Et les luttes ayant pris fin, les peuples se dispersèrent, rentrant dans les nefs, afin de prendre leur repas et de jouir du doux sommeil. Mais Akhilleus pleurait, se souvenant de son cher compagnon; et le sommeil qui dompte tout ne le saisissait pas. Et il se tournait çà et là, regrettant la force de Patroklos et son coeur héroïque. Et il se souvenait des choses accomplies et des maux soufferts ensembles, et de tous leurs combats en traversant la mer dangereuse. Et, à ce souvenir, il versait des larmes, tantôt couché sur le côté, tantôt sur le dos, tantôt le visage contre terre. Puis il se leva brusquement, et plein de tristesse, il erra sur le rivage de la mer. Et les premières lueurs d’Eôs s’étant répandues sur les flots et sur les plages, il attela ses chevaux rapides, et, liant Hektôr derrière son char, il le traîna trois fois autour du tombeau du Ménoitiade. Puis il rentra de nouveau dans sa tente pour s’y reposer, et il laissa Hektôr étendu, la face dans la poussière.
Homère, Iliade, Chant XXIV (extrait), trad. Leconte de Lisle.
Wikipedia: Patrocle. En effet, pour beaucoup des Grecs, l’émotion démesurée dont fait preuve Achille à la mort de Patrocle et son ardeur à le venger ne laissent aucun doute sur la nature de leurs relations: la réserve d’Homère est perçue comme un signe de discrétion. Eschyle développe ce motif dans sa tragédie perdue les Myrmidons : il représente sans détours (fr. 228b Mette) Achille pleurant sur le corps de son ami, célébrant la beauté de ses hanches et regrettant les baisers qu’ils s’échangeaient. Chez Eschyle comme chez Eschine, Achille est l’éraste et Patrocle l’éromène.
Ouais… l’ homo de l’époque c’était pas un pédé… :-D… il avait des couilles et aurait boté le cul à toutes les tafioles de la Gay Pride d’aujourd’hui.
Peut-être même aussi à deux ou trois hétéros^^
C’est pas plutôt Leconte de LISLE ? Et puis ces Akhilleus et ces Patroklos, ça sent son époque et son pédantisme, hé…
lemerovingien : oui mais Achille est l’homme des grandes colères (après tout l’Iliade commence par une colère d’Achille aux conséquences funestes, colère due à… une histoire de butin et de filles) et des retournements émotionnels brusques (voir le dialogue avec Priam où Achille passe de l’envie de tuer priam à la tendresse presque filiale).
Je ne peux que recommander à nouveau la lecture des Noces de Cadmos et Harmonie de Calasso, livre souvent hermétique, mais qui donne d’Homère une vision neuve et éclatante.
Bon évidemment, cette histoire de butin et de filles est aussi une question de principes, de justice et d’honneur… j’aime beaucoup les répliques terribles d’Achille à Agamemnon dans le premier chant :
« Ah ! revêtu d’impudence, âpre au gain ! Comment un seul d’entre les Akhaiens se hâterait-il de t’obéir, soit qu’il faille tendre une embuscade, soit qu’on doive combattre courageusement contre les hommes ? Je ne suis point venu pour ma propre cause attaquer les Troiens armés de lances, car ils ne m’ont jamais nui. Jamais ils ne m’ont enlevé ni mes boeufs ni mes chevaux ; jamais, dans la fructueuse Phthiè, ils n’ont ravagé mes moissons : car un grand nombre de montagnes ombragées et la mer sonnante nous séparent. Mais nous t’avons suivi pour te plaire, impudent ! pour venger Ménélaos et toi, oeil de chien ! Et tu ne t’en soucies ni ne t’en souviens, et tu me menaces de m’enlever la récompense pour laquelle j’ai tant travaillé et que m’ont donnée les fils des Akhaiens ! Certes, je n’ai jamais une part égale à la tienne quand on saccage une ville troienne bien peuplée ; et cependant mes mains portent le plus lourd fardeau de la guerre impétueuse. Et, quand vient l’heure du partage, la meilleure part est pour toi ; et, ployant sous la fatigue du combat, je retourne vers mes nefs, satisfait d’une récompense modique. Aujourd’hui, je pars pour la Phthiè, car mieux vaut regagner ma demeure sur mes nefs éperonnées. Et je ne pense point qu’après m’avoir outragé tu recueilles ici des dépouilles et des richesses.
…
Lourd de vin, oeil de chien, coeur de cerf ! jamais tu n’as osé, dans ton âme, t’armer pour le combat avec les hommes, ni tendre des embuscades avec les princes des Akhaiens. Cela t’épouvanterait comme la mort elle-même. Certes, il est beaucoup plus aisé, dans la vaste armée akhaienne, d’enlever la part de celui qui te contredit, Roi qui manges ton peuple, parce que tu commandes à des hommes vils. S’il n’en était pas ainsi, Atréide, cette insolence serait la dernière. Mais je te le dis, et j’en jure un grand serment : par ce sceptre qui ne produit ni feuilles, ni rameaux, et qui ne reverdira plus, depuis qu’il a été tranché du tronc sur les montagnes et que l’airain l’a dépouillé de feuilles et d’écorce ; et par le sceptre que les fils des Akhaiens portent aux mains quand ils jugent et gardent les lois au nom de Zeus, je te le jure par un grand serment : certes, bientôt le regret d’Akhilleus envahira tous les fils des Akhaiens, et tu gémiras de ne pouvoir les défendre, quand ils tomberont en foule sous le tueur d’hommes Hektôr ; et tu seras irrité et déchiré au fond de ton âme d’avoir outragé le plus brave des Akhaiens. »
(même source que VV)
Il s’est fait fumer son pote, alors forcément, il l’a mauvaise, il en peut plus, c’est l’insomnie ! Faut bien se passer les nerfs, se changer les idées.
Mais bon, aller chialer sur la plage, c’est vraiment du kitsch homo de première bourre. A tous les coups, Homère avait prévu de faire un remake du « Secret de Brokeback Mountain » sur le retour d’Achille, et puis il s’est ravisé, et il a fait l’Odyssée, sur une ligne plus hétéro.
Et puis Achille, il fait un peu enfant gâté, toutes ces histoires pour une esclave qu’Agamemnon lui a piqué, et vas-y que je boude dans ma tente… Avec Ulysse, au moins, y’a du sexe, de la drogue et de la baston. Nettement moins élitiste, mais beaucoup moins chiant.
Au XIXème siècle on interprétait l’Iliade comme une œuvre intéressant les hommes (la thématique guerrière) et l’Odyssée comme une œuvre intéressant avant tout les femmes (romans d’aventure et roman photo sur l’amour).
Ouais ben à Troie, on n’avait guère le choix pour chialer. C’était la plage ou risquer de se prendre un javelot troyen du côté des terres… remercions Homère de nous avoir épargné Achille et Patrocle courant nus au bord de l’eau en s’arrosant et en riant.
Ce qui me fascine dans l’Odyssée, c’est que (selon moi) malgré l’interprétation qu’il est convenu d’en faire, ce récit ne reflète pas une vision cyclique du monde, mais au contraire une vision linéaire… Certes, Ulysse a un but, revient à son point de départ et boucle la boucle, mais il n’en demeure pas moins qu’à chacun des épisodes, il se confronte à de l’inédit, explore de l’inédit… Il retourne à Ithaque, mais il va vers l’Ouest, surtout.
L’Odyssée , non-cyclique ?!?
J’ai plutôt l’impression que c’est la Quête du Graal qui a été la première vraie rupture .
Je connais la lecture qui en est faite… Mais le fait que les obstacles rencontrés ne se ressemblent pas, qu’ils ne renvoeint pas aux précédents, me donne l’impression d’une linéarité… C’est une oeuvre d’Art, pas une thèse, on doit ressentir les choses, pas les comprendre, me semble-til…
J’en parle telle que je l’ai ressentie , pas telle que d’autres l’ont analysée . Prenez une spirale , elle dessine un cercle , mais elle ne passe pas deux fois au même endroit , elle s’éloigne à chaque fois du centre , en suivant à chaque fois la même trajectoire .
La Quête du Grall en tant qu’alliance du paganisme et du Christianisme est peut-être un lieu commun , mais il me semble assez juste , c’est la fin du « pur cycle » .
Oui, une spirale dont l’alignement des points formerait un « ressort ». C’est effectivement une sorte de synthèse géométrique entre la « ligne » chrétienne et le « cercle » païen.
Cette spirale, linéaire et cyclique, ça me rappelle de vieux souvenirs des troubadours… la sextine d’Arnaut Daniel, qui avance et revient sur elle-même, tout ça. Les troubadours, qu’on peut voir aussi comme alliance du christianisme et du paganisme (Ezra Pound ?).
« Cette spirale, linéaire et cyclique, ça me rappelle de vieux souvenirs des troubadours… la sextine d’Arnaut Daniel, qui avance et revient sur elle-même, tout ça. Les troubadours, qu’on peut voir aussi comme alliance du christianisme et du paganisme (Ezra Pound ?). »
Je me souviens avoir évoqué cela avec l’ami XP quand nous nous sommes rencontrés. Cette spirale évoqué aussi quelque chose de fondamental : l’ADN.
L’Acide Désoxyribonucléique dont l’acronyme n’est pas sans évoquer, par une curieuse résonance (mais je suis de ceux, un peu fous, qui ne croient pas au Hasard dans des cas comme celui-là) un des Noms du Seigneur des seigneurs et du Roi des rois tel qu’il s’écrivait en Hébreu ancien (langue écrite sans voyelles) : ADoNaï.
C’est ça ! Tout se rejoint ! L’ADN , le chiffre 3 , le triangle , les pyramides , les francs-maçons , l’apocalyspe , 2012 , les mayas , Roswell , le 11 septembre , le mossad , les illuminatis , les manuscrits du vatican ! J’ai tout compris ! Qu’ils essayent de nous faire taire , maintenant !
En français, c’est ADN, en anglais DNA… hum bon que bon.
Pour A.Daniel, faudrait demander à Restif… si l’on se contente d’aller sur wiki, voilà sur quelle image on tombe, à propos de la sextine hihi :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Sextine
Oui, je sais bien… mais permettez-moi de faire des assertions de poète et de dresser les ponts qui m’interpellent entre telle notion et telle autre. Ne commençons pas à argumenter avec des babouches aux pieds… ^^
En tout cas… L’ADN est notre support héréditaire, renfermant en lui notre passé trans-générationnel et une bonne part de nos futurs potentiels.
Ah mais faites ! Je suis plutôt imperméable à ces Signes (quoique…), mais j’aime voir ceux qui y ont une pente naturelle se livrer à ce genre de spéculations, pourvu que ce soit avec grâce…
Tout ça me fait penser à certains textes de Caillois, en particulier « La Dissymétrie », dans lequel il parle du développement en spirale des formes naturelles (et en spirale orientée vers la droite, la structure de la nature étant universellement orientée vers la droite, selon Caillois – sous réserve de mes souvenirs)…
Pardonnez-moi mes redondaces… je suis fatigué et travaille du matin en ce moment… 6h30/13h30. Life is tough !
L’Odyssée est le nom d’Ulysse, « Odysseus » comme l’écrit ce cher vieil archaïsant -ou puriste – de Lecomte, ce qui à l’avantage capital de rappeler, ce qui est loin d’être un détail, que l’œuvre porte le nom de son héros. Donc Ulysse à mon sens ne peut pas être un cycle au sens où il y aurait circularité, sauf au sens où tout homme est à lui-même son propre cycle de l’utérus au sépulcre. Il y a linéarité dans le temps.
Le retour à Ithaque, avec toute sa violence (relire la scène de la mort d’Antinoous qui est soigneusement décrit en train de savourer la vie, le vin, oublieux de toute finitude), violence qu’il ne faudra pas moins que la venue d’Athéna pour apaiser (car cette violence, elle continue jusqu’à l’arrivée de la déesse :la querelle familles des prétendants/maison d’Ulysse ne cesse qu’avec elle) ce qui laisse augurer pour le moins une fin de règne tendu , ce retour au sein d’un massacre est tout simplement la figure de la fin. Déjà, Télémaque a commencé de remplacer son père -dès le début de l’œuvre. Puis les aventures sur mer du héros sont contées par Ulysse chez Antinous, déclenchées parce que le voyageur entend l’aède raconter sa querelle avec Achille. L’histoire entraine l’histoire, la légende la légende, le retour marin d’Ulysse , sa geste est déjà pages d’un livre, mémoire d’un barde.
Certes, Ulysse revient à Ithaque, mais ce n’est plus le même homme. Le lieu ne pose pas la circularité comme essence de ce qu’est Ulysse. Lorsqu’il revient, sa vie comme héros est presque derrière lui- ne manque que ce massacre des prétendants nécessaire à la reconquête de sa femme et de son trône. Devenu « personne » sur l’ile du cyclope, devenu un personnage qui chante sa propre légende, il doit faire à nouveau ses preuves de royauté, ce n’est pas un rétablissement du même. Télémaque en est le preuve-la flèche du temps est présente à travers ce fils qui agit sous le conseil des dieux.
Et c’est pourquoi, sur l’Odyssée-Ulysse ma lecture rejoins celle d’ XP. Il ne s’agit pas tant d’un cycle qui se bouclerait sur lui-même que l’histoire d’une singularité, d’une existence. D’ailleurs nous avons pour nous un grand lecteur de ce chef d’oeuvre, Dante, qui invente la fin qui, à ses yeux, est dans la logique d’Ulysse (chant 26 de l’Enfer) :
«Quand je parvins à me soustraire à la puissance de Circé, qui me tint éloigné des hommes pendant plus d’un an, auprès de ce lieu qu’Enée a cru, depuis, devoir nommer Gaète, ni les embrassements d’un fils, ni la douleur d’un vieux père, ni l’amour de mon épouse Pénélope, qui aurait dû assurer son bonheur, ne purent vaincre en moi le désir de connaître le monde, ses vices et ses vertus. Je m’abandonnai, dans la haute mer, sur un vaisseau avec le peu de compagnons qui s’étaient attachés à mon sort : je vis l’un et l’autre rivage jusqu’à l’Espagne, la Sardaigne, les îles voisines, et la partie du royaume des Maures que la mer baigne de ses flots. Moi et mes compagnons nous étions atteints par la vieillesse qui affaiblissait nos forces, lorsque nous arrivâmes à ce détroit où Hercule plaça les deux signaux qui avertissaient l’homme de ne pas pénétrer plus avant. Je laissai Séville à ma droite, comme j’avais laissé Ceuta à ma gauche. «0 mes compagnons, dis-je alors, qui êtes arrivés dans les mers de l’Occident, après avoir bravé tant de dangers, et qui n’avez, comme moi, que peu de temps à survivre, ne vous refusez pas, en marchant contre le cours du soleil, la noble satisfaction de voir l’hémisphère privé d’habitants ; considérez votre dignité d’homme : vous n’avez pas été appelés à vivre comme la brute, mais vous devez acquérir de la gloire et de sublimes connaissances».
A cette courte harangue, mes compagnons furent enflammés d’une telle ardeur pour continuer le voyage, qu’à peine aurais-je pu la contenir : nous dirigeâmes la proue vers le couchant, et, nous abandonnant à la folle entreprise, nous poursuivîmes notre route vers la gauche.
Déjà la nuit voyait se déployer devant elle toutes les étoiles de l’autre hémisphère ; l’astre polaire ne se montrait plus qu’à l’extrémité de l’horizon : nous avions vu cinq fois reparaître l’éclat argenté de la lune, depuis que nous entreprenions ce grand voyage, quand nous aperçûmes une montagne que la distance rendait encore obscure, et qui était la plus haute que j’eusse encore observée. Nous nous livrâmes à une joie qui bientôt se changea en douleur. Il s’éleva, de cette terre nouvelle, un tourbillon qui vint frapper la proue du vaisseau ; trois fois la tempête fit tourner le navire, puis elle fracassa la poupe, et, comme il plut à cet autre, l’Océan se referma sur nous». (Trad.Arnaud de Montor)