Henri Krasucki

En 1987, j’étais un jeune éditorialiste dans la presse de droite.

Le mur de Berlin n’était pas encore tombé, ce qui veut dire que des salauds communistes de l’époque faisaient trois repas par jour et nourrissaient leurs familles avec l’argent des goulags, via les versements occultes de l’Union Soviétique… Je ne vois pas tout à fait par quel miracle on pourrait tenir l’Europe de l’Ouest d’après 1989 pour une partie intégrante du monde libre tant que des interdits idéologiques empêcheront que les communistes d’avant 1989 soient traînés à la barre, quitte à ce que ces gardiens de goulags privés de manches de pioche soient relâchés à l’issue de l’audience…. Marie-Georges Buffet, la représentante des communistes français dans les années 2000, c’était très concrètement la secrétaire particulière de Georges Marchais, en 1980, ce qui veut dire tout aussi concrètement que son loyer et ses courses du samedi étaient financés par les esclaves de Sibérie… Dans un pays où la parole serait vraiment libre, elle ferait 0,1% des voix aux élections tout en jouissant à l’instar des autres révisionnistes du droit à proférer des saloperies…. Elle aurait le droit de dire que c’était bien, le socialisme et les goulags, mais elle devrait le dire sans détour, sans les appuis nécessaires pour empêcher qu’on lui réponde, que l’on puisse faire le lien en prime-time entre socialisme et goulag et qu’on la traîne au tribunal pour qu’elle justifie des salaires qu’elle touchait en 1980.

En 1987, donc, si mes médailles penchaient vers la droite, j’avais pourtant tapé dans l’œil d’Henri Krasucki, le patron du syndicat communiste français…. Quand je l’attaquais, je le faisais rigoler, et le bougre ne manquait pas de me le faire savoir, à chaque fois que l’on se croisait dans les couloirs des télévisions. Un jour, n’y tenant plus, il m’a attrapé par la veste et m’a invité au siège de son syndicat, pour que l’on déjeune ensemble…. Le lundi dix huit mai 2007 à midi, Krasucki et moi nous sommes donc attablés au milieu d’une cantine déserte, et une petite boulotte salariée par le syndicat s’est mise à nous servir….

Krasucki était un vieux pépé qui rigolait tout le temps, lisait Chateaubriand en cachette des camarades et s’endormait en écoutant Wagner, à l’arrière de sa limousine… Comme à l’époque, déjà, je n’étais plus tout à fait n’importe qui, on a commencé par un kir royal, enchaîné sur une entrée, continué par un plat de résistance et poursuivi avec du fromage et de la salade de fruits, avant de finir avec un Armagnac que la petite boulotte nous a servi avec deux Montecristo…. Ce fût divin, mais à la fin, je regardais le pépé au travers des volutes de mon cigare et je me demandais ce que je faisais là… Je donnerais cher, aujourd’hui pour savoir dans quel but le pépé m’a invité… Le salaud, je le revois encore se marrer dans la fumée, comme dans un conte arabe.

Je crois bien qu’on allait prendre congé, quand la boulotte est revenue avec un plateau sur lequel il y avait deux kirs royaux et deux tartares crabe- avocat-vinaigrette… Le vieux pépé a demandé à la fille pourquoi diable elle nous servait de nouveau un apéritif et une entrée, alors que que nous venions de presque littéralement nous exploser la panse, et c’est alors qu’elle a donné cette réponse assez magistrale pour assurer la chute d’une nouvelle de Tchekhov: Monsieur Krasucki, je vous avais donné une liste de deux menus, vous deviez en choisir un, vous n’avez pas choisi, alors moi, pour ne pas avoir d’histoire, je vous sers les deux.
Krasucki a d’abord cherché à planter sa fourchette dans la main de la boulotte, mais il n’a pas réussi…Ensuite, il s’est levé, elle est parti en courant, mais il l’a rattrapée…. Le vieux avait fait le Marathon de New-York il n’y avait pas dix ans de cela… Il avait fini 234ème, mais enfin, il l’avait fait. Il a commencé à battre la cagolle avec la ferme intention d’en venir au sang, mais c’est alors que les gardes du corps de Monsieur Krasucki la lui ont enlevé des mains…. Il est revenu s’asseoir avec moi, la petite est allé pleurer dans son coin, nous croyions tous que c’en était terminé, mais le vieux, pris d’une espèce de délire, a saisi le chariot à la manière d’Hulk le géant vert et s’est mis à courser la boulotte, qui n’a été sauvée, je le crois vraiment, que par l’intervention du service d’ordre de la CGT, lequel a ceinturé Henri, l’a ligoté, l’a mis tout nu et l’a passé sous la douche.

Le service de sécurité nous a ensuite empêché de sortir, mais nous a autorisés toutefois un coup de fil à la famille… Quand il fut jugé totalement calmé, vers 18H30, Krasucki est revenu à notre table en peignoir, il m’a demandé avec un sourire en coin de ne pas relater dans le Figaro ce que je venais de voir, puis il a dit que c’était l’heure de l’apéro…. Une petite boulotte est venue nous servir un kir, suivi d’une entrée, d’un plat de résistance, du fromage, d’une salade de fruit et de deux Armagnacs accompagnés de deux Montecristo… En fumant, je regardais Krasucki, et je me demandais pourquoi diable il m’avait invité à ce dîner.

Plus tard, bien entendu, j’ai réfléchi à tout ça… Qui tient la laisse, dans cette affaire, qui fait quoi, qui donne le ton… Moi je crois que c’est la boulotte, la vraie matrone, la responsable de la catastrophe…. Le péché de vanité suprême, le pire d’entre tous devant Dieu, il consiste à penser que l’on a le droit d’exister quand on éprouve aucun orgueil et si l’on n’a rien à mettre sur la table… La boulotte de mon histoire, elle revendique le droit de ne pas être jugée, de faire étalage de sa modestie, elle se fait une idée de sa caste qui la place au-dessus de tout jugement, elle lifte en quelque sorte son orgueil et l’enrobe dans un gaze de modestie ….

Ce n’est pas Staline, qui a creusé les charniers, c’est la boursouflure des petites gens.

11 réflexions sur « Henri Krasucki »

  1. Prolo De La Lite

    Pas mal , pas mal …
    Un peu comme ces syndicalistes , au moment d’une délocalisation : « C’est dégueulasse , ont a mit toute notre confiance dans l’usine , on lui a consacré notre vie , et on nous jette . »
    Un employé recoit un salaire , un plombier une facture , une pute quelques billets . Dans une transaction commerciale , le prix est établi de telle sorte qu’il n’y a plus de dettes . Ces gens-là ont travaillé , ont recu un salaire , mais à les entendre il devrait encore y avoir une dette morale , un lien qui les relie à l’employeur . L’employeur ne s’est pas engagé à payer ses salariés jusqu’a leur mort , il est en droit de bruler son usine , de la vendre , les comptes sont règlés .
    Il est assez étrange de voir que le type de gens qui pense que tout leur est dû est aussi celui qui refuse l’idée même d’héritage , d’héredité . Le confort de la femme battue , du damné de la terre , de l’éternelle victime , des gens « dans leur bon droit » , rien de tel pour pourrir un pays de l’intérieur .
    Pensez bien que cette boulotte va transphormer les coups du coco en couronne d’épines , son histoire sera connue du restaurant , du quartier , du parti . Assise sur un trône de vanité , avec une auréole de sainteté !!!

    1. XP Auteur de l’article

      Nietzschéen, tout ça… La tyrannie des esclaves, des martyrs, etc…

      Pour la petite histoire, c’est une histoire vraie, ça c’est bien passé comme ça un jour, à la table de Krasucki. Le journaliste qui a fait remonter l’anecdote est célèbrissime, mais ce n’était déjà plus un jeune en 1987…

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