Le prix de la citoyenneté

Deux ou trois accès de colère en un siècle n’empêchaient pas le peuple lui-même d’étendre et d’avilir le droit de cité par le nombre toujours croissant des décrets honorifiques. Déjà dans les dernières années du Vème siècle, ce genre d’abus faisait rire ou crier […] Bientôt les récriminations des orateurs se font aussi vives et aussi fréquentes contre la facilité des naturalisations que contre les inscriptions frauduleuses. Isocrate s’attriste de voir prostituer un titre de noblesse qui devrait inspirer tant de respect et d’orgueil.
Démosthène, dans une de ces tirades qu’il sait par cœur et qu’il fait passer d’un discours à un autre, oppose le temps où la plus belle récompense que pussent obtenir les souverains étrangers était une fictive exemption de taxe à ces tristes jours où le droit de cité n’est qu’une vile marchandise offerte à des esclaves fils d’esclaves. Ce n’est pas, dira-t-il à l’Assemblée, que vous soyez pas nature inférieurs à vos pères ; mais ils avaient, eux, la fierté de leur nom, et cette fierté, vous l’avez perdue.”
[…]
On ne voit pas encore au IVème siècle, comme à l’époque hellénistique, les banquiers cumuler autant de nationalités qu’ils ont de succursales et les cités vendre officiellement à prix fixes les lettres de naturalisation. Isocrate exagère évidemment, quand il en vient à dire que les étrangers remplacent les citoyens à la guerre. Pourtant dans ces exagérations, il y a beaucoup de vrai. Les exemples que nous fournissent les orateurs et les inscriptions donnent l’impression bien nette que les décrets conférant le droit de cité augmentent en nombre et diminuent en valeur.[…] Un fait curieux, bien propre à échauffer la bile de Démosthène, montre avec quelle légèreté se faisaient les nominations de ce genre: le droit de cité est successivement accordé au roi de Thrace Cotys et à ses meurtriers.

Gustave Glotz, La Cité Antique, 1928, pp.419-421


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