Hier aussi demain ici

Place de la Bastille, 20h00, mardi 10 mai 2011.

Il va manifestement se passer quelque chose.

Une scène est installée au Sud, en direction de l’Arsenal. Deux écrans géants l’encadrent. A la fois pour que les plus éloignés puissent voir ce qui se passe sur la scène et pour que le public n’oublie pas qu’il participe aussi à la mise en scène.

Dans l’attente des artistes-citoyens, la caméra balaie l’assemblée et les bras se lèvent alors. Gentiment en plan large. Hystériquement en plan serré. De part en part des jeunes gens en groupe agitent frénétiquement les mains pour que la caméra se penche vers eux et qu’ils passent enfin sur les écrans géants. Quant aux bras droits tendus, ils ne tendent pas la paume ni ferment le poing mais soulèvent des téléphones portables filmant les écrans géants où on y voit la foule les bras levés filmant les écrans dans lesquels on distingue les bras tendus…

Je me vois et je filme que je me vois donc je suis.

Nous ne sommes pas dans Inception, nous contemplons notre propre néant.

Vertige.

Quasiment au sommet de l’Opéra, sur une terrasse donnant sur la place, des costards-cravates semblent être en pleine collation-blackberry.

Les choses sont parfois si bien ordonnées.

Deux ou trois grappes de jeunes socialistes se faufilent dans la foule avec une petite bannière. Qu’est-ce qu’ils foutent là se demande-t-on ? Ah ? Oui. C’est vrai.

Mitterrand.

Ariel Wizman, un de ces dandys parisiens estampillés Canal + pousse trois boutons de temps à autre avec ce qui semble être un début de parkinson. Il mixe. Et c’est terrible de mixer avec une caméra pour vous filmer alors qu’il ne fait pas encore nuit. Heureusement pour lui, tout le monde s’en fout. Entre les SDF qui sifflent ou dansent, les lycéens venus se beurrer la gueule et faire les cons, les étudiants à dreads se pressant pour fumer de l’herbe et entrevoir Alpha Blondy, plus trois ou quatre militants de gauche un peu perdus mais se devant d’être là, le spectacle n’est ni sur scène ni en dehors et l’ennui profond commence à saisir une bonne partie des quelques milliers de pékins sur la place -dont la circulation, à cet instant là, n’a symboliquement pas encore été totalement coupée.

Le rappeur Soprano m’apprend, juste après avoir crevé les pneus de la moto à coluche et accueilli Mahomet à Médine, que la soirée serait aussi en rapport avec l’abolition de l’esclavage. Ah ? Oui. Aussi. Décidément je ne suis pas au point sur les commémorations.

Une heure plus tard, un petit vendeur de journaux essaie de vendre un exemplaire -réédité pour l’occasion- de l’Huma de l’époque aux alentours de dix euros et Alpha Blondy gesticule péniblement sur scène. Il n’y a pas plus de monde et l’endormissement profond me gagne. Je sais qu’il me faudrait rester pour Yannick Noah. Qu’il n’y a des choses qu’on ne voit qu’une seule fois en live dans sa vie. Mais c’est au-dessus de mes forces. Je me faufile aisément dans la foule clairsemée comme dans un festival de techno et alors que je m’éloigne, les oreilles en feu, j’entends encore Alpha Blondy chanter qu’il y a du sang sur la ‘oute pour la Côte d’Ivoire.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

8 réflexions sur « Hier aussi demain ici »

  1. Cherea

    rien de plus ringard que cette fête…en tout cas, je ne sais la part de fiction et de réalité, mais as bien du courage de t’infliger de tels supplices…vraiment c’en est triste. Je pense que ça ferait une très belle scène dans un prochain Houellebecq que cette fête de morts-vivants, un type dans la soixantaine qui a complètement raté sa vie sentimentale, intellectuelle, pas superbement réussi sa vie professionnelle et qui cherche les revivals des deux climax de sa vie: mai 68 et l’élection de 81 et puis aussi la coupe du monde 1998…d’ailleurs…j’imagine que c’est la honte pour un type aujourd’hui que d’être né vers le 10 février 1982, soit pile neuf mois après ce funeste jour…

  2. John Terby Jr

    C’est dommage que vous soyez pas resté quand même parce qu’ils ont sorti la momie de « Tonton » après le concert de Noah et on a pu lui faire des bisous, partout, et pis s’accoupler avec aussi en chantant l’internationale. C’était bien.
    A la toute toute fin, c’était encore mieux, on a lancé des slogans pro-palestiniens devant ces sales flics à la solde du nouvel ordre mondial et puis on a parcouru la ville à la recherche d’un sioniste à sacrifier (comme on en a pas trouvé on a pris un juif – c’est pareil), puis on a vomi je crois, ou on a mangé un kebab, ce n’est plus très clair dans mon esprit.

  3. Rosco

    Excellent, le bouge de clandos ! Mais le vrai authentique, super-brut, c’est rue du Landy à Saint-Denis, juste à la frontière d’Aubrevilliers. Là, y’a du lourd : on peut bouffer du maïs grillé en faisant réparer sa bagnole. Comme à Bamako. ça vaut le détour.

  4. nicolasbruno

    Excellent! C’est marrant, tout le monde gueule sur Wauquiez alors que Serge Dassault availt lâché une vraie bombe à la télé il y a peu. Sans doute, parce que tout le monde a pensé que c’était une boutade, alors que Wauquiez ne propose que du rafistolage à la petite semaine. C’est Serge Dassault qui propose la vraie révolution!

    1. Fascisme Fun

      La personne qui a rédigé cette article est au coeur de la Bête et c’est bien ça qui rend son témoignage aussi croustillant.

      Pour qu’une personne comme Hans Landa qui vit dans le « Système » vous fasse un discours social-darwiniste aussi burnée, bah c’est que quelque part, Serge Dassault est encore en dessous de la vérité. ^^

      On peut aussi déplorer l’utilitarisme anglo-saxon et trouver du charme aux foutoirs d’essence latine, comme ce commentateur bien informé de la société néerlandaise et qui nous avertit des dangers de l’eugénisme:

      http://fascismefun.wordpress.com/2011/05/11/les-lecons-economiques-de-hans-landa-a-laurent-wauquiez/#comment-126

      Après, c’est une question de sensibilité. Je connais des marseillais qui adorent vivre dans la poubelle géante qui tient lieu de seconde métropole française.

      Moi je me sens mieux à Monaco et ses rues dénuées de crotte de chien et où le moindre crachat par terre peut vous envoyer en Garde à Vue.

      Question de sensibilité tout ça.

  5. Vertumne

    @ Fascisme Fun: votre commentateur n’a cependant pas tort quand il fustige un certain univers mental commun aux peuples du Nord (ou à leurs descendants), bien que le fait de vivre dans une société à fort QI (comme chez les Européens du Nord) soit bien entendu infiniment préférable à celui de vivre dans une société à bas QI (comme au Maghreb).

    Par exemple, les USA, pays de la Liberté paraît-il sont sans aucun doute l’endroit au monde le plus réglementé et ordonné. Dans un parc naturel, la liste de choses interdites est extrêmement décourageante. Des plaisirs simples comme ramasser une pomme de pin, jeter des galets dans un lac, ou ramasser des baies sont tout simplement interdits/réglementés/encadrés. Comme si l’ordre et la propreté étaient négativement corrélés avec le « fun ». Et c’est la même chose sur les plages, dans la rue, dans les magasins, ou au town hall. A la longue cela provoque inévitablement un sentiment de frustration et de colère chez tout Latin qui se respecte. Cet étouffement utilitariste nordique est une sorte de pendant à l’étouffement affectif des sociétés sémites et provoque d’ailleurs les mêmes débordements rageurs et terroristes chez la jeunesse.

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