Le Théâtre de l’Ennui

Il y a un peu plus de deux dizaines d’années, il arrivait encore que des spectateurs de théâtre se foutent allègrement sur la gueule. Parfois. A défaut, des huées descendaient des travées et des applaudissements tentaient de les couvrir. On s’invectivait dans la salle. Les acteurs étaient pris à partie tandis que les parti-pris du metteur en scène étaient âprement discutés. Il y avait scandale. *

C’était vivant.

Le théâtre est un spectacle vivant.

Depuis, il faut bien le dire, l’ambiance est un peu retombée. Trop de jeunes comiques ne coûtant pas trop cher aux salles peut-être. Peut-être aussi qu’on n’a plus de message un peu dérangeant à faire passer. Peut-être que la énième pièce scatologique, masturbatoire ou d’avant-garde des années 70 (au mieux 80) n’a plus grand chose à dire sur notre époque. Peut-être que l’immense majorité des metteurs en scène pourraient disparaître demain sans que le théâtre ne s’en porte plus mal qu’aujourd’hui. Peut-être que bien des directeurs de théâtre de gauche ne paient leurs étudiants, ouvreurs et ouvreuses, qu’au smic mais refusent, contrairement aux théâtre privés, qu’ils acceptent les pourboires.

Sans doute doivent-ils se nourrir de concepts.

Sur le concept du visage du fils de Dieu n’est pas une pièce révolutionnaire. Elle n’est rien. Rien. C’est presque dadaïste comme truc. Une blague pour journalistes de théâtre. Une immense supercherie à laquelle tout le monde fera consciencieusement mine d’y croire.

Romeo Castellucci ressemble un peu à Pippo Delbono finalement.

Bref, il s’agit de la dernière connerie à la mode vaguement subventionnée. Le joujou du jour des mirifiques intellectuels régissant la culture à Paris. Après, on trouvera bien un artiste plastique enveloppant des portables usagés dans du cellophane grisé et, surtout, surtout, se trouvant dans les petits papiers d’untel ou untel.

Un petit monde qui se subventionne à tour de rôle.

C’est incroyable comme tout cela sent la mort et l’ennui.

Seule la jeunesse, qui d’années en années remplit les cours de théâtre privés, pleine d’espoir, de rêves de célébrité et prête parfois à tout, sauvegarde les apparences et leur redonne couleur. Rouge. Comme la figure de ces baronnets de la culture lorsqu’ils chevauchent une aspirante jeune première à qui ils ont fait des promesses qu’ils ne tiendront pas.

La ville de Paris et le Théâtre de la Ville ont décidé de déposer conjointement plainte contre les personnes s’étant rendues responsables d’actes de dégradation du domaine public et d’atteinte à la liberté de création et d’expression artistique

Imaginez la scène. Un public qui hue les impénitents qui ont osé, sacrilège suprême, venir manifester leur désaccord sur scène. On tolère déjà à peine ceux qui sortent avant que la pièce soit finie, on regarde d’un sale oeil ceux qui n’applaudissent pas, mais alors ceux qui montent sur scène… Les salauds. Vivement qu’on puisse applaudir les forces de l’ordre quand elles feront le sale boulot qu’on se sent bien incapable de faire en tant que spectateur au Théâtre de la Ville.

Conséquemment, il faut porter plainte contre eux. Le fait qu’ils aient fini par se faire virer ne suffit pas. Il faut surtout que les spectateurs comprennent bien qu’ils n’ont pas intérêt à manifester trop ardemment leur mécontentement. Sinon, hop, police. La liberté d’expression artistique sera assurée contre toute tentative d’expression autre et troublant la première. Par les force de l’ordre si besoin est.

Ah, pourtant, si ces « intégristes chrétiens » n’étaient pas venus perturber le spectacle, on se seraient ennuyés sec… Au moins, grâce à leur action, il y a eu un petit frisson qui a parcouru l’échine du spectateur. Un petit quelque chose. D’un peu plus passionnant qu’une séance chiante à en crever de lapidation du portait du Christ. Il faut bien avouer qu’ils sauvent ce spectacle qui, sinon, se seraient gentiment enfoncé dans une indifférence à peine troublée par les coteries du milieu. Je n’irais donc pas jusqu’à dire que leur action n’est pas une franche réussite, mais bon, on s’approche un peu du fiasco.

Pippo Delbono, la dernière fois qu’il est venu à Paris, lui, il s’est foutu à poil. On s’en branlait hein.

Mais, au moins, là, c’était marrant pendant deux ou trois secondes.

Ah ah.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

20 réflexions sur « Le Théâtre de l’Ennui »

  1. Dotchi9

    « Peut-être que bien des directeurs de théâtre de gauche ne paient leurs étudiants, ouvreurs et ouvreuses, qu’au smic mais refusent, contrairement aux théâtre privés, qu’ils acceptent les pourboires. »

    Le minimum syndical pour qu’ils aient leur 507 heures annuelles d’intermittents du spectacle. Le système des intermittents du spectacle subventionné par les salariés du privé : la caissière du supermarché qui ne va jamais au théâtre paie non seulement pour la caissière du théâtre, ce qui pourrait être une forme de solidarité, elle paie aussi pour les stars qui ne refusent pas les indemnités (virées sur leurs comptes en Suisse ?), les temps sont durs pour tout le monde, n’est-ce pas, et on ne sait pas de quoi le futur sera fait. Cette exception culturelle ne place même pas les Français dans le top de la création, elle les place dans le ronron de la provocation bien formatée que vous décrivez.

    1. Blueberry Auteur de l’article

      Je ne sais pas de qui vous parlez, moi je parlais des ouvreuses. Ce qui est exactement pareil que caissière au supermarché. Ce qu’elles gagnent à voir des pièces de théâtre et, faut-il croire, à se retrouver dans le milieu de la culture, elles le perdent en divers avantages d’entreprise.

      1. Dotchi9

        J’ai pris l’exemple des caissières parce que je ne connais pas l’équivalent d’ouvreuse dans le secteur concurrentiel. Sauf au ski.
        Mon propos était surtout de m’étonner d’infécondité du système de l’intermittence du spectacle censé alléger le fardeau du génie pour qu’il puisse se consacrer à son art et perpétuer notre place de phare.

        C’est le contraire qui se produit, il est toujours étonnant de voir la médiocrité, par exemple du théâtre de rue, et le fossé entre la pauvreté affligeante du spectacle et les dithyrambes des journaux ou des sites municipaux qui le subventionnent.

  2. Gil

    « Il faut bien avouer qu’ils sauvent ce spectacle »

    En quoi on pourrait dire qu’ils sont bien cons, ces chrétiens. Mais peut-être cherchent-ils à se sauver eux-mêmes de l’irréalité. Pas de chance : ils viennent pour foutre un peu de réalité, et c’est eux qui deviennent aussi irréels et chargés de fausse subversion que la pièce elle-même. Le piège était presque parfait. Non, parfait.

  3. nicolasbruno

    Ce sont aujourd’hui les comiques qui disent le plus de choses. Kavanagh qui se moque de Jean-Paul 2 pour ensuite dire, que la religion Chrétienne, c’est génial, on peut tout dire; qu’il ne se moquerait pas des autres religions, il tient à vivre.
    C’est Laurent Gerra qui s’est moqué très tôt du comportement de DSK. Seimoun et la racaille des banlieues, etc…
    Les artistes subventionnés, ils sont dans le mainstream politiquement correct… Ils ne disent plus rien depuis longtemps.

  4. Gil

    De l’humour, il y en a dans cette affaire… vous avez écouté la chronique d’une certaine Joëlle Gayot sur France Cul (ça a été posté sur Fdesouche) ? On dirait qu’elle parodie Muray en train de parodier une chroniqueuse de France Cul.

    Enfin, je ne sais pas si c’est drôle, finalement. Cette affaire est incroyablement baudrillardesque : y a plus de théâtre parce que le théâtre est partout (la mairie de Paris qui dénonce, les spectateurs qui s’en vont, les chrétiens qui déboulent, la chronique de France Cul qui délire) sauf sur la scène, sur laquelle on cherche au contraire à « faire » de la réalité. Y a donc plus non plus de réalité, ni d’humour ni de sérieux ni rien.

    Je crois d’ailleurs avoir mieux compris (enfin, saisi plus concrètement) un concept de Baudri en écoutant cette chronique de la Gayot: l’hyperréalité. Cette parodie involontaire au 3 ème degré (celles de Muray étant, disons, des parodies classiques au 2ème degré), voire à un degré x inconnu, du discours critique d’avant-garde (« artiste viscéralement dérangeant », dédain (et gratitude en fait, pour maintenir la comédie de l’avant-garde) envers les spectateurs qui partent en traitant l’auteur d’escroc etc) est à la fois massivement réelle par ses détails et son ton hyper-concerné, et totalement irréelle à force de discours usé et inadapté au moment. C’est comme un bloc massif mais totalement transparent, lointain.

    Bref, on a du mal à croire que la chroniqueuse soit sérieuse (ça serait trop énorme), sans pouvoir croire non plus qu’elle fasse de l’humour (ça serait trop énorme). L’humour et le sérieux s’écroulent l’un dans l’autre, comme la réalité dans l’illusion. Hyperréalité.

    1. Gil

      Ah oui, génial.

      « Au final la représentation à bien eu lieu et c’est sous des tonnerres d’applaudissements que l’équipe de Romeo Castellucci a été saluée par les spectateurs encore sous le choc d’avoir été les victimes d’une attaque terroriste menée par des nervis opposés à la liberté d’expression et déterminés à censurer la culture. »

      J’ai l’impression de lire ces mots colorés et lumineux en 3D dans l’espace – je pourrais passer ma main au travers. J’y crois j’y crois pas.

      (Notons que trois lignes avant, le journaliste à écrit, à propos de ces « nervis » ultra-violents : « une petite dizaine de perturbateurs propre sur eux », qui déploient une banderolle et chantent des cantiques. Faudrait savoir. Ou pas. Le journaliste a vu ceci et doit écrire cela. Le gauchisme est un hyperréalisme.)

      1. David

        Ce qui est formidable c’est que ce genre de méthode (interrompre un événement avec banderole, slogans et compagnie) est typiquement gauchiste (genre kiss-in homo lors d’une veillée de Noël). Il n’y a pas de cohérence et il ne faut pas la chercher. Ou plutôt si, il y a une cohérence terrible : vouloir la mort. La seule chose qui gît dans le fond c’est leur désir de mourir et de voir avili tout ce qui peut-être beau et grand.

      2. Gil

        « ce genre de méthode (interrompre un événement avec banderole, slogans et compagnie) est typiquement gauchiste »

        La droite est tombée dans le gauchisme depuis longtemps. Muray dirait que le festivisme est le seul moyen d’action envisageable par Festivus, de droite ou de gauche. Baudrillard que tout implose et se réverse dans tout. Mais de toute façon ces chrétiens sont tombés dans le panneau quand ils ont décidé d’attribuer la moindre importance à cette resucée de ressassement de phantasme de fantôme de pièce d’avant-garde.

        1. David

          J’ai toujours dit que les personnes de droite sont bien souvent des socialistes qui portent des cravates bleues.
          On peut se demander s’il faut utiliser les armes de l’ennemi pour le défaire ou si ça conduit inévitablement à devenir cet ennemi. La question a été évoquée maintes fois sur ce site il me semble…

          1. Gil

            Oh oui. Sur le victimisme (racisme anti-blanc)entre autres. Je crois qu’il faut tout utiliser de manière très souple et tactique, mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Fermeté et souplesse, tiens, c’est du taoïsme à l’état pur^^

            Putain, on se croirait dans un hangar désert, ici, actuellement^^

            1. Gil

              La Crevette m’a même pas apporté mes chemises. C’est vrai qu’un hangar désert c’est inquiétant, même depuis que Grödion et ses cousins albanais ont débarassé le plancher. C’est vrai aussi qu’elle a neuf gosses. Avec ce qu’elle boit, elle s’en occupe mal, mais elle s’en occupe quand même, faut reconnaître.

              Mmm, faut que je trouve à m’occuper.

            2. la crevette

              Gil, j’ai été occupée hier, je suis montée en haut de la Tour Eiffel avec quelques mouflets. Sans paniquer dans les ascenseurs!
              Ce texte me fait penser à un Lucky Luke, « le Cavalier blanc » où le « méchant » dans la pièce de théâtre jouée par une petite troupe dans quelques bleds du Far West est systématiquement pris à parti par le public indigné de tant de méchanceté et qui se retrouve sous le goudron et les plumes…

          2. XP

            J’ai du mal à voir la différence entre un Mus qui veut interdire les caricatures de Mahomet et ces chrétiens-là…

            D’ailleurs, quand les mus ont accompagné leurs menaces de mort à Houellebecq d’une procèdure judicaire, ils ont pris comme avocat Jean-Marc Varaud, celui de de Papon et des cathos trad.

            1. j.ax

              Aucun courage à salir le Christ, mais ce sont des fous, des pauvres gens. Les tradis devraient avoir pitié d’eux. Il devient fou et malheureux, le savant de Baudelaire qui arrivé un jour au sommet de ses facultés, dira « petit Jésus je t’ai porté bien haut ».

            2. David

              La différence est que nous sommes les chrétiens et qu’ils sont mus. « Nous » et « eux ». Le chrétien imbécile de cette sorte, je pense qu’il n’est pas encore drogué de nihilisme. C’est un peu le cousin insupportable qu’on peut ne plus vouloir voir aux fêtes de Noël pendant dix ans. Mais on espère toujours qu’après lui avoir distribué des claques on pourra lui serrer la main et faire la paix autour de quelques bonnes bouteilles.
              Pour en revenir à la petite manifestation, il faut peut-être faire la distinction entre le catho tradi qui se bat contre la laïcité et qui finira aux côtés de mus et le catholique qui se bat pour le Christ et qui se retrouvera seul. Que les médiocres veulent chier sur le Christ, c’est normal et logique ça n’a pas changé depuis 2000 ans. Mais il faut arrêter de chialer et chanter la gloire de NSJC en bâtissant une cathédrale plutôt que déployer des banderoles dans des théâtres communistes.

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