Émergent des dizaines de milliers de pages que compte le dossier d’instruction de l’affaire Clearstream maintes questions tournant autour du financement occulte des campagnes électorales en vue de l’élection présidentielle. Les hommes politiques sont tous convaincus que l’argent est la condition sine qua non de la victoire, et que celui qui en possède davantage que les autres s’aménage toutes les chances de gagner. En résultent des batailles d’une extraordinaire férocité entre clans politiques, car non contents d’accumuler – légalement et illégalement – des trésors de guerre pour l’emporter, ils mettent tout en œuvre pour barrer à leurs adversaires les sources de financement. Tous les coups sont ici permis. La plupart des « affaires » qui arrivent devant la justice trouvent leur origine dans des dénonciations, et donc à proprement parler dans des instrumentalisations de la justice. Chaque affaire peut être lue comme une tentative de mettre à mal ou d’éliminer un concurrent. Cela est vrai de celle des HLM de la Ville de Paris et de l’affaire Elf, mais aussi de celle dite de l’Angolagate. Les affrontements entre balladuriens et chiraquiens autour du « trésor de guerre » des premiers n’en finissent pas d’apparaître au grand jour au fur et à mesure de l’avancement de l’instruction judiciaire sur l’attentat de Karachi, qui coûta la vie à dix Français en 2002. Il y a aussi des morts inexpliquées dans l’affaire des frégates et probablement dans un certain nombre d’autres…
L’histoire de la corruption française met en lumière la schizophrénie des hommes politiques de notre pays. Sous la pression de l’opinion, ils font adopter des lois et promulguent des décrets de plus en plus contraignants pour encadrer le financement de la vie politique et rendre les pratiques occultes théoriquement impossibles ; dans le même temps, ils sont toujours convaincus de l’importance, pour chacun, de disposer du trésor de campagne le plus gros possible. De ce fait, les hommes capables de les alimenter en fonds efficacement, discrètement et aux frontières de la légalité, sont de précieuses recrues, dont le rôle devient des plus cruciaux au sein de la République : ils mènent à bien ces missions financières, servent de coupe-feu et savent garder le secret.
Jusqu’au début des années 1990, il y a d’un côté les financements quasi institutionnels – ceux d’Elf, ou provenant d’Afrique, des pourcentages sur de grands contrats, notamment en matière d’armement ou de distribution d’eau –, de l’autre, des militants de tel ou tel parti n’hésitant pas à jouer les porteurs de valises. C’était le temps des Gérard Monate, président d’Urba, des Jean-Claude Méry, des Louise-Yvonne Casetta pour le RPR, des Gérard Peybernès, ex-président de l’association nationale de financement du PS, des René Trager, également pour le Parti socialiste, entre bien d’autres. Quand la justice décida de ne plus tolérer les pratiques occultes, ces militants-là, abandonnés par leurs chefs, ont laissé la place à des approvisionneurs d’un tout autre profil, plus professionnels, capables de monter des systèmes beaucoup plus sophistiqués et opaques pour acheminer l’argent noir…
Pierre Péan, La République des mallettes, p. 25-26. (image ici)
La valise de billets est à la démocratie ce que l’essence est au moteur à explosion. Sans elle ça ne marche pas.
Quand on le sait, évidemment,
On voit la République tout autrement!