[Pardonnnez-moi pour la rediffusion, mais ce texte, c’est l’un des seuls que je garderais, si je devais faire un tri sélectif. ]
J’avais neuf ans, quand mon père est mort sur une route qui longe la mer et va de Bandol à Six-fours-les Plages, au volant de sa Deutsch-Bonnet décapotable.
Mon Dieu, quel tombeur se devait-être, mon Papa chéri… A la pension Tirard, à Nice, quand il venait me chercher le vendredi, mes copains m’admiraient pour ces jolies dames à chapeaux pendues à ses bras qui sentaient si bon, et je me souviens qu’ il faisait se tenir raide devant lui le directeur, avant de lui signifier qu’il pouvait se détendre en lui pinçant la joue….
Il est toujours mentionné dans les dictionnaires des acteurs, et les cinéphiles se souviennent qu’il balance une patate mémorable sur la gueule d’Harry Baur, dans un film…. Il s’appelait Durant comme moi, mais il était Juif, mon Papa…. Il avait changé de blaze non pas pour échapper aux persécutions des nazis qu’il pressentait, comme je l’ai scandaleusement écrit dans mes mémoires pour faire plaisir à mon éditeur et à Michel Drucker qui faisait partie du plan média, à la sortie du livre, mais pour soulever mieux les gonzesses et faire croire à ces connes que la famille était normande depuis l’invention du cidre et même de la pomme, pour faire doublement le malin, quand il était dans sa décapotable….
Il est mort à 29 ans. S’il ressuscitait aujourd’hui en l’état, il pourrait être mon fils, et presque le fils de mon fils. Serait-il toujours alors mon père, est-il toujours mon père quelque part dans le cosmos? C’est une question qui m’a toujours paisiblement occupé l’esprit et qui me fait depuis toutes ces années attendre la mort dans l’état d’esprit d’un joueur qui va payer pour voir, enfin… D’ailleurs, je me souviens parfaitement d’instants précis passés avec lui, je pourrais donner sans peine la couleur des volets, refaire le bruit du vent dans les branches, et il n’a pas connu des gens qui n’étaient alors pas nés, qui sont parfois déjà morts et qui m’ont tous été chers… Comment c’est possible, ce gendre de choses, dites le moi, s’il vous plait…. L’existence ressemble à une ficelle jetée négligemment sur terre dont la queue se superpose à la tête, je n’envisage pas sérieusement que toutes ces parties ne fassent une seule chose, et cette idée aussi, je la trouve apaisante….
J’ai écrit un jour un roman de science-fiction dans lequel il était envisagé que nous vivions tous ensemble sans le savoir et que nous mourrions tous le même jour depuis la nuit des temps, qu’en rendant notre dernier souffle nous soulevions tous un couvercle dans la même seconde pour faire apparaître nos têtes au paradis… J’ai attendu d’être une gloire de la télévision pour le présenter aux éditeurs, mais aucun n’en a voulu… N’est pas Borgès qui veut, et moi je suis un clown.
A son décès, Madame Bonnet, ma mère, m’a placé chez les frères, en Auvergne, pour se remarier et me donner des frères que je n’ai jamais connus. Un soir, n’y tenant plus, je lui ai écrit ceci, que je viens de retrouver:
Chère mère,
je t’ai attendu vendredi dernier. C’était la fin du trimestre, et je croyais que tu devais venir me chercher. Ici tout va bien. (…) Je t’embrasse, et l’espère te revoir bientôt.
Je t’embrasse.
Ton fils.
Elle est morte il y a dix ans Madame Bonnet, et je vous jure que je ne la pleure pas, cette femme… Des années durant, elle est venue m’attendre à la sortie de ma loge, en priant le service de sécurité de l’introduire, mais je n’ai jamais cédé, et je ne le regrette pas…. A l’inverse de ce qui se raconte à l’époque, ce n’est pas la rancœur qui nous ronge, mais notre incapacité à prendre acte de nos rancœurs et des raisons légitimes qui nous ont poussés à les entretenir… Si je l’avais laissée entrer, elle aurait oublié sa souffrance dans la seconde pour s’engoncer dans son égoïsme comme si j’étais encore en pension chez les catholiques, j’aurais morflé de plus belle, je l’aurais haïe plus encore qu’avant; et elle serait morte dans le mensonge, en pensant m’avoir retrouvé…. Sitôt entré dans la loge, elle aurait commencé son tour par un pardon de circonstance, avant de très vite me pardonner de mon ingratitude et féliciter le ciel de l’avoir récompensée pour son amour filial… Les femmes se lamentent trois fois sur quatre sur elles-mêmes, quand elles pleurent un absent.
A vingt ans, je me suis marié pour la première fois, je suis monté sur les planches et je suis devenu une petite vedette du Music-hall… Il ne cassait pas des barres, mon tour, mais enfin il nous faisait vivre, moi et ma femme… Je n’ai jamais eu du talent que shooté au whisky, et plus tard à la cocaïne….
Dans les biographies autorisées des grands hommes de la scène ou de la plume, on évoque toujours la souffrance créatrice, la fêlure dont surgit l’œuvre, et je peux vous dire que tout cela est faux. J’en ai reçu beaucoup dans mes shows, et je peux vous dire que les génies ont tous depuis leur enfance la certitude de leurs dons et qu’ils baignent de ce fait dans un climat de sérénité… Ils ne sont souvent pas à l’aise sur le plancher des vaches, c’est une histoire entendue, mais enfin, ils sont toujours plus apaisés qu’on veut bien le dire….
J’ai rendu visite un jour à Cioran, et bien croyez-le ou non, je l’ai surpris un tournevis à la main, en train de monter une étagère, tandis que moi je m’étais torché pour me faire à la simple idée de la rencontre, et il n’a lâché son outil que pour se féliciter de l’offrande que lui avaient fait les anges à la naissance et s’amuser du bon tour qu’il faisait au public, en jouant les tourmentés…
Avec Orson Welles, ce fût encore plus simple, puisqu’il a pété tout le long de l’interview qu’il m’a accordée, et ses pétards ont redoublé quand il m’a lu une tirade d’Hamlet…. Pardonnez-moi, mais vous pétez, Maitre, ai-j’osé demander après avoir pris mon courage à deux mains… Même Lovecraft, m’a-ton dit, rigolait tout le temps, et j’aurais ri du matin au soir avec seulement la moitié de son talent, moi… L’angoisse, elle est pour nous, les demi-portions du génie, les bâtards… Vous me répondrez peut-être que de grands artistes sont morts la tête dans les chiottes à trois heures du matin dans un bistrot, je vais vous répondre certes, mais pour vous dire aussitôt qu’ils l’ont fait comme on meurt en montagne quand on fait de l’alpinisme, ou si vous préférez cette image, en fils de famille qui se termine à la roulette russe par hasard, ou presque.
Plus tard, je suis devenu une star de la télévision. Dans la foulée, j’ai épousé ma troisième femme, et c’est le futur président Chirac qui m’a servi de témoin…. Je faisais la joie des foules qui ne payent pas le spectacle, derrière leurs écrans, mais je sentais bien que je n’étais pas bon, que je forçais comme un âne sur mes effets, et j’en étais si malheureux que je frappais mon épouse comme les autres avant elle… Un jour en rentrant chez nous, à Saint-Germain en Laye, je n’ai pas détruit le mobilier, je l’ai réduit en miettes… Dans mon hôtel particulier, les pompiers et les psychiatres n’ont pas trouvé des commodes Louis XV fracassées, mais une couche de gravats de cinq centimètres éparpillés comme si je l’avais égalisée au râteau… Ce que c’est que les pouvoirs de la coke, tout de même…. J’en prenais tellement, à l’époque, que même Johnny Hallyday n’en revenait pas. Aux Stups, mon nom de code, c’était l’aspirateur, et si je ne les ai jamais vu débarquer chez moi, c’est parce que j’avais eu la présence d’esprit d’ inviter tous les ministres de l’intérieur sur mon plateau.
Après cet épisode, TF1 a interrompu mon programme pour trois semaines, et j’ai fait une cure…. Il faut dix jours, pour sevrer un cocaïnomane… A ma sortie, j’ai épousé ma cinquième femme, une journaliste qui était venue m’interviewer pour télé sept-jours. Une rousse… Je suis tombé follement amoureux jusqu’à ce que Jean-François Copé, celui qui est devenu Président de la république en 2017, me la pique et menace de balancer mon dossier à Harry Roselmack, pour qu’il fasse la une de son journal avec ça… C’en était trop, et un jour, après m’être défoncé toute la nuit, j’ai surgi dans sa permanence à 9 heures du matin, et je lui ai pété la tronche, au jeune espoir de la droite modérée… J’ai commencé par lui dire bonjour, ensuite j’ai fermé la porte, je lui ai cassé ses lunettes et j’ai fini par lui enfoncer son Ipod dans le cul, à ce salaud. … Trois jours plus tard, j’ai appris en lisant la rubrique télé de Médiapart que j’étais remplacé par une saison inédite de Cold Case, ma santé a décliné dans la foulée, et vous connaissez tous la suite….
Je suis bien ici, dans cet hôtel médicalisé de Menton… Sur mon fauteuil, on m’emmène voir la mer, en journée, et je l’écoute de ma fenêtre le soir. Je pense aux couvercles qui se lèvent tous ensemble, au paradis, au bruit que j’entendais dans les feuilles avant, quand j’étais petit… J’ai toujours aimé dormir, je considère à la réflexion qu’il n’y a rien de plus voluptueux que le sommeil dans la vie d’un homme, et plus précisément que ce sont les minutes où l’on balance entre l’éveil et le sommeil, qui sont les plus délicieuses, que tous autant que nous sommes, nous nous voyons alors saisis par la certitude que rien n’est grave et que tout va bien.
La vie est une histoire de fou racontée par un idiot, mais qui se termine toujours bien. Par une nuit de sommeil éternel. Je ne le crois pas, je le sais.
ça fait bientôt quatre jours que ce texte est là… et pas un commentaire ??? Je sais que c’est une redif mais tout de même. ça mérite une attention particulière un texte comme ça non ?
des questions, des commentaires, des louanges, des critiques ? non ??? Les coms sont fermés ??
Lorsque je l’ai lu l’autre jour je ne me suis pas senti à l’aise pour balancer un commentaire, me disant que de bien meilleures plumes le ferait mieux à ma place.
enfin moi, ça m’a beaucoup plu et ému…
Bon alors de ma part, seul, merci XP.
Merci!
Enfin un peu de reconnaissance dans ce monde d’ingratitude et de méchanceté!