Voilà qu’ils en viennent au pays. C’est leur grand thème de conversation numéro deux. Comme d’autres divisent l’univers entre la vie et l’écriture, la clarté et la ténèbre, le bien et le mal, le beau et le laid, ils divisent leur univers entre la guerre et le pays. Quand ils disent « à la maison » ou « chez nous », ce n’est pas qu’ils pensent à une quelconque tache de couleur sur la carte. Le pays, c’est le coin où ils jouaient étant enfants, le gâteau du dimanche que la mère a mis au four, la petite chambre sur le derrière, les gravures au-dessus du divan, un rayon de soleil par la fenêtre, le jeu de quilles chaque jeudi que Dieu fait, la mort dans son lit avec nécrologie dans les journaux, cortège funèbre et hauts-de-forme dodelinant derrière. Le pays n’est pas un slogan : ce n’est qu’un petit mot modeste, mais c’est aussi la poignée de terre où leur âme s’enracine. L’Etat, la nation sont des concepts flous, mais ils savent ce que pays veut dire. Le pays, c’est le sentiment que la plante est capable d’éprouver.
Ernst Jünger – La guerre comme expérience intérieure ; Édition Christian Bourgois, p. 135
Il est certain que je me sentirais plus chez moi à Munich, Londres ou Milan que dans les « quartiers » de Vaux en Velin, Saint Denis ou La Courneuve.
Et que je prendrais plus volontiers le fusil avec Hans, John ou Marco qu’avec Mouloud et ses frères.