Tanizaki offre une poésie rare, une littérature ciselée dont se dégage un léger parfum d’érotisme teinté de masochisme et de cruauté. Les destins sont brisés, les passions se consument, dans la beauté des mots. Tanizaki m’évoque la fin du printemps et le début de l’été, quand les nuits chaudes et humides, éclairées par les étoiles, donnent envie de s’éveiller à des phrases qui ont la légèreté des vers.
Le fleuve coule du nord au sud, bordé de nombreux villages. Un bras s’en détache en direction de Kawachi. […] Les demeures d’y pressent et s’y succèdent sans laisser d’intervalles. Les prostituées se réunissent en groupes et, montées sur des barques qu’elles poussent à la perche, elles visitent les grands bateaux et invitent leurs occupants à leur rejoindre sur leurs couches. Leurs voix traversent les nuages suspendus au-dessus du cours d’eau, leur musique flotte dans le vent qui souffle sur les flots. Parmi les passants il n’y en a pas un qui n’oublie sa maison.
Tanizaki, Le coupeur de roseaux – Folio p. 42
Les Notes sur les coutisanes rapportent le nom de femmes fameuses telles que Kannon, Nyoi, Kôro, Kujaku, ou encore Ko-Kannon, Yakushi, Yuya, Naruto. Où sont donc toutes ces femmes qui passaient leur vie sur l’eau ? Si pour leur nom d’artiste elles choisissaient des termes à consonnances bouddhiques, c’est, dit-on, qu’elles voyaient dans le commerce de leurs charmes une forme de compassion semblable à celle des bodhisattva.
Ibid., p. 43
A mesure qu’il prend de l’âge, l’homme voit naître en lui une forme de résignation, une disposition à accepter avec joie une dissolution en accord avec les lois de la nature ; il aspire à une vie tranquille et équilibrée. Aussi le spectacle d’un paysage vivement coloré le console-t-il moins que le face-à-face avec un tableau plus triste, et à la recherche des plaisirs réels préfère-il l’absorption dans ceux du passé. Autrement dit, l’amour du passé ; où les jeunes gens ne voient qu’une chimère sans rapport avec la réalité présente, représente pour le vieil homme l’unique moyen de vivre au présent.
Ibid., p. 54
Je partage votre admiration pour Tanizaki. Notamment pour La Clef et le Journal d’un vieux fou. Je vais me commander celui dont il est question ici.
Il faut lire tout Tanizaki. Jusqu’ici je n’ai jamais été déçu.
C’est très joli, merci.
La vie secrète du seigneur de Musashi est l’une de ses meilleures histoire. Un subtile équilibre entre héroïsme, récit guerrier, passion cachée, fascination morbide et soucis des apparences.
A propos de Musashi, j’ai lu il y a longtemps un excellent roman, sorte de Dumas japonais : « La pierre et le sabre » suivi de « La parfaite lumière ». Quatre énormes tomes goûteux, un bonheur de lecture savoureux, un embarquement de l’imaginaire dans une histoire quasi légendaire qui redonne au mot « roman » tout son sens d’aventure, de plaisir, de joie voyageuse de l’esprit.
Oui c’est pour un peu plus tard. ^^
J’envie ceux qui ne l’ont pas encore lu. Mais alors d’une envie…verdâtre! bilieuse! mauvaise!
Et vous croyez que j’avais besoin de votre aide pour dépenser tout l’argent du ménage en livres ? Pfff !
C’est amusant que vous en parliez, c’est depuis deux soirs, mon livre de chevet.
la pierre et le sabre et la parfaite lumière sont deux formidables romans initiatiques et d’aventures, que j’avais lu avec enthousiasme et passion à 14 ans! A la même époque j’avais dévoré « Un amour insensé » de Tanizaki, une histoire d’amour très drôle (une sorte de « l’ennui » de Moravia en plus déjanté). tant et si bien que je n’avais alors pas pris conscience du pessimisme de l’auteur. J’ai « le gout des orties » et « svastika » mais je ne les ai jamais lus quelqu’un les conseille ?
Svastika est très bon. Pas encore lu le gout des orties, mais Tanizaki est une valeur sûre.
(roman qui se présente comme un biographie de Musashi, l’auteur du Go Rin No sho , « Le traité des cinq roues » (pour amateurs forcenés d’arts martiaux, ou d’affaires vu qu’il parait que les japas s’en servent dans le bizness). Il en circule une très mauvaise traduction faite sur..l’Anglais, non l’original japonais. on a fait le coup à Mishima aussi…
Ps Il existe aussi un « journal d’un fou » de Luxun, un Chinois. Remarquable.
C’est Mishima lui-même qui a exigé que ses traductions françaises soient faites à partir des traductions anglaises. Je ne sais plus la raison, mais c’était très sérieux.
Quand même Nebo; demande à n’importe quel spécialiste de la traduction : retraduire sur une traduction, le résultat est toujours lamentable. Je ne sais plus quel Mishima j’ai ainsi dont la syntaxe est une atrocité, l’écriture une pauvre chose blafarde. Reste tout juste un mince squelette de récit perdu dans le brouillard marron terne d’un verbe sans relief, morne, bourré de fautes de style. A côté de ça, deux pages d’un Mishima traduit directement du japonais, c’est tout autre chose. Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’auteur à tous les droits sur son texte -surtout une fois qu’il est sorti. Il est homme, il peut se tromper. Kafka avait tort de vouloir brûler son oeuvre, et heureusement que Brod ne l’a pas écouté. Virgile de même, la perte de l’Eneide n’aurait satisfait que son ego, on aurait supputé des siècles sur le chef d’oeuvre perdu. Il faudrait certes connaître les raisons de Mishima (affaire de droits?) mais le bonhomme était bizarre, et les lois de la traduction existent. D’autre part il faut se défier des éditeurs, surtout les français.Nous avons une réputation épouvantable dans le monde.
@ Didier Goux : Allons, la librairie a besoin de piliers tels que vous pour survivre! Au fait, je n’arrive pas à retrouver le titre d’un livre que vous m’aviez conseillé à l’époque d’une discussion sur Le maître et Marguerite, livre que je comptais commander cet été. J’ai beau chercher dans vos archives, rien. Si c’était un effet de votre bonté..ça vous dit quelque choser? Un livre sur l’amitié, l’alcool, un roman français…
Voilà sans doute pourquoi j’avais trouvé Mishima assez illisible… Traduire à partir d’une « langue relais » se fait en interprétation, quand on ne dispose pas d’un interprète pour une certaine langue. Mais c’est un pis aller, les résultats sont rarement brillants ni très intelligibles. Exemple, l’interprète français ne connaît pas le russe, il retraduit à partir de l’interprétation de son collègue anglais. L’anglais sert alors de « langue relais ».
Cela se pratique aussi en traduction pour les langues « rares » mais là aussi quand on ne peut pas faire autrement. Pour une oeuvre littéraire cela me paraît très peu professionnel, comme un chirurgien qui opèrerait sans ses lunettes, et il faudrait vraiment une conjonction exceptionnelle de talents pour que le résultat soit beau. Les traducteurs du japonais ne couraient peut-être pas les rues, mais l’explication qui semble la plus probable est un caprice de l’auteur…
Probablement, Restif, je n’ai aucune opinion sur le sujet ne parlant pas japonais et n’ayant pas lu ses oeuvres en anglais. J’ai juste précisé cela car je sais que ce désir de traduction en français à partir des traductions anglaises émanait de lui. Je n’en connais pas la raison ou je l’ai oublié. Peut-être que j’ai lu cela dans la biographie que lui a consacré M. Yourcenar (« Mishima ou la vision du vide ») mais je n’en suis même pas sûr, comme je l’ai lu il y a 25 ans… ça date. Il doit y avoir une raison précise à ce choix de Mishima, tout de même. Je ne pense pas que ce soit gratuit. Y-a-t-il une restitution plus apte à faire sens dans la tronche du lecteur français malgré un éloignement du texte originel parasité par la langue de Shakespeare. Je ne saurais le dire, je n’y connais rien.
En tout cas… « Le Marin rejeté par la mer », « Confessions d’un Masque », « Le Soleil et l’Acier », « Le Pavillon d’Or », « Le Japon moderne et l’éthique Samouraï »… m’ont enchanté.
J’ai lu l’année dernière quelques nouvelles de Mishima sous le titre de « Une matinée d’or pur » (le titre me plaisait) et il est écrit qu’elles sont traduites du japonais par un japonais et un français conjointement.
Ce passage, dans la première nouvelle est aussi très poétique et de façon générale toutes les nouvelles ont une écriture extrêmement poétique :
« Pouvait-on imaginer un paysage aussi élégant qui fût à ce point chargé de mélancolie? On n’apercevait çà et là rien d’autre que des bosquets de pins et d’arbustes. D’innombrables petits reliefs transformaient cette montée en une suite de lacets, et il aurait été impossible de dire le nombre de petites villas qu’on entrevoyait entre les bois et les rochers dans ces vallonnements et que coloraient tantôt un jardin fleuri, tantôt une pergola de fleurs. Car, à partir de la porte de la villa, s’étendaient à perte de vue des champs broussailleux, des tas de rochers, des bois lointains, et on ne voyait pas une maison, mais si on allait à la porte d’une autre villa, à tout juste une centaine de mètres de là, nulle trace de la première villa, et alentour on ne distinguait plus que des herbes et des fleurs, des rochers anguleux et, au loin, la mer lumineuse.
Ce secret d’une subtile configuration semblait conférer à ce magnifique paysage du promontoire encore plus de mystérieuse et érémitique beauté. L’habitant d’une des villas devait finir par croire qu’il n’y avait ni maison ni âme qui vive à plusieurs lieues à la ronde, jusqu’au jour où, au détour d’une promenade, il tomberait, tout près de chez lui, sur une roseraie d’un charme enchanteur, devant une petite maison, et il ne voudrait pas en croire ses yeux; s’il touchait une fleur, aussi bien le diapré de la couleur rose et moite que l’ombre nette se découpant sur les feuilles vertes prouveraient la réalité des roses, et, dans sa stupeur, il verrait des volets s’ouvrir, avec un grincement de loquet, et leurs ombres courir, puis apparaissant à la fenêtre, l’habitant de ces lieux lui adresser un salut amical… La sensation d’étrangeté atteindrait alors à son comble. Sur ce promontoire, dix ou vingt minutes de promenade suffisaient pour pénétrer dans un univers de conte de fées et pour en ressortir. »
Cette magnifique description d’un paysage japonais (presqu’île de Bôsô) me fait irrésistiblement penser à des paysages du sud est de la France, des paysages méditerranéens.
« Traduit de l’anglais en français, car Mishima connaissait la première de ses langues et avait révisé les traductions et tenait à ce qu’elles servent de base aux traductions en langues occidentales. »
http://www.schizodoxe.com/2008/07/31/mishima-a-life-in-four-chapters/
( il y a une pub super ch*** qui apparait et que je n’arrive pas à effacer. cete multiplication des pubs sur le net en ce moment m’énerve à un point! elles s’imposent de plus en plus.)
Est-ce suffisant? A-t-il eu vraiment le temps de relire le français? enfin l’important, cher Nebo, c’est le bonheur que tu as pris à lire.
@ La crevette : Merci de ce superbe extrait. Je vote quand même traduction japonais-français. Mais il me faudrait pouvoir lire le même texte en deux trad’s.
euh, c’est l’anglais que connaissait Mishima. Donc « A-t-il eu vraiment le temps de relire le français? » est à mettrer sur le compte de ma décrépitude précoce (et de mes nombreuses lecture de Terby.Que voulez-vous, cet homme est pire que Lovecraft).