La joie de voir crever le romantisme

« Nous autres écrivains, voyez-vous, l’injustice sociale, la misère, l’humiliation des pauvres gens, les taudis, le travail triste et autres calamités constituent notre matière première. Le lyrisme de Mlle Anaïs aurait dû vous instruire là-dessus. Ce à quoi nous nous efforçons de tout notre cœur, ce n’est pas de préparer le grand jour où toutes les faims du pauvre se trouverons apaisées, mais d’entretenir dans les esprits le trouble et l’obscurité qui nous permettent d’être des révolutionnaires en esprit et en esprit seulement. Nous ne somme pas si bêtes que vous croyez. Ce que vous appelez romantisme et à quoi nous nous gardons de donner un nom, nous connaissons à merveille les façon de le cuisiner et de s’en servir. Il y a même des écrivains communistes qui le savent aussi bien que nous.

– Ne médisez pas de vos confrères communistes. Il ont un rôle difficile et ingrat. Comme ils ne trouvent aucune audience dans la classe ouvrière, force leur est d’écrire pour la bourgeoisie et, pour cette raison, ils n’arrivent pas à se détacher de nos niaiseries romantiques, ce qui les fait plutôt mal voir dans le Parti Communiste. Pourtant ils ont bien des excuses. La décadence du goût et les dépravations de la sensibilité poétique, chez la bourgeoisie, constitue sans nul doute l’atout le plus important des communistes français. Leurs écrivains ne sauraient donc mieux travailler pour la cause qu’en se laissant aller aux pires excès du romantisme, ce qu’ils se gardent bien de faire, ayant une fois pour toutes, semble-t-il, opté pour une espèce de juste milieu, un romantisme assagi et gentiment assaisonné de tirades à soubassement dialectiques. N’empêche que quelques uns d’entre eux, à vrai dire assez éloignés des petits jeux littéraires, possèdent un sens très sûr du confort intellectuel. Ils savent qu’il y a des choses bonnes à dires et d’autres mauvaises. Allez, ils ne sont pas si bêtes de croire qu’un livre est bon parce qu’il est original et ils ont compris qu’un écrivain a des responsabilités. Entre nous, car c’est une chose que je ne dirais pas à tout le monde, je crains bien qu’il faille attendre l’avènement du communisme pour voir établir en France le confort intellectuel. Ce jour-là (puisse-t-il ne venir jamais, mon Dieu), ce jour-là, je n’en mènerai pas large, mais j’aurai du moins la joie de voir crever le romantisme. Et les écrivains qui l’auront nourri et entretenu, je ne crois pas qu’ils soient non plus très à l’aise. Tant pis pour eux, tant pour vous qui aurez laissé aux communistes le monopole du confort intellectuel.

Marcel Aymé, Ibid

11 réflexions sur « La joie de voir crever le romantisme »

  1. Restif

    Aymé s’amuse, et comme tous les écrivains de race qui s’amusent, ils effleurent des vérités par la tangente, l’ironie lui permet d’associer totalitarisme à confort intellectuel ce qui est bien loin d’être le dernier mot de son livre qui d’ailleurs ne vise aucunement au message mais plutôt à un sain anarchisme né de la remise en question des statuts dites indéboulonnables. On sait qu’il adorait Baudelaire, ce qui rend pour le moins ironique la démolition du sonnet sur la Beauté. Mais par contre, il met en lumière, notamment à travers la dénonciation souriante des excès du surréalisme (surtout celui de es épigones, des petits surréalistes) le possible germe de dégénérescence au sein du langage que dénonçait déjà un Mallarmé qui rêvait d’une réforme du Verbe. Il serait intéressant de mettre en parallèle ce que dit Aymé « par la bande » et parfois ouvertement avec les inquiétudes exprimés par Tocqueville, notamment dans la Deuxième démocratie, sur l’avenir de l’art, et particulièrement de la littérature, dans les sociétés démocratiques. Tocqueville craignait les pire hybridations, l’oubli de tout canon, l’imagination comme seul critère, un imaginaire chaotique, déchaînné, n’étant plus justifié que par lui-même (justifié par ses seuls excès?).Nous qui aimons la Sf et d’autres « para littérature » (oh , quelle appellation stupide forgée par des cuistres qui n’ont rien lu de ce qu’ils nomment !) nous ne suivront pas Tocqueville en tous points, mais de fait, la fin de tout canon va de pair avec cette fin du littéraire dont parle roth dans « exit le fantôme ». bien que je me refuse à y croire (lire un Orhan Pamuk suffit à rassurer.C’est jusre l

    1. Il Sorpasso Auteur de l’article

      Restif, connaissez ce texte de jean clair :
      http://www.nouveau-reac.org/textes/jean-clair-le-surrealisme-et-la-demoralisation-de-loccident/

      ?

      (bien qu’il fasse l’erreur d’inclure Baudrillard, qui n’a fait, dans son texte relatif au 11/09 que « retranscrire » l’imaginaire occidental terminal)

      La disparition des canons, et l’éventuel avènement d’un nouveau style-valable- ou au contraire la validité d’un retour aux sources (rabelaisien? ) me parait être LA question qui résume toutes les autres, à commencer par celle concernant la disparition de la littérature. Elle n’a pas disparu, elle n’est pas « malmenée » directement par l’époque, elle se cherche, parce qu’elle ne correspond plus à l’époque, qu’elle n’a plus dans sa boite (stylistique) l’outil correspondant pour démonter l’époque. C’est aussi pour ça que Roth me semble trop léger et orgueilleux dans Exit, « je n’y vois plus rien, alors la littérature est foutu et que je deviens grincheux, etc » ô combien plus amusant aurait été un personnage aussi vieux mais capable de se révéler plus jeune et ardent que ses « ennemis » ne serait-ce qu’en créant la confusion (cf le texte de Muray sur Tom Sharpe et son Wilt, grincheux, réac, harcelé par l’époque mais capable en jouant son jeu à fond, de la faire tourner bourrique)..Par exemple le narrateur aurait pu aller dans le sens du jeune arriviste et lui refiler de fausses infos tellement énormes que c’en deviendrait grotesque « incestueux ? oui ! tout à fait ! et je ne vous parle pas de ce qu’il faisait à son chien ! tout à fait ! j’ai les preuves ! »… Révéler le ridicule de l’époque par le grotesque, son horreur par le grand-guignol, etc..D’ailleurs certains desouchiens parle de « méthode écossaise » mais ils ne vont pas assez loin là-dedans, mais instinctivement-car il s’agit d’instinct de survie, de la capacité à s’adapter, même de s’hyperadapter-ils ont compris. C’est le darwinisme social pris à son propre piège. De toutes façons, à long terme, c’est ce qui arrivera « concrètement ».

      1. Ignatius

        « Elle n’a pas disparu  » Et quand bien même ? la littérature ( et vous le savez ! ) peut intégrer sa propre disparition.
        Pour ce qui est d’un retour au source, à la source romanesque c’est impossible – cela reviendrait à courir après une humanité qui n’est plus nôtre. On peut toujours mimer. Faire semblant d’y croire.

        la fin de la littérature, sa mise à mort consciente revient à la ressusciter. Il va falloir ( et vite ) trouver un langage propre à faire passer tout le comique, la caricature saillante, la moquerie, le rire de Dieu.
        Exit Jean Clair vs Isidore Ducasse, exit classique contre moderne, ça ne PEUT PLUS avoir lieu. La littérature fait semblant ne pas avoir capter la disparition du réel.

  2. Restif

    la primauté européenne qui s’effondre^^), le fait que à côté de la littérature, plus sage formellement, musique, arts plastiques, suivent une pente qui les pousse vers une forme de chaos représentatif de l’époque, tout cela permet des questionnements intéressants. Surtout ne pas conclure: « Le bêtise, c’est de conclure » (Flaubert)
    Merci Il sorpasso pour ces morceaux exquis. J’espère que nous verrons la bonne dame qui vit chez Lepage.

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