Ma fabuleuse contribution à cette stupéfiante polémique

Serge Klarsfeld, en faisant pression sur le ministre de la culture, certes pas réputé pour ses convictions autres que celles de défendre ses amis artistes et détraqués sexuels, a eu un réflexe  stupide. Il a hurlé non sa haine, mais son désintérêt total pour la littérature, la pensée critique, l’analyse, la digression, l’exégèse. Pour un juif, ça la fout mal. Pour un juif pourchasseur de nazis, hanté par la Shoah, obsédé par le retour de la bête immonde, ça la fout très mal. Mais surtout, surtout, et c’est là la chose importante, la plus grave (mais il n’est pas le seul) il n’a strictement rien compris à l’antisémitisme. Le nazisme, ça commence par l’autodafé, c’est à dire le désir de ne rien comprendre, le désir de tout amalgamer, tout simplifier, tout nettoyer. Serge Klarsfeld a commis là une bévue monumentale, capable à elle seule de décridibiliser toute lutte contre l’antisémitisme. C’est ce qui se passe. Oh pour l’instant on se contente de taper sur Frédéric Mitterrand, mais on a bien compris qui à travers lui on visait. Ne nous y trompons pas, les crétins qui tapent sur Mitterrand comme on tape sur l’idiot du village n’y comprennent rien non plus, à ce qui se passe. Ou à ce qui s’est passé avec la chose Céline, son œuvre, sa vie, ses romans et ses pamphlets. « Céline était un salaud » entendu un million de fois en préambule par des demeurés qui à cela n’ont absolument rien à rajouter sinon qu’il « était un génie » sans jamais arriver à expliquer pourquoi les deux étaient liés, inextricablement. On se renvoie Céline comme une patate chaude. Philippe Muray l’a pourtant expliqué, dans son « Céline », Pierre Cormary, au Ring, le résume d’ailleurs fort bien. Mais qui lit encore ? Qui lit Céline, Muray ou même Cormary ? Personne. Des naïfs, de Klarsfled à Mitterrand en passant par toute une bande de guignols juifs ou antisémites ou rien de ça mais rien d’autre non plus, personne ne lit. Donc personne n’arrive à comprendre que l’antisémitisme de Céline était son unique soupape, son utopie délirante- en l’absence de foi véritable, de croyance au péché originel- en réponse à sa vision du sort de la pathétique humanité. Klarsfeld a beau eut fait de pourchasser les derniers nazis aux quatre coins de la planète, il n’a pas débarrassé l’humanité, ni les juifs, de ses fléaux.

Parce que le fléau, c’est la croyance que le Mal, réel ou imaginaire, est annihilable.  Il suffirait pourtant de prendre le problème à l’envers, pour le rendre éclatant : au milieu des pamphlets antisémites surgit une œuvre qui n’épargne personne et jugule la croyance en l’innocence potentielle de l’humain, une œuvre qui, mise sous le nez de n’importe quel antisémite ou purificateur potentiel, l’empêche de continuer à prendre ces pamphlets ou d’autres comme la vérité incarnée. Ce ne sont pas les pamphlets qui tuent l’œuvre, mais l’inverse. Le problème restant qu’ils sont bien plus simples à saisir que les romans. Qu’ils ont d’ailleurs été écrits bien plus vite, sans commune comparaison, avec les pavés céliniens. C’est là le problème fondamental, biblique, qui ne se règle pas à coups d’abrutissantes célébrations nationales (et c’est peut-être cette célébration, cet abominable réflexe de l’embaumement des œuvres, qui est en effet blâmable , mais pour les raisons inverses que celles apportées par Klarsfeld : c’est bien le roman célinien qui est en pratique incélébrable, pas ses pamphlets, ce ragout rassembleur ) ou d’indignations radotantes, qui ne font que se renvoyer la balle sans jamais pouvoir une seconde la saisir, la conserver, l’étudier : la sulfureuse proximité du remède et du poison.

Ce qui demeure amusant, tout de même, dans tout ce cirque, ce défilé de lieux communs, c’est la répétition, encore et toujours, des mêmes scènes. Des arguments moraux, des contre-arguments, des postures, des rappels à l’ordre, des déclarations, bref : des bonnes volontés.  Tout le monde, au fond, veut le bien de tout le monde, sans exception aucune. Tout le monde joue ses cartes, joue son rôle, de manière parfaitement attendue. Tous débordent de Bien.  Ils se transforment en leurs propres clichés. Et c’est la foire d’empoigne. Inévitablement. On est prêt à tout quand on est sûr de son bien-fondé.

Reste que tout cela est parfaitement ennuyeux. Des célébrations et des polémiques en plus, de nos jours, on en a mis partout par précaution tellement qu’on s’ennuie. On se demande même si ce n’est pas des listes de polémiques nationales à célébrer qu’il faudrait directement publier. Les artistes ne sont, au fond, que des prétextes. Ne nous y trompons pas, tout le monde est ravi d’avoir son mot à dire. Moi aussi. Voilà. c’est fait.

8 réflexions sur « Ma fabuleuse contribution à cette stupéfiante polémique »

  1. XP

    C’est une réflexion que je me suis faite à propose de Simone Veil: elle est très Goy, dans sa tête.
    Elle doit trouver qu’Eichmann à Jérusalem, d’Hannah Arendt, c’est trop embrouillé, tordu…. Trop juif, dirait le blaireau antisémite.

  2. j.ax

    « Les artistes ne sont, au fond, que des prétextes. »
    Des prétextes pour pédagogie citoyenne. Mais ces tentatives d’édification des masses, toutes nocives qu’elles soient, ne marchent pas, car en réalité la plupart des gens s’en tamponnent, de Céline.
    On n’en sort pas, il faut vraiment que l’Etat cesse de se mêler de ce qui ne le regarde pas: supprimer le ministère de la Culture, pour commencer.

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