Conversation avec Baudelaire

Notre grand écrivain catholique Charles Baudelaire avait aperçu ceci, avec son œil de lynx:

Rien n’est plus drôle que le spectacle d’un homme qui se tord de douleur après avoir glissé sur une peau de banane, et si le tableau est inévitablement comique, c’est parce que Dieu est toujours l’auteur de la plaisanterie.

Ce qui manque jamais de nous faire rire, c’est la scène d’introduction qui met en scène un homme habité par la certitude qu’il possède les cinquante mètres qui sont sous ses yeux et la minute qu’il devrait mettre à les franchir, le sourire de contentement ridicule que cette croyance dessine sur le visage de la future victime et la fin du sketch qui nous le montre toujours en train de grimacer, méditer sur sa bêtise ou geindre au lieu de méditer sur sa bêtise….. L’homme qui se casse une cheville ou se prend une tarte à la crème dans la gueule, c’est le premier homme qui croque la pomme, s’échappe dans les premiers plans du jardin d’Éden la tête haute, se voit dix secondes en maître des ombres et des lumières avant de comprendre dans sa chair que ce n’est pas vrai, que ça ne se passera pas comme ça.

Ce qui nous fait rire, ce sont les peaux de banane et les tartes à la crème, mais ce sont aussi les gros nez et les grandes oreilles des caricaturistes…. Pourquoi? Est-ce que c’est encore Dieu qui se moque, ici?… Ce qui se prête à la caricature, à la moquerie et au discrédit, ce peut être un nez, un accent ou des tics de langage, c’est à dire autant de traits subalternes d’un physique ou d’une personnalité que l’on se met à remarquer quand il n’y a plus rien d’autre à remarquer, quand celui qui en est porteur s’est présenté une fois de trop sous nos yeux, parce qu’il n’avait plus rien à dire et que l’acteur s’est mis a succomber au péché de répétition ou de conservation faute de pouvoir accomplir son devoir de création…. Les gens deviennent risibles devant Dieu et les hommes quand on les a trop vus, quand ils répètent et commettent le péché de croire qu’ils peuvent encore se montrer le jour où ils n’ont plus rien de moderne à donner, quand ils ont renoncé à rendre toute chose nouvelle.

Manet répondait à ceux qui l’accusaient d’être inégal qu’on est toujours inégal, quand on se fixe de ne peindre que ce qui n’a pas été peint le veille, et Louis-Ferdinand Céline exprime la même chose, en signifiant aux tenants de la tradition littéraire que selon lui, les fameux poètes du dix-septième siècle se copiaient entre eux, qu’il ne reste rien de ces gusses et qu’ici et maintenant, les mauvais prosateurs se tournent tous vers le grand siècle et la tradition… C’est parce qu’il a dévoilé ça, qu’on a persécuté Céline, et certainement pas pour toutes ces affaires de Juifs et de collaborations sans intérêts.

Pour le dire autrement, le plus grand drame de notre époque est qu’elle est pleine à craquer de gens qui se croient obligés d’écrire, peindre, composer, parler ou voter pour reproduire et conserver en homo faber, et que cette engeance livre une guerre sans merci aux élus, aux créatifs qui sont venus à nous pour faire table rase, construire et tuer le Maître….

Nous sommes à l’époque où il a été décidé que l’amour des arts, des lettres et de la philosophie devait être inculqué à tout le monde, et l’on n’a jamais pensé ce que ça signifie vraiment, que d’inculquer l’amour de quelque chose à quelqu’un…. Aime t-on la chose ou l’idée de la posséder précisément parce qu’elle nous est étrangère et hostile?… Les Huns apprenaient comment se rendre sur des territoires pour brouter de l’herbe et faire comprendre aux autochtones qui étaient les nouveaux maîtres, et pour les mêmes raisons, la populace qui apprend les lettres ou la philosophie cherche à brouter, se faire sacrer roi de la Sorbonne comme le chef hun se faisait poser sur la tête la couronne du roi de Pologne…. Nous sommes rendus à l’époque de la dynastie la plus vorace des Huns, celle des conservateurs, de la plèbe des conservateurs, des femmes de ménages entrées en fac de lettre avec des bourses, des servantes thraces qui font la leçon à Socrate….

Voilà, c’est ça, nous sommes à l’époque des servantes thraces

11 réflexions sur « Conversation avec Baudelaire »

  1. la crevette

    Alors, ça y est j’ai trouvé ce passage de O’Connor qui devrait te ravir dans la conférence : « Le romancier catholique et le sud protestant » :

    Flannery a donné quelques conférences dans certaines universités et surtout répondu à beaucoup de courriers de lecteurs et d’amis et ce qui me frappe chez cet écrivain c’est son bon sens et sa rectitude de pensée… et son humour aussi; je mettrais chez moi un petit commentaire à propos d’un roman écrit par un cardinal qui est assez drôle.
    Ici, elle part de l’idée assez répandue à son époque qu’il manque d’écrivains catholiques, c’est intéressant comme cas d’école pour ce texte et cela rejoint ta réflexion sur tous ces gens qui se croient capables (ou pire : qui se sentent tenus moralement) d’écrire…

    « Le journaliste, le professeur, la moraliste, la ménagère, le tout-venant croit faire autorité en matière de roman.(…)
    Ces controverses entre catholiques sur la valeur de romans dits catholiques sont en général ridicules, parce qu’aucune des données personnelles de l’auteur, à part sa foi, n’est prise en considération. Aucun de ceux qui s’en mêlent ne semble se rappeler que c’est l’œil qui capte les données concrètes, et que c’est l’imagination qui restitue, quand elle en a le don, ce qu’elle-même a la capacité de faire vivre.*
    Je collectionne les articles de presse catholique sur les échecs des auteurs catholiques, et dernièrement encore je suis tombée sur cette phrase : « Pourquoi pas un authentique roman fondé sur le combat que mène l’Église pour plus de justice sociale, ou sur la renaissance liturgique, ou sur la vie au séminaire? ».**
    Croyez-moi, si des séminaristes se mêlaient d’écrire des romans sur la vie au séminaire, les séminaristes auraient tôt fait de perdre des séminaristes. Mais ce qu’on veut nous faire croire, c’est que quiconque, pour peu qu’il sache écrire, et s’il a le courage de faire quelques recherches, peut livrer un roman sur tel ou tel sujet utile -et lui conférer un caractère d’authenticité.
    Effectivement, des tas de livres sont écrits ainsi. Tel est le procédé traditionnel dont use l’écrivassier, et il n’est pas tout à fait impossible que par un hasard providentiel un tel roman soit une œuvre d’art, mais l’éventualité est peu vraisemblable. »

    * Au passage, petit rappel du travail de l’écrivain.
    ** Incroyable la modernité des thèmes posés : aujourd’hui ces questions reviennent en permanence.

  2. Emil

    Aller, pour vous remercier de cet article XP je vous amène un petit cas clinique de derrière les fagots (en attendant l’article sur Bashung).

    Elle s’appelle Stéphanie Marteau (authentique) et elle vient de publier chez Marianne un article dans lequel elle détaille des soi-disant confessions sexuelles qu’auraient faites sur Internet la femme, maintenant décédée, de Xavier Dupont de Ligonnesses (celui qui a assassiné et découpé sa femme et ses enfants). Tout ceci au motif que la famille était « très pratiquante » et qu’elle « ne ratait jamais une messe »…

    http://www.marianne2.fr/Nantes-la-drole-de-vie-intime-du-couple-Dupont-de-Ligonnes_a205526.html

    Lisant cela, je me dis que ça n’a rien d’étonnant puisque nous sommes dans les pages d’un éminent journal d’investigation et d’opinion, notoirement républicain, laïcard, anti-sarkozyste et autres mantras de la France moisie. Je trouve tout de même que ça va particulièrement loin cette fois (même CSP, par qui je découvre l’article, feint d’être choqué, c’est dire). Et là Google m’apprends que Mme Marteau est une « journaliste », spécialisée dans l’apologie de l’Islam, du métissage et de la diversité (auteur entre autre de Voyage dans la France musulmane, Nous sommes français et musulmans, Blacks Blancs Beurs etc.).

    Etonnant, non ?

    1. Vae Victis

      Je trouve les commentaires complètement stupides. Si ces informations sont vraies, elles éclairent évidemment les mobiles du crime. Faut-il que le crime soit un peu ancien pour que les détails scabreux deviennent « décents », ce qui se fait chaque semaine dans des émissions à succès comme « Faites entrer l’accusé » ?

      Sinon c’est un article très drôle par son décalage. Une belle fiction certainement.

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