Le ministre de l’intérieur se fait taper sur les doigts par l’Union syndicale des magistrats. Il ne respecterait pas le principe de séparation des pouvoirs. Ce qui, dans la bouche de magistrats, sonne toujours un peu comme un doux rêve d’irresponsabilité et de toute puissance. D’ailleurs, comme d’habitude, cela s’accompagne de menaces très précises. Celle de porter plainte contre l’impénitant osant commenter une décision de justice. Plainte qui sera jugée par leurs pairs.
Attention, il ne sera pas question ici de défendre ces policiers qui ont cherché à faire condamner un homme pour des faits d’une gravité rare. Accuser quelqu’un à tort d’homicide volontaire aggravé alors qu’il n’y a rien de cela… La prison ferme ne constitue donc pas une peine trop sévère. Sauf en ce qu’elle revient à appliquer une double peine puisque cela s’accompagne du licenciement de la police nationale. Or, j’avais cru comprendre que la magistrature n’avait pas opposé une résistance farouche à la disparition d’une autre double peine.
Tout cela ne fait pas de l’homme qui a cherché à se soustraire à un contrôle de police, un innocent. D’autant plus qu’il serait, semble-t-il, in fine disons, la cause du renversement d’un policier puisque ce serait lors de la course poursuite que l’accident serait survenu. Coupable, il l’est donc. Mais de ce qu’il a fait. Et aussi des conséquences que son acte a eu. Ce qui est peut-être moins évident pour certains. Et ce qui pourrait justement être la cause profonde de ce mensonge policier.
Car si les tribunaux jugeaient avec la sévérité requise les gens qui se soustraient à un contrôle de police et qui occasionnent des blessés, ces policiers n’auraient peut-être pas ressenti le besoin de mentir.
Peut-être.
Peut-être que voir des délinquants parader dans les rues en brandissant leur sursis, ce pour des faits parfois graves, incite vaguement les policiers à en rajouter un peu pour maximiser leurs chances d’obtenir une condamnation à la hauteur de ce qu’ils estiment être l’infraction originelle.
Ensuite, on pourrait observer que le tribunal de Bobigny n’est pas spécialement réputé pour sa sévérité. Particulièrement pour sa justice des mineurs mais pas seulement. La disproportion se niche là en réalité. Lorsqu’on observe que dans certaines affaires jugées à Bobigny des maris hyperviolents et multirécidivistes pour des affaires de violences conjugales ne sont pas sanctionnés par du ferme pour éviter qu’ils perdent leur emploi et que la situation familiale empire, certains policiers auront peut-être de la peine à comprendre le jugement frappant leurs collègues. On me dira que les policiers, eux, contrairement au mari jaloux, sont assermentés. Que leur mensonge aurait pu avoir des conséquences tragiques. Qu’un homme à failli croupir en prison alors qu’il était innocent. Certes, certes. Mais alors il appartient à la justice de punir d’autant plus sévèrement les auteurs d’actes contre les forces de l’ordre. Ce qui, d’ailleurs, est prévu par la justice pénale. Or, on en revient là, il n’est peut-être pas improbable que certains policiers se sentent lâchés non seulement par leur hiérarchie mais également par la magistrature. Cette même magistrature qui, plus tôt dans cette affaire, avait estimé que,
La police française, ça ressemble un peu à la Gestapo dans ce dossier
Sans que cela ne suscite d’ailleurs le même tapage médiatique que les récents propos, effrayants de banalité eux, de Marine Le Pen sur l’Occupation par les islamistes de quelques rues le vendredi à l’heure de la prière.
Cette fracture entre policiers et magistrats se double d’une fracture entre la justice et peuple. Et les réactions de plus en plus virulents du Syndicat de la Magistrature sont le signe que cette dernière est en train de perdre, progressivement, la bataille. Ici comme ailleurs. Ainsi, dans la dernière votation Suisse sur le renvoi des criminels étrangers, l’idée importante était celle d’automaticité. Autrement dit, sans que les juges puissent y déroger. De même, les récentes innovations pénales en matière de récidive et de peines plancher vont également à l’encontre de l’individualisation des peines. Autrement dit, de la marge de manœuvre du magistrat. On pourrait rajouter le débat, ravivé par le procès du meurtrier de Anne-Lorraine Schmitt, sur les jurés populaires en matière d’application des peines. On pourrait également observer en creux que les juges des libertés et de la détention, pourtant sommés par la loi de ne pas s’occuper de la solidité des charges pesant sur les mis en examen, essaient en dehors du code pénal de s’attribuer un droit de regard sur cette question. On se souvient de l’idée d’une peine incompressible pour les assassins de policiers ou de gendarmes. On pense également au projet, enterré manifestement, visant à limiter les pouvoirs du juge d’instruction en lui retirant la direction des investigations.
Disons le franchement, la très grande latitude accordée aux magistrats du siège apparait aujourd’hui insupportable. D’autant que la responsabilisation de ceux-ci n’a pas progressé dans le même laps de temps.
Il n’est pas impossible de revenir en arrière.
De même qu’il ne serait pas impossible d’empêcher le juge d’application des peines de retravailler, entouré d’experts en tout genre, les décisions de cour d’assise. De durcir le système des remises de peine. Ou de relever la peine de sûreté à l’intégralité de la peine prononcée -si le jury populaire en décide ainsi.
Responsabilisation accrue des jurés pour les affaire criminelles et peines plancher obligatoires sont deux réformes qui pourraient amorcer une réconciliation entre la justice et ses détracteurs. Au prix, il est vrai, d’une limitation des attributions de la magistrature. Mais ne vaut-il pas mieux cela que de promouvoir les solutions hors cadre juridique comme peut l’être, par exemple, la rétention de sûreté ? Ne vaut-il pas mieux cela que d’empêcher la présence d’un avocat dès la première minute de garde à vue ?
» les réactions de plus en plus virulents du Syndicat de la Magistrature sont le signe que cette dernière est en train de perdre, progressivement, la bataille. (…) De même, les récentes innovations pénales en matière de récidive et de peines plancher vont également à l’encontre de l’individualisation des peines. »
Sarkozyste! Sioniste! Sale juif!
« Blueb : « il n’est peut-être pas improbable que certains policiers se sentent lâchés non seulement par leur hiérarchie mais également par la magistrature. Cette même magistrature qui, plus tôt dans cette affaire, avait estimé que,
La police française, ça ressemble un peu à la Gestapo dans ce dossier »
(…)
« Disons le franchement, la très grande latitude accordée aux magistrats du siège apparait aujourd’hui insupportable. D’autant que la responsabilisation de ceux-ci n’a pas progressé dans le même laps de temps. »
Vous avez raison évidemment de souligner cette fracture de plus en plus grande entre policiers et magistrats mais il n’empêche : cette affaire de policiers qui constituent des faux est vraiment « injustifiable » pour reprendre le terme de Fillon.
Je pense qu’elle met à jour en effet cette fracture, ce sentiment d’injustice flagrante qui anime les policiers de travailler « pour rien » puisque les criminels appréhendés paradent trop souvent et trop rapidement dans les rues après leurs actes délictueux mais elle la met à jour de façon fortuite, incontrôlée, non réfléchie, il y a une dérive comme on dit et c’est embêtant.ça cafouille plein pot.Et quand certains éléments, quand la police perd la maîtrise, hé bien c’est grave.
Maintenant, on peut aussi voir l’aspect positif que vous soulignez : la magistrature qui perd une bataille, c’est vrai, qui perd un peu de son pré-carré et ça n’est pas plus mal…
C’est injustifiable. Mais maintenant on peut se demander pourquoi une demi-douzaine de policiers décident d’ourdir une telle machination. Visant de surcroît quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas.
Je n’étais pas au procès.
Mais on peut tout de même soulever l’hypothèse qu’une telle machination aurait eu moins de chance d’avoir lieu dans un système où la peine serait sévère lorsqu’un policier est blessé lors d’une course-poursuite. Même si ce n’est pas par celui qui est en fuite.
Cela ne me semble pas aberrant.
En fait, mon hypothèse est celle-ci. Si les magistrats du siège n’acceptent pas de lâcher une part de leurs prérogatives, alors on verra se multiplier ce genre d’évènements.
Prenons un exemple.
Si les juges d’application des peines faisaient appliquer celles-ci, je n’aurais jamais donné conseil aux jurés de cour d’assise de donner vingt ans lorsqu’on veut condamner de manière effective à dix. Et d’adjoindre à cela quinze années de ferme dont les deux-tiers de peine de sûreté.
Mais de tels jugements ne sont pas dans l’ordre des choses. Il faudrait, idéalement, qu’ils reviennent dans le giron juridique. C’est à dire qu’on limite la possibilité au juge d’application des peines de jouer avec celles-ci une fois le jugement de cour d’assise rendu.
Maintenant, il est clair que ce que je dis se ferait au prix de la réinsertion de quelques-uns.
On sait que les libérations conditionnelles sont un facteur non seulement de paix civile dans les prisons, mais qu’elles facilitent aussi la réinsertion. Et, donc, forcément, cela influe le taux de récidive. Pour faire le tri entre les tarés dangereux et ceux pour lesquels il y aurait tout à gagner -en matière de récidive- à les faire sortir avant, il y a le juge d’application des peines qui recueille avis experts et avis plus administratifs. Puis, une fois sorti, comme garanties supplémentaires, le libéré en conditionnelle peut se voir imposer un suivi socio-judiciaire, une obligation de soins, etc, etc.
Ce modèle est faillible.
Forcément.
On en a des exemples très régulièrement dans l’actualité. Et je ne parle ici que des crimes…
Le problème c’est que ces paris perdus sont assez mal ressenti par les victimes ou les familles des victimes lorsque ces dernières n’ont pas eu la chance d’en réchapper.
Ils se disent, assez logiquement, que si la peine d’origine avait été respectée, ou que si la dangerosité du criminel avait été reconnu à sa juste valeur lors du précédent procès (ou des précédents procès), il y aurait une victime de moins. Le père d’Anne-Lorraine Schmitt, par exemple, pour parler de la dernière affaire en date et en jugement, ne dit pas autre chose et ne demande pas autre chose.
Car il existe un moyen non pas d’empêcher la récidive, mais de faire le maximum. C’est de faire respecter à la lettre les jugements de cour d’assise et de responsabiliser les jurés.
Maintenant, tout comme le juré actuel dort mieux la nuit en infligeant une peine qui sera facilement détricotée par un juge d’application des peines à qui on laissera le soin d’évaluer les progrès du condamné, on peut se demander si le juré nouvellement responsabilisé ne tâchera pas de se couvrir avant toute chose en demandant le maximum de la peine. Comme il pourrait, a contrario, fait preuve de la plus grande prudence et redonner tout leur sens aux années de prisons infligées, parce qu’il saura qu’elles se passeront réellement en prison.
Cependant, disons les choses honnêtement, le système dans lequel on prend le pari de la libération conditionnelle n’est pas, en soi, illogique. Mais il lui manque, encore une fois, quelque chose pour être accepté. C’est la responsabilisation accrue du juge d’application des peines. Or, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Et cela rend la situation tout à fait intenable.
J’ai du mal avec cette idée que la prison est devenue facteur de réinsertion (par le biais de libérations conditionnelles plus ou moins intelligemment appliquées) Il y a une dérive incroyable ces dernières années à la finalité donnée à l’emprisonnement.
Au départ, un emprisonnement c’est fait pour enfermer quelqu’un qui représente un danger pour la société.
Aujourd’hui, la prison n’a plus du tout la même finalité : c’est un lieu de vie qui permet à un criminel (considéré la plupart du temps comme un malade, le malade de notre mauvaise société)de se soigner, de « guérir » et de se réinsérer dans cette même société qui lui a fait tant de mal.
ça me fout en rogne en fait cette logique inversée.
Alors ensuite on s’emmêle les pédales de façon schizophrénique entre le souci de protéger d’éventuelles futures victimes de monstres dangereux et l’envie de soigner ces mêmes monstres.
Et on foire tout : la réinsertion et la protection, par l’enfermement, des criminels.
Blueb : « En fait, mon hypothèse est celle-ci. Si les magistrats du siège n’acceptent pas de lâcher une part de leurs prérogatives, alors on verra se multiplier ce genre d’évènements. »
Oui, entièrement d’accord avec vous et je ne suis pas vraiment sûre que ce soit une bonne chose. En faire trop par rapport à la loi, être par delà la loi, du côté des policiers ou du côté d’une application des peines outrée (en rajouter une louche pour obtenir un peu, c’est ça l’idée!), bref, être hors la loi, c’est un jeu dangereux.
Justement. Ce n’est pas de la réinsertion pour la réinsertion. L’objectif n’est pas de soigner les monstres parce que c’est cool de soigner les monstres. La finalité est de protéger la société. Pas de faire plaisir aux parties civiles. Or, si on protège mieux la société en accordant des libertés conditionnelles qu’en les refusant, il n’y a pas de raison de s’en priver a priori. Le truc c’est qu’on s’aperçoit que le système a des ratés. Et que ces ratés deviennent insupportables.
Et s’ils sont devenus insupportables c’est à mon avis du à une conjonction de facteurs. D’une part la fin de la peine de mort et le enforcement de l’individualisation des peines pendant les années 80 et 90. Autrement dit, plus de pouvoir aux juges. Et, d’autre part, le développement de la culture de l’excuse à mettre en parallèle avec les bouleversements sociaux et démographiques sur la période. Et, également, la disparition progressive des petits tribunaux et maillage plus lâche de ceux-ci. Autrement dit, un éloignement grandissant du juge par rapport à celui qu’il doit juger.
On pourrait en trouver d’autres.
Mais pour que la réconciliation se fasse, il faut soit responsabiliser comme jamais les magistrats du siège, un peu selon le fameux principe dit de Spiderman, « plus de pouvoir plus de responsabilités ». Soit plus les contraindre dans leur action.
Blueb : « le fameux principe dit de Spiderman, « plus de pouvoir plus de responsabilités ». » Hu hu hu comme dirait l’autre!
J’ai oublié de vous dire que je trouve votre réflexion tout à fait intéressante. C’est un excellent texte.
Aujourd’hui, lors du procès du meurtrier d’Anne-Lorraine Schmitt :
Si même un magistrat, du parquet certes, le dit avec une telle franchise, que dire de plus…