqu’il parle du pêché et du pardon. Mais ca ne résout donc pas ma problématique. Alors Caron dirait là qu’il y a de la misosophie (dans le meilleur des cas, haha), c’est-à-dire de l’immanence, mais ca ne m’aide pas dans ma réflexion.

    Mes lacunes en matière théologiques me font buter sur ce point. Par ailleurs, peut être est ce un tort de vouloir de vouloir comprendre vu qu’il s’agit de foi, et peut être que les outils psychanalytiques sont peu adaptés au problème. Peut être aussi qu’il y a de la folie à vouloir injecter la glace du concept dans cette dialectique de la vie. Mais qu’importe, si vous avez des pistes de réflexion, je prends.

    1. Il Sorpasso Auteur de l’article

      J’avais zappé cet excellent commentaire, désolé.

      « Il faudrait plus de notion historique, à savoir quoi réagit le Vatican quand il pose ce dogme. S’agit il des hérésies du type de celle de Blavatsky (Déesse mère, femme avenir de l’homme, etc …) »

      Fondamentalement je pense que c’était en effet le but, tout le néo-puritanisme bourgeois et ses fondements sectaristes, affirmer le caractère immaculé de Marie (jusq’au dogme de l’assomption également, d’ailleurs seul moment où la fameuse infaillibilité pontificale a été utilisée, si je ne me trompe).

       » Lacan parle d’ailleurs de ratage sexuel (ou sa phrase « la femme n’existe pas. »), parce que rien ne cadre avec le fantasme dans la réalité. »

      Oui, ratage d’ailleurs totalement écarté par Muray narrateur, qui s’en tire avec des pirouettes esthétisantes sur le con, qui sonnent finalement incroyablement faux et nihilistes.

      « Mais ca ferait de l’empathie un impératif surmoïque, et donc ne me semble faire que peu de cas du désir, toujours amoral, toujours visant un objet. »
      Je ne suis pas sûr de bien suivre. Disons qu’il est possible de dissocier momentanément les deux. La relation d’objet n’est triste que si elle exclue en amont ou en aval la relation de sujet. Une bonne relation de sujet étant probablement celle qui présuppose la relation d’objet, qui l’inclue.. Ce qu’on appelle le charme, quoi. C’est vrai que c’est assez rare, par les temps qui courent. Bon, on se noie un peu dans un verre d’eau là.

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