En complément de ce post : La mer couleur de vin, une intéressante réflexion sur la perception des couleurs dans l’histoire et la symbolique qu’on leur attribue.
Envisagée dans la longue durée, l’histoire de la couleur bleue au sein des sociétés occidentales est celle d’un complet renversement des valeurs. Pour les peuples de l’Antiquité classique, en effet, cette couleur compte peu. Or aujourd’hui le bleu est de loin la couleur préférée de tous les Européens, quel que soit leur pays d’origine. (…)
Ce qui est certain, (…) c’est que ce goût immodéré des Européens pour le bleu ne remonte nullement à « une lointaine Antiquité ». Il date du Moyen Age central, et plus précisément des XIIe -XIIIe, siècles. On peut même parler pour cette époque d’une véritable « révolution bleue ».
Dans l’Antiquité gréco-romaine, le bleu est une couleur généralement peu appréciée et dont on fait un usage modéré. Pour les Romains, par exemple, le bleu est la couleur des Barbares, notamment des Celtes et des Germains. Non seulement parce que ceux-ci ont souvent les yeux bleus – ce qui à Rome est dévalorisant – mais aussi parce que, chez plusieurs peuples de Gaule, de Bretagne et de Germanie, certains guerriers ont coutume de se peindre le corps en bleu avant de partir au combat. Pour ce faire, ils emploient de la guède, plante dont ils tirent une matière colorante leur servant à se peindre le corps et à teindre leurs vêtements. À Rome, personne ne s’habille de bleu ; ce serait extravagant. Aux dires de César et de Tacite, ce bleu un peu grisé donne à ces guerriers barbares un aspect « fantomatique » qui effraie leurs adversaires.
Le vocabulaire lui-même souligne cette méfiance ou ce désintérêt des Romains pour la couleur bleue. Dire « bleu » en latin classique n’est pas un exercice facile. Il existe certes un grand nombre de mots, mais aucun ne s’impose vraiment. Tous sont en outre polysémiques et expriment des nuances imprécises. Ainsi le mot cæruleus, le plus fréquent pour dire bleu à l’époque impériale, désigne à l’origine la couleur de la cire. Les frontières entre bleu et noir, bleu et vert, bleu et gris, bleu et violet et même bleu et jaune restent floues et perméables. Il manque au latin un ou deux termes de base qui permettraient d’asseoir solidement le champ lexical, chromatique et symbolique du bleu, comme cela se fait sans difficulté aucune pour le rouge, le vert, le blanc et le noir. Cette imprécision du lexique latin des bleus explique du reste pourquoi, quelques siècles plus tard, toutes les langues romanes seront obligées de solliciter deux mots étrangers au latin pour construire leur vocabulaire dans la gamme de cette couleur : d’un côté un mot germanique (blau), de l’autre un mot arabe (azur)…
Je suppose que l’extrait proposé vient du passionnant petit livre de Michel Pastoureau ? Lequel a également publié un Noir tout aussi intéressant, même si un poil répétitif par rapport à Bleu.
Je ne saurai dire. J’ai archivé ce passage issu d’un site depuis disparu.
Intéressant. Je savais pas…
Pour les Parisiens et les Picards s’il y en a ici, profitez de la diffusion de cet article pour visiter la magnifique cathédrale d’Amiens, construite au XIIIe siècle, grâce au commerce de l’or bleu de Picardie :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cath%C3%A9drale_Notre-Dame_d'Amiens
http://www.cat-gezaincourt.org/mariusweb/waide02/waid02.html
Plusieurs siècles de richesse, de commerce de la guède à Amiens. Et le bleu alors peu utilisé, a supplanté le rouge dans l’utilisation des couleurs à cette époque.
« Non seulement parce que [les Germains et les Celtes] ont souvent les yeux bleus – ce qui à Rome est dévalorisant »
Ah merde. Dans les séries américaines sur Rome, les Romains ont tous les yeux bleus et les cheveux roux…et ils s’expriment en anglais !
Vérification, c’est bien tiré du livre passionnant de Pastoureau intitulé Bleu, histoire d’une couleur, que je me permets de recommander vivement. La version originale est un peu chère (mais abondamment illustrée, comme l’on dit), mais il existe une version “de poche”. La preuve.