Toute une mythologie du cinéma et de la littérature met en scène un super-méchant, un type à la jointure de tous les trafics, de tous les centres de pouvoir, mi-bandit mi-bureaucrate, voilà le portrait d’un docteur No. en puissance. Qui a-t-on comme super méchant dans l’histoire, comme type qui pourrait occuper la place de Numéro 1 dans l’organigramme du spectre? On pourrait penser à quelques chefs de guerre nazis, Goering pillait les collections d’art européennes pour son profit? On n’est pas convaincu. Ben Laden? Pourquoi pas, on imagine un réseau tentaculaire, avec des leviers de pouvoir ici et là, des relais dans l’armée. On peut aussi penser à des colonels ou à des généraux de l’armée turque, membres du réseau Ergenekon, au centre de mouvements extrémistes, avec un pouvoir militaire et des relais parmi le crime organisé. Voilà on commence à toucher de près le portrait du super-méchant. Il faut également que la soif de profit l’emporte sur les intérêts généraux et idéalistes qu’aurait pu avoir notre homme. Ainsi, le colonel ou le général turc agit-il, le croit-il, dans l’intérêt de la Turquie…refaire la grande Turquie sur un modèle ultra-nationaliste. Le colonel North n’entre pas dans cette catégorie, ces deals plus ou improbables iran-contra, il ne les a faits que dans l’intérêt des Etats-Unis, désormais, le brave colonel à la retraite, qui n’a jamais effectué sa peine, présente maintenant une émission d’histoire sur le réseau FOX. J’aurai pu prendre comme super-méchant, Manuel Noriega. Mais il est connu de tous; pas de doute que si un film lui était consacré, il remplacerait Tony Montana dans l’imaginaire de nos petites pépites. Si vous souhaitez en savoir plus Noriega, je ne peux que vous conseiller Les Aigles Noirs de Larry Collins, qui décrit par le menu l’itinéraire du Panaméen le plus célèbre. J’évite de parler des Khadafi et des Amin Dada, dont la bouffonnerie intrinsèque leur interdit le statut de super-méchant.
On commence à affiner le portrait de notre vrai méchant. Aujourd’hui, on pourrait imaginer un général de brigade mexicain oeuvrant dans les États du Nord de mèche avec les cartels tout en profitant du matériel de pointe dévolu aux militaires. Avec de longues recherches, j’imagine que je pourrai trouver un nom et broder dessus.
J’ai donc décidé de vous parler de Vladimiro Montesinos.
Ses parents l’ont nommé Vladimiro Ilyich – Ilyich comme Carlos – et il nait en 1945 de parents d’origines grecques et communistes. Ensuite parcours classique pour cette époque et ces territoires. Il fait son entrée dans l’armée, intègre la célèbre École des Amériques au Panama, puis l’académie militaire de Chorillos, Lima – Pérou. Notre homme est donc péruvien. RAS au début des années 1970, sinon qu’il monte en grade et rencontre les gens d’influence. En 1976, il est accusé d’espionnage au profit d’une puissance étrangère, à savoir les États-Unis, auxquels il a livré des documents ultra-secrets comme la liste des armes achetées par son pays, alors dirigé par une junte militaire disons d’inspiration marxiste pour aller vite, à l’URSS. Les preuves de sa trahison sont apportées sans trop de difficulté, et il est renvoyé de l’armée et fait un an de prison. Peine légère en comparaison des crimes commis. Après cela, il s’inscrit à la faculté de droit de Lima et obtient son diplôme d’avocat trois mois après son inscription…Il se met au barreau de Lima, en devient un membre influent. Il devient vraiment célèbre en défendant pléthore de barons de la drogue colombiens et péruviens. Accessoirement, il leur sert de prête-noms pour que ceux-ci puissent continuer leurs affaires tranquillement en louant des entrepôts…
Donc notre bon Vladimiro aurait pu continuer ses activités en toute quiétude, mais non, il a un compte à régler avec l’armée, alors il balance encore des informations sensibles à un journal. il est poursuivi, il fuit en Équateur à qui il livre encore des informations secrètes sur l’armement péruvien. Afin d’éviter tout scandale, l’Armée abandonne les poursuites et il peut retourner vivre à Lima.
Lors de la campagne de 1990, Fujimori alors, obscur candidat est poursuivi pour fraudes lors de différents deals immobiliers. C’est Montesinos qui le défend. Les preuves apportées contre le candidat d’ascendance japonaise disparaissent mystérieusement du bureau du greffe. Les poursuites tombent d’elles-mêmes. Fujimori est élu, Montesinos, devient son plus proche collaborateur, conseiller, ainsi que le chef des services secrets péruvien, le SIN (Servicio de Inteligencia nacional – bel acronyme pour un service secret…). On peut dire qu’il est à Fujimori ce que Kissinger a été à Nixon. On l’a aussi surnommé le »Raspoutine Péruvien », ce qui montre son pouvoir sur l’ensemble du pays. Il nomme à la tête de l’armée ses anciens compagnons de classes et institue un véritable réseau de corruption à tous les échelons du pays: médias, partis politiques…tout en multipliant les écoutes illégales de toute personne d’influence.
Parmi ses faits d’armes, on peut distinguer la création d’un escadron de la mort qui traquait et tuait quiconque apportait aide ou sympathie au Sentier Lumineux. On raconte aussi qu’il participait lui-même aux séances de torture. Pour cacher tout cela, il faut bien exercer un contrôle total des médias, ce qu’il fait bien entendu. L’armée , des entreprises prête-noms…rachètent tout ce qui est possible en sous-main si bien qu’il ne reste qu’un network indépendant et qui ne touche que 5% de la population.
Question trafic de drogue, sa postion était assez ambigue puisque sans tremper dedans directement, il laissait les trafiquants faire leur métier sans trop les emmerder, un peu comme Jed Hoover laissa le crime organisé prospérer pour ne réprimer que la menace communiste. Bien sûr, Montesinos touchait quelques pots-de-vins pour ses non-interventions. De plus, son organisation était payée 1 million de dollars par an par le DEA pour accroître la lutte contre le narco-traffic.
Cela aurait pu continuer longtemps. Mais il ya évidemment le faux-pas qu’aucune administration ne peut tolérer, surtout américaine. Donc notre brave Montesinos officialise un deal d’armes entre la Jordanie et le Pérou. La Jordanie doit livrer 10 000 AK-47 au Pérou. Montesinos est en charge de l’opération. En fait, il réalise une opération en sous-main pour le compte des…FARC. pas bon d’armer les ennemis des États-Unis.
Montesinos avait l’habitude de se filmer lorsqu’il remettait des pots-de-vins à des élus, journalistes, pour soutenir Fujimori. Peu après l’affaire des AK, une vidéo montrant Montesinos donnant une valise pleine d’argent à un élu du congrès pour qu’il fasse défection et rejoigne Fujimori. Après cela, c’est la boite de Pandore, tout sort. Fujimori a beau virer son affidé, dissoudre le SIN, rien n’y fera…Il a beau fuir au Venezuela, il est extradé manu militari vers Lima. On parle aussi de l’achat de trois MIG-29 russes pour une somme de 300 millions de dollars alors que ce serait plutôt autour de 100 millons, on cherche encore les 200 millions.
Il est inculpé de 63 chefs d’accusation, trafic de drogues, assassinats, corruption…Il a déjà pris 20 ans pour l’histoire des Kalachs, et enchaine les procés, encore aujourd’hui et est emprisonné dans une prison de haute sécurité qu’il a lui-même faite construire.
Enfin, je voudrais parler d’un personnage assez atypique qui a participé à la chute de Montesinons. Il s’agit de Baruch Iver, un Israélien qui s’installe à Lima dans au début des années 70. Il reprend une usine de matelas et devient vite le premier marchand de lits du pays. Il rachète d’autres entreprises. Il acquiert la nationalité péruvienne ce qui lui permet de racheter une télévision. Il est le premier à rendre compte et à montrer les exactions du SIN de Montesinos à la télévision. Ce dernier essaye de le corrompre et lui propose 19 millions de dollars pour adoucir son programme (alors que certains directeurs de TV étaient payés jusqu’à 2 millions de dollars mensuels pour ne rien dire de l’opposition et des crimes du SIN). La nationalité péruvienne est retirée à Iver. Il doit s’exiler et perd sa télévision. Finalement, il récupère tout au début de la chute de Montesinos.
Le 5 juin prochain, il y a le second tour de l’élection présidentielle qui opposera Ollanta Humala à Keiko Fujimori, fille de l’ex-président et ancienne First Lady péruvienne, lorsque son père a répudié sa mère…
Avec Vladimiro Montesinos, nous avons une bonne synthèse d’un super-méchant tel que fantasmé dans la fiction: militaire, traître, avocat véreux de trafiquants de drogues, marchands d’armes, chefs des services secrets, chef d’un escadron de la mort, blanchiment d’argent, corruption de journalistes et de politiques….
Très intéressant. J’adore ce genre de parcours historique.
Merci, si j’en ai d’autres qui me viennent à l’esprit, je vais peut-ëtre faire une série. Mais un texte plus court, plus de 700 et le lecteur décroche…
Tiens, pour t’aiguiller. Par contre, il te faudra faire des recherches, car je n’ai aucun nom ou source à te proposer, juste quelques bribes de mémoires.
J’ai lu, il y a quelques années sur un blog, l’histoire d’un ex-officier SS qui a réussi à passer entre les mailles du filet de l’alliance et est aller se réfugier non pas en Amérique du Sud celui-là, mais en Asie (Shanghai ou Taiwan, il me semble). Là-bas, il est devenu le gourou d’une organisation mi-secte mi-mafia qu’il avait créé et qui servit à Mao.