Sniper

J’ai l’oeil sur tout. Ville assiégée. Ruines. Ciel. Paysage. Voir, enregistrer le moindre mouvement, c’est mon boulot. Aucun déplacement de l’ennemi (c’est-à-dire des êtres humains) ne m’échappe. Mon attention est infaillible. Qu’est-ce qu’un tireur ? Celui qui vise juste. Envie de tuer est un désir primaire. En ébauche dans le ventre maternel. Épanoui après la naissance : tuer son père ! Et on me condamne ? Pourquoi cette réprobation ? Il faut une barrière d’inhibitions énorme pour que le désir de tuer soit réprimé. Tuer. Tuer. Les transpositions de ce désir constituent l’histoire de l’humanité. Chasse, guerre, arène politique et sportive, bourse, économie : l’inconscient de l’homme n’est qu’une panoplie de rivaux. Maîtres, adversaires, chefs, tyrans, concurrents, patrons, ils sont légion. Et tous à tuer ! Quel travail que de canaliser cette pulsion ! Je charge mon fusil. Une femme apparaît au seuil d’une maison en ruine, un seau à la main. Elle doit traverser la rue, passer par un portail ; le seul puits qui n’est pas encore empoisonné se trouve au milieu d’un jardin que je surveille nuit et jour. La soif vous étrangle ? Je vise. La femme qui traverse la rue tombe, la tête fracassée. Avez-vous des doutes ? Pas moi. Je tire.

Pavel Hak, Sniper. Edition Librio, p. 14-15


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