Les méfaits de l’instruction publique

Quelques extraits des Méfaits de l’Instruction publique de Denis de Rougemont, publiés en 1929.

La laideur des « collèges » n’est pas accidentelle. C’est celle-même du régime. L’architecture de nos « palais scolaires » symbolise d’une façon frappante ce qu’il y a de schématique et de monotone dans la conception démocratique du monde. Entrons, c’est pire encore.

« Les examens faussent complètement l’esprit de l’enseignement », lit-on jusque sous la plume de divers maîtres primaires et secondaires. Ils n’en sont pas moins devenus le but même de l’instruction ; la fin justifie les moyens et à quoi l’on subordonne tout, plaisir, goût du travail, qualité du travail, santé, liberté, sens de la justice et autres balivernes, instruction véritable et autres plaisanteries de gros calibre, car à la vérité ce n’est pas d’enseigner qu’il s’agit, mais de soumettre les esprits au contrôle de l’Etat, voyons donc, – n’avez-vous pas honte de vous faire rappeler sans cesse des vérités aussi élémentaires.

Le bon sens voudrait qu’on étudie d’abord la science dans sa réalité, puis qu’on se réfère au résumé comme à un aide-mémoire. Mais l’école veut qu’on commence par apprendre le résumé. D’ailleurs elle s’arrête là.

Les manuels ne correspondent à aucune réalité. Ils ne renferment rien qui soit de première main, rien qui soit authentique. Ils négligent toutes les particularités, toutes les « prises » où pourrait s’accrocher l’intérêt. Ils dispensent de tout contact direct avec ce dont ils traitent. Or la valeur éducative des choses n’apparaît qu’à celui qui entre en commerce intime avec elles. On apprend plus de deux que de mille, dit un sage oriental dont j’ai oublié le nom.

La discipline primaire forme des gobeurs et des inertes, fournit des moutons aux partis […]

Ce ne sont pas seulement les meilleurs qui sont sacrifiés. Voici ce que M. E. Duvillard dit des enfants peu doués pour les disciplines scolaires : « Les épaves scolaires, faute d’un traitement pédagogique approprié, tombent dans une apathie intellectuelle qui les conduit souvent à l’imbécillité et au vice. »

Je crois à l’absurdité de fait de l’instruction publique. Je crois aussi qu’on ne peut réformer l’absurde. Je demande seulement qu’on m’explique pourquoi il triomphe et se perpétue ; de quel droit il nous écrase.

La réponse est simple, terriblement simple : du droit de la Démocratie.

L’instruction publique et la Démocratie sont sœurs siamoises. Elles sont nées en même temps. Elles ont crû et embelli d’un même mouvement. Morigéner l’une c’est faire pleurer l’autre.
Écouter ce que dit l’une, c’est savoir ce que l’autre pense. Elles ne mourront qu’ensemble. Il n’y aura qu’une oraison. Laïque.

Car il faut bien se représenter qu’elle [l’instruction publique] n’était encore au XVIIIe siècle qu’une utopie de partisans. Il ne serait guère plus fou aujourd’hui qu’on répande universellement et obligatoirement l’art du saxophone ou de la balalaïka.

A peine capable de nous instruire, l’Ecole prétend ouvertement nous éduquer. D’ailleurs elle y est obligée dans la mesure où elle réalise son ambition : soustraire les enfants à l’Eglise et à la famille.

L’intégralité du pamphlet est disponible Chez les enfants de la zone grise. Bonne lecture.


16 réflexions sur « Les méfaits de l’instruction publique »

  1. XP

    Superbe ce texte!

    « L’école exige donc que les meilleurs ralentissent et que les plus faibles se forcent. Elle ne convient donc qu’aux médiocres, dont elle assure le triomphe.

    L’école s’attaque impitoyablement aux natures d’exception, et les réduit avec acharnement à son commun dénominateur. »

    « il n’y a pas d’égalité réelle possible tant que la loi est la même pour tous. »

  2. XP

    Ca aussi:

    « Dans une composition sur La Neige, Victoria, 10 ans, écrit : « C’est l’hiver. Déjà la terre a revêtu son blanc manteau. » Elle aura 10 sur 10. Mais on donnera 3 sur 10 à Sylvie pour avoir trouvé : « Quand il neige, c’est comme des petits morceaux de vouate. » Il est évident que Sylvie est supérieure à Victoria dans la mesure où l’invention est supérieure à l’imitation. Mais Victoria montre une âme docile, un rassurant défaut d’esprit critique, tandis que Sylvie appartient manifestement à la race dangereuse de ceux qui voient avec leurs yeux.

  3. Cyrano34

    Je trouve que cette charge a bien vieilli.

    Les examens ont été beaucoup critiqués depuis trente ans. Mais quand on les supprime à l’école on s’aperçoit que plus personne ne fait rien. Ils servent au moins à préparer l’élève à la compétition qu’il connaîtra plus tard, ne serait-ce que pour candidater à un poste, public ou privé. Maurice Druon disait que le concours était la seule forme honorable de sélection et de promotion, et que c’est grâce à lui que le modèle européen s’est imposé au monde.

    Quant à la critique des manuels, sous prétexte qu’ils “ dispensent de tout contact direct avec ce dont ils traitent… car la valeur éducative des choses n’apparaît qu’à celui qui entre en commerce intime avec elles ”, c’est un lieu commun qu’on nous a déjà servi cent fois.

    Il faudrait donc attendre que chaque élève réinvente la roue lui-même ! C’est évidemment une ânerie. Le savoir se transmet par les livres, depuis que l’écriture a été inventée.

    Là ou de Rougement a raison, c’est que l’école publique est liée à la démocratie. Je suis donc tenté de paraphraser Churchill : c’est le plus mauvais système d’éducation, à l’exeption de tous les autres.

    1. Vae Victis Auteur de l’article

      Si le concours est porteur de tant de qualités ce n’est pas le modèle européen qui aurait dû s’imposer au monde mais le modèle confucéen. Les civilisations asiatiques, légistes, bâties sur le modèle confucéen, étaient administrées par une armée de lettrés sélectionnés sur tout un système de concours, et cela depuis l’Antiquité.

      Les lieux communs ont ceci d’intéressant qu’ils sont vrais. Denis de Rougemont n’entend évidemment pas revenir à une transmission orale (?) mais mettre en valeur les documents authentiques, ceux qui sont porteurs d’intérêt. Un manuel est un résumé de résumé de résumé de résumé… Depuis l’antiquité jusqu’à l’école de Ferry, le manuel était un pense-bête dont on se servait pour revenir aux notions de base, et qui permettait d’explorer les notions plus complexes qui s’y rattachaient. Au lieu de cela le manuel a été substitué aux ouvrages de premières mains. L’école de Ferry se construit en opposition avec l’éducation libérale qui entendait frotter l’élève aux classiques pour qu’il apprenne des Anciens.

      Ensuite il est faux de dire que la suppression des examens plonge dans l’apathie, comme si seule la menace permettait d’apprendre. Des tas d’expériences montre qu’une éducation basée sur la soif de savoir et l’autonomie de l’élève parvient à d’excellents résultats. Ce qui en soi ne devrait étonner personne. Sauf que ce modèle éducatif s’adresse à un certain type d’enfants, ceux qui sont faits pour les choses de l’esprit, et qui s’emparent des livres presque à l’insu de leurs parents. D’autres enfants ont besoin d’une éducation stricte, quasi militaire, et de sanctions pour qu’on puisse en tirer quelque chose. Les enfants sont différents, ils ont donc besoin d’une éducation différente, c’est ce que retient Denis de Rougemont, et c’est ce dont les prive l’école publique bâtie comme un modèle unique et un monopole.

      1. nicolasbruno

        Le principal reproche que je ferais l’Education Nationale, c’est d’être égalitariste. De vouloir chercher à mixer les différences pour obtenir une pâte homogène. Ca ne fonctionne pas. On nivelle par le bas, alors qu’il faudrait hausser le niveau dans tous les domaines et instruire en fonction des différents publics. Examens et Concours sont ensuite les meilleurs moyens d’évaluation et de motivation.
        La pensée de gauche, c’est l’égalitarisme républicain, tout le monde sur le même format, pas de sélection, une pensée formatée, des futurs électeurs qui pensent bien et conforme.

    2. Baraglioul

      Le concours est un mode de sélection extrêmement médiocre, à l’égard de toutes les professions, mais tout particulièrement pour l’enseignement. Impossible de contrôler le sens de la pédagogie avec un examen écrit.

      Néanmoins, c’est l’unique processus de recrutement acceptable pour la fonction publique, car c’est le seul permettant un minimum d’objectivité. Pas possible de laisser les fonctionnaires chargés du recrutement, dont les intérêts ne sont nullement liés à la qualité des agents recrutés, décider de la sélection sur une base discrétionnaire (oui, je sais, en pratique, c’est quand même largement le cas…).

      C’est d’ailleurs une des raisons de la nocivité de la fonction publique : pour parer au copinage, on est obligé d’adopter un mode de sélection extrêmement médiocre.

      En même temps, avec les progrès du « CV anonyme » et autres « à CV égal, salaire égal », il faudra peut-être un jour passer un examen pour être recruté dans le privé…

  4. Cherea

    il y a beaucoup à dire mais…on ne peut nier que l’expression Instruction publique était bien meilleur que celui d’Éducation nationale…l’éducation est du domaine des parents, certainement pas celui des professeurs…à la limite on peut leur confier l’instruction.

  5. Paracelse

    Le bon sens voudrait qu’on étudie d’abord la science dans sa réalité, puis qu’on se réfère au résumé comme à un aide-mémoire. Mais l’école veut qu’on commence par apprendre le résumé. D’ailleurs elle s’arrête là.

    C’est par cette méthode qu’Alain Soral est devenu un brillant intellectuel.

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