Cantona et les banques

Je n’avais pas beaucoup envie de parler d’Éric Cantona. D’abord parce que son histoire de retrait d’argent n’a pas grand sens, ensuite parce qu’il m’est, je ne sais pas pourquoi, vaguement sympathique. Disons plus que la moyenne des joueurs de soccer. Un bête préjugé, sans doute.

Aussi, lorsqu’un aimable lecteur à nom de chaton nous a envoyé sur la boîte d’Ilys un extrait de la prose des tireurs de buts et d’argent, mon premier mouvement a été de chercher en P2P un album fait par Greg voilà quelques années, plus ou moins commandité par une gande banque française, et qui s’appelait Achille Talon et l’archipel de Sanzunron. On y voit Hilarion Lefuneste se mettre à détester l’argent et prôner un sain retour à la vie sans banques ni billets dans un paradis tropical du nom de Sanzunrons, où il entraîne son voisin Talon. Le paradis s’avère bien entendu un enfer et d’aventure en aventure la moralité de l’histoire est que chacun des personnages venus là pour fuir l’argent et la banque les réinvente naturellement et nécessairement au cours de ses activités quotidiennes.

Il s’agit donc de s’en aller retirer demain 7 décembre tout son argent de sa banque. C’est idiot. D’abord parce que la banque sera fondée à refuser, il est rare qu’on puisse retirer de grosses sommes d’un coup sans prévenir à l’avance. Les comptables de Mme Bettencourt en savent quelque chose. Alors vous pensez que Mme Michu, hein… Ensuite c’est absurde parce qu’il suffirait, pour que ce soit possible, que la banque centrale imprime quelques dizaines de milliards. Elle le fait chaque jour – ou plutôt elle fait quelque chose qui y est équivalent sans avoir à imprimer physiquement les billets – pour racheter en sous-main des emprunts d’État de pays dits périphériques de la zone euro. Alors pourquoi pas pour les copains de Cantona ? De plus c’est parfaitement irresponsable : combien de gens se feraient délester dans la rue avec toutes leurs économies dans leur cabas ? Combien de grand-mères se feraient piquer leurs biffetons cachés sous le matelas ou entre les paires de draps ?

Néanmoins l’inculture économique est telle qu’il faut bien aller voir les arguments de ces gens. (Comme nous irons un jour voir les arguments du nouveau programme de la fille Le Pen avec ses histoires simplistes et idiotes de Pompidou et d’emprunt.)

Je ne sais pas d’où vient le texte, j’espère que notre aimable correspondant nous éclairera s’il est besoin.

Or donc, écoutons :

(…)

Nous, les citoyens du 21ème siècle, héritiers des générations qui se sont sacrifiées pour que nous soyons et demeurions des citoyens libres et dignes, nous exigeons la création d’une BANQUE CITOYENNE, au service des CITOYENS, une banque qui mettrait notre argent à l’abri des fièvres spéculatives, à l’abri des bulles financières toutes condamnées à exploser un jour, à l’abri des opérations qui transforment nos emprunts en actifs et se servent de nos dettes pour acheter d’autres richesses.

Nous voulons des banques qui ne prêtent que les richesses qu’elles possèdent. Des banques qui aident les petites et moyennes entreprises à relocaliser l’emploi, des banques qui prêtent à taux zéro. (*) Des banques qui soutiennent les projets qui profitent aux citoyens plutôt qu’aux « marchés » Des banques où déposer notre argent tout en ayant la conscience tranquille. Des banques dont nous n’aurons plus à nous méfier. Des banques dont le succès sonnera le glas des marchands de morts, de maladies et d’esclaves. Sur les ruines de l’ancien système, nous voulons construire un système bancaire qui ne sacrifiera plus la dignité humaine sur l’autel du profit.

(…)

(*) Ce que les banques islamiques accomplissent avec succès en refusant la pratique de l’usure pour des motifs religieux, nous pouvons l’accomplir pour des raisons citoyennes. »

Passons d’abord sur ce qui va exciter les excités : la mention de la finance islamique. Il est bien évident que les banques islamiques, qui n’existent pas par charité chrétienne, ne prêtent pas à « taux zéro » : elles ne pratiquent pas le taux d’intérêt, autrefois dénommé usure, mais pratiquent des opérations qui y équivalent. Sans entrer dans les détails, une banque islamique ne prête pas à intérêt, mais deux stratégies principales la rémunèrent :

  • Elle peut prendre des parts dans des sociétés dont elle partage alors les bénéfices pour se rémunérer, souvent avec des clauses qui limitent ses pertes possibles. Le tout revient bien à donner de l’argent et à en reprendre le même montant plus une rémunération.
  • Elle peut acheter un bien et le revendre aussitôt plus cher (ce qui représente l’intérêt qu’aurait pris une banque non-islamique) à quelqu’un qui paiera en paiements franctionnés. On a donc bien là aussi une rémunération de l’argent prêté.

Autrement dit nos bons amis cantonesques confondent l’interdiction d’une pratique (l’usure) et l’interdiction de ce à quoi elle sert (la rémunération de l’argent prêté). Résumons : sur ce point ils sont simplement mal informés et un peu naïfs.

Reprenons donc dans l’ordre une fois ce point évacué :

Nous, les citoyens du 21ème siècle, héritiers des générations qui se sont sacrifiées pour que nous soyons et demeurions des citoyens libres et dignes, nous exigeons la création d’une BANQUE CITOYENNE, au service des CITOYENS,

Bla bla bla. En quoi cela change-t-il le fait qu’un plus un fasse deux et pas quarante-trois, et que s’il n’y a pas d’intérêt à créer, posséder, exploiter des banques, il n’y aura pas de banques ? À moins que nos bons amis ne pensent à une sorte de service public de la banque ? Il faudra donc payer pour assurer ce service via les impôts plutôt que via les tarfications bancaires commerciales. Avec ce que cela veut dire de manque de concurrence dont on sait qu’il tire les prix vers le haut et les services vers le bas. Quant à la responsabilité supérieure dans un tel système, il suffit de se demander combien d’inspecteurs des finances ont été emprisonnés en France depuis un demi-siècle après qu’on ait recherché leur responsabilité personnelle dans des erreurs ou imprudences…

une banque qui mettrait notre argent à l’abri des fièvres spéculatives, à l’abri des bulles financières toutes condamnées à exploser un jour, à l’abri des opérations qui transforment nos emprunts en actifs et se servent de nos dettes pour acheter d’autres richesses.

Précisément. Si elle ne faisait rien de cela, ce ne serait pas une banque. Ou plutôt : une banque qui ne fait rien de ce qui est ici énuméré, ça s’appelle un tupperware et on l’enterre au fond du jardin.

En outre l’argument, en plus d’être absurde au fondement, serait faux s’il avait un commencement de réalité : fièvres spéculatives et bulles financières n’existent que parce que le marché ne fonctionne pas librement. À preuve la « crise » actuelle, qui n’a été possible que parce que les banques centrales, étatiques et monopolistiques, ont maintenu artificiellement des taux bas, incitant États, entreprises et particuliers à s’endetter de manière invraisemblable pendant des années et même des décennies. Elles continuent d’ailleurs à maintenir ces taux artificiellement bas. Le déclencheur conjoncturel de cette « crise » a lui été le secteur des prêts hypothécaires américains, c’est à dire le secteur le plus contrôlé et réglementé de l’économie américaine ; ce qu’on appelle maintenant Freddy Mae avec une ironie contractée, c’étaient deux entreprises géantes en fait gérées par le trésor américain, et qui n’étaient plus des entreprises commerciales et indépendantes que de nom. Que ce soient les banques centrales ou le trésor américain, pourquoi ont-ils agi ainsi ? justement pour prétendre faire ce que réclament les cantoniens : une finance meilleure, plus juste, plus humaine, qui prête aux pauvres et patin et couffin. La régulation n’est jamais une solution : elle est toujours le problème, car elle ne peut tout prévoir, elle rigidifie, elle permet à des situations anormales de se perpétuer et d’enfler jusqu’au point où leur absurdité explose en provoquant des dégâts énormes.

Nous voulons des banques qui ne prêtent que les richesses qu’elles possèdent. (…)Des banques où déposer notre argent tout en ayant la conscience tranquille.

Bref ils veulent tout et son contraire, comme d’hab. Soit la banque prête et il y a un risque, soit elle ne prête pas, et il n’y a pas de banque. Encore une fois : une telle banque, c’est un tupperware rempli d’or et enterré au fond du jardin. Mais pour avoir une carte bleue, vous pouvez vous brosser chers amis.

Des banques qui aident les petites et moyennes entreprises à relocaliser l’emploi,

Traduisons : des banques qui détruisent de la richesse au lieu d’en créer. Parce que pour produire dans le Loir-et-Cher plutôt qu’à Vientiane, il faut payer la différence, consistant non pas tant en salaires qu’en charges sociales. Mais avec l’argent de qui faire ça ? qui acceptera de mettre son argent dans une banque qui lui rendra seulement 20% de ce qu’il aura déposé en expliquant que le reste a été utilisé pour « relocaliser des emplois » ? Pas nos bons cantoniens, qui veulent une banque où déposer leur argent en laquelle ils puissent avoir confiance.

Des banques qui soutiennent les projets qui profitent aux citoyens plutôt qu’aux « marchés ». Des banques dont nous n’aurons plus à nous méfier. Des banques dont le succès sonnera le glas des marchands de morts, de maladies et d’esclaves. Sur les ruines de l’ancien système, nous voulons construire un système bancaire qui ne sacrifiera plus la dignité humaine sur l’autel du profit.

D’abord sans les grands méchants marchés financiers, il y a longtemps que nos sociales-démocraties européennes citoyennes, humanistes, éthiques, écoquitables et tout le toutim auraient fait faillite puisqu’elles vivent à crédit depuis des décennies. Ensuite sans les marchés, comment les entreprises se financeraient-elles ? Comment arriveraient-elles à couvrir les risques sur leurs matières premières sans les contrats à terme et autres produits dérivés ?

Les pays où il y a peu de marchés financiers, il en existe dans le monde. Par exemple le marché financier du Somaliland est assez étique, ce qui le rend probablement aussi très éthique aux yeux de nos bons apôtres. Reste à savoir si les habitants de cette joyeuse contrée ne préféreraient pas avoir un peu plus accès aux grands méchants marchés financiers. Il faudrait leur demander ce qu’ils pensent de leur dignité du côté de Mogadiscio. Et s’ils seraient prêts à la sacrifier pour avoir accès aux crédits et à la consommation pour s’acheter à bouffer, des iPad et avoir des téléphones Samsung gratos (qui sont gratos chez nous parce que les entreprises de télécommunications peuvent emprunter un peu plus chaque fois qu’un client s’engage sur 24 mois). Ce serait instructif d’avoir l’avis des Somalilandais.

À défaut, on recommandera aux amis de M. Cantona de tenter l’expérience inverse et d’aller s’installer là bas, contrée de lait et de miel où règnent, c’est bien connu, la concorde, la dignité humaine et la prospérité puisque le système financier y est réduit à sa plus simple expression, que ses méfaits insignes y sont réduits par la force des choses.

 

On le voit, ces propositions (à peine des propositions… ces vagues velléités mal attifées de morale dévoyée) n’ont pas de sens, elles sont contradictoires et relèvent d’abominables utopies qui, en général, quant elles arrivent à trouver un début d’application, finissent dans des charnier bourdonnants de mouches à viande.

Heureusement donc que demain M. Cantona ne mettra rien à mal. Sauf peut-être quelques automates distributeurs de billets. Et encore.

Les conseils qu’on peut donner aux gens à propos de leur banque sont bien plus simples que ces contes pour grands enfants un peu retardés et autres fadas de la citoyenneté suractivée :

  • D’abord ne soyez pas à découvert. Ça coûte horriblement cher.
  • Pour ne pas être à découvert, ou le moins possible, commencer à mettre un peu d’argent de côté chaque mois, même si ce n’est que vingt euros, sur un compte épargne.
  • Choisissez votre banque. HSBC avec ses tarifs chers et pléthore de services en échange, en avez-vous besoin ? Si vous n’utilisez que trois services différents dans l’année, allez plutôt à la Banque postale.
  • Investissez votre argent, ne le laissez pas dormir : ce n’est pas très compliqué, ça peut même être amusant, et il y a des produits peu risqués à condition de se renseigner un minimum sans se laisser dicter aveuglément ce qu’on fait par l’un ou l’autre.
  • N’achetez jamais un produit d’épargne en fonction de l’avantage fiscal qui y est provisoirement attaché (sauf si vous êtes très riche, mais là votre conseiller en gestion et optimisation de patrimoine le fera pour vous).

Évidemment si Éric Cantona disait cela, les journalistes n’en parleraient peut-être pas…

Évidemment aussi ça ne vous protègera pas d’une catastrophe monétaire qu’on sent monter, on y reviendra, ce n’est pas le but ici. Mais ça vous permettra de ne pas nourrir contre votre banquier un ressentiment inutile qui pourrait vous jeter dans les bras de pareils démagogues.

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À propos Nicolas

« Fabrice les entendait qui disaient que le diable était sur la toit, et qu'il faillait essayer de le tuer d'un coup de fusil. Quelques voix prétendaient que ce souhait était d'une grande impiété, d'autres disaient que si l'on tirait un coup de fusil sans tuer quelque chose, le gouverneur les mettrait tous en prison pour avoir alarmé la garnison inutilement. Toute cette belle discussion faisait que Fabrice se hâtait le plus possible en marchant sur le toit et qu'il faisait beaucoup plus de bruit. Le fait est qu'au moment où, pendu à sa corde, il passa devant les fenêtres, par bonheur à quatre ou cinq pieds de distance à cause de l'avance du toit, elles étaient hérissées de baïonnettes. Quelques-uns ont prétendu que Fabrice, toujours fou,  eut l'idée de jouer le rôle du diable, et qu'il jeta à ces soldats une poignée de sequins. Ce qui est sûr, c'est qu'il avait semé des sequins sur le plancher de sa chambre, et qu'il en sema aussi sur la plate-forme dans son trajet de la tour Farnèse au parapet, afin de se donner la chance de distraire les soldats qui auraient pu se mettre à le poursuivre. »

26 réflexions sur « Cantona et les banques »

  1. nicolasbruno

    Très bon article mais qui ne satisfera que les convaincus, que nous sommes.
    Pour une majorité de personnes, le privé, c’est méchant, le public c’est gentil. Les banques et les financiers sont donc les méchants profiteurs qui s’en mettent plein les fouilles. Le public peut taxer, être inefficace, apporter très peu de service, il sera toujours moins mal jugé que les banques privées.

    Ex sur le site souverainiste de « Demain La République » ; « Si Mme Lagarde est si mécontente, qu’elle réunisse en urgence les dirigeants bancaires, qu’elle supprime les bonus et les stock-options, qu’elle sépare les banques commerciales et les banques d’investissement, qu’elle contrôle réellement les frais bancaires
    En attendant, un premier coup de semonce en transférant de nombreux dépôts à la Banque postale permettrait sans aucun doute de faire douter de leur impunité certains banquiers ayant un peu vite oublié que sans les contribuables et l’argent public, ils auraient tout simplement mis la clé sous le paillasson »

    Donc l’opposition entre boursicoteurs et banquiers « propres », « honnètes », et donc forcément appartenant à une banque d’Etat.

    D’autre part, il circule sur la toile de plus en plus un discours selon lequel les Etats pourraient ne plus emprunter aux banques privées mais émettre eux-même de la monnaie « légitime » sans intérêt.

    C’est bien malheureux mais ce type de discours prospère et aucune démonstration censée ne pourra l’arréter.

    1. Nicolas Auteur de l’article

      Effectivement aucune démonstration sensée. Et comme tous les discours de ce type, même leur faillite ne suffira pas à les éteindre. Mais il faut néanmoins dire la vérité. On y reviendra à propos de Marine Le Pen qui ne manque plus une occasion de parler de Pompidou comme d’un affidé de la banque Rothschild (moyennant quoi elle passe pour vouloir rompre avec l’antisémitisme, là aussi il faudra s’expliquer) qui nous aurait obligé à emprunter sur les marchés financiers au lieu d’imprimer de l’argent quand le gouvernement est un peu court. Disons juste que cet emprunt pour quasi-zéro auprès de la BCE, c’est précisément ce qui se passe aujourd’hui de manière un peu plus évoluée que dans les années 30 ou 50, et que ça ne règle rien. C’est même la principale raison qui fait perdurer les problèmes au lieu de les apurer.

  2. Cherea

    En fait, j’ai l’impression que Cantona a été dépassé par cette affaire. Il se confie comme cela, parlant à bâtons rompus, comme on le ferait dans le confort de son salon, fait la révolution en théorie…et des types reprennent son propos et lancent un buzz, Cantona est obligé de prendre le train en marche…maintenant ce qui est pitoyable, c’est que Lagarde le méprise et prend peur et le renvoie à sa place, alors que franchement elle n’y connait pas grand-chose en économie et que le pdt de l’eurogroupe Juncker se sente obliger de commenter ce fait, cela dénote une fébrilité à peine croyable, on a vraiment l’impression que le système monétaire est un chateau de cartes dont la moindre brise le pousserait à l’effondrement…

  3. XP

    Moi je n’y crois pas pour une raison toute bête: Ils vont le mettre où, leur pognon? On va leur verser ou, leurs salaires? Ils vont le payez comment, leur loyer? Ils vont aller à la comptabilité de leur boite expliquer qu’ils veulent être payé en liquide, puis ils iront en personne, tout les mois, payer le loyer au proprio, même chose pour l’EDF, France Télécom, etc? Ils vont faire des courriers à tous ces organismes pour résilier leurs préélèvements, prendre rendez-vous avec leurs conseillers pour expliquer la démarche et obtenir qu’ils résilient pas l’abonnement? Mais c’est un boulot à plein temps!
    Quznd on imagine la difficulté à obtenir que les gens mettent un chèque de vingt euros dans une enveloppe et qu’ils aillent jusqu »à la boite, il faut vraiment qu’il trouve des gens motivé, Canto.

    Je pense que personne n’est fébrile… 9a pourrait être terrifiant s’il réussissait son coup, alors tout le monde se fend d’une pise en garde, au cas où, mais ça ne va pas plus loin. Ce sont des gamineries.

  4. Lanternier

    Votre article est intéressant. Si les banques existent, c’est bien parce qu’elles ont une raison d’être qui est inhérente à toute entité marchande, entreprise multinationale comme petit individu (à savoir gagner de l’argent).

    Cela dit, certains passages de cet article semblent partir d’un présupposé : le marché fonctionne très bien de manière autonome, il atteint toujours un état d’équilibre quand aucun élément perturbateur ne vient nuire à son fonctionnement naturel et/ou spontané, et il y reste. On peut trouver ce genre de modèle chez Walras lorsqu’il parle d’économie pure. Le prix d’un article augmente, baisse ou reste le même, selon le pur ratio offre/demande, et cette modification permet au marché de retrouver aussitôt son équilibre en se reconfigurant légèrement (toujours selon la logique de l’offre et de la demande). Mais une pareille économie, et Walras le reconnaît lui-même, n’est que théorique. Elle fonctionne comme la mécanique pure, « sans frottement », sans éléments concrets et contingents qui viennent freiner ou modifier l’effet des tendances à l’œuvre, voire en susciter de nouvelles.
    Lorsque vous dites que le marché fonctionne très bien tout seul, vous présupposez qu’il peut fonctionner tout seul. Or, cela est faux. Le marché, ou le secteur économique en général, fait partie d’un tout plus vaste qui comprend d’autres secteurs et d’autres points de vue. Croire que le marché est ontologiquement distinct de la politique, qu’il peut fonctionner sans elle, « en circuit fermé », est une illusion. Aron le remarquait déjà dans les années 60, avec le début de la privatisation, les sphères du public et du privé ont une limite de plus en plus poreuse et de nos jours je ne crois pas qu’il soit possible de séparer réellement le public étatique et le privé économique. L’économique a phagocyté le politique, les parlements nationaux ou internationaux sont avant tout des courroies de transmission pour les lobbies, déclarés ou non.
    Vous-même, d’ailleurs, vous vous en rendez compte. Vous dites que la crise a eu lieu parce que les banques ont prêté à des gens insolvables. Fort bien. Vous dites également que l’État a forcé ces banques à prêter. Fort bien aussi… Mais là, j’aurais deux choses à vous objecter. Premièrement, ces banques, de par leur position même, enchevillée à celle de l’Etat, forment un monopole ou un oligopole. Cela les arrange : en les faisant échapper au jeu de la concurrence, une telle position leur permet de court-circuiter ce jeu et d’imposer leurs intérêts sans contrepartie. A titre d’exemple, il s’est passé strictement la même chose en France lorsque les 3 entreprises de téléphonie (Bouygues, SFR, Orange) se sont entendues sur les prix, afin d’éviter qu’ils ne tombent au-dessous d’un certain seuil par le libre jeu de la concurrence, obligeant ainsi les consommateurs à payer toujours plus cher que le prix « naturel » (au sens où Walras employait le terme) du service. Deuxièmement, pour qu’un système économique tourne rond, l’inégalité est possible et même relativement souhaitable, mais elle ne doit pas excéder un certain seuil. S’il y a trop de pauvres, donc de gens n’ayant pas la possibilité de consommer, alors il y aura une trop grande part du système qui ne pourra pas alimenter le système, et celui-ci s’écroulera, faute du dynamisme qui fait le fonctionnement de toute économie. On peut certainement déterminer un seuil plus ou moins exact pour éviter ce genre d’effondrements… et c’est sans doute la raison pour laquelle l’état américain a demandé aux banques de prêter à des gens insolvables. Pour les pousser à consommer, et donc prolonger l’échéance du système économique. Autrement dit, cet Etat que vous voyez comme la cause de la crise, je crois qu’il a au contraire tout fait pour la retarder au maximum, sans pouvoir la supprimer. Au fond, cette crise est structurelle. Et lorsque je parle de structure, ce n’est pas une structure de pure économie de marché déclarée, mais une structure qui sous-tend économiquement des fonctionnements politiques.

    Un marché qui fonctionne à l’infini, avec une croissance à l’infinie, cela n’existe qu’en économie pure et dans un monde dont les ressources sont virtuellement infinies.
    Tout système, tout fonctionnement, toute entité concrète est soumise au devenir. On peut refuser cet état de fait, on peut ne pas le voir, mais on ne peut pas l’empêcher. En l’occurrence, que faire alors ? Je ne sais pas trop. Cette crise était nécessaire, et elle est peut-être souhaitable si elle met l’homme occidental devant son devenir historique, en lui rappelant qu’il est, comme toute chose, soumis au devenir, lui et sa civilisation, et qu’il a intérêt à se bouger s’il ne veut pas finir dans une fosse commune sous les vivats des muslims et autres masses venues du Sud.

    1. Nicolas Auteur de l’article

      Il y a deux manières de répondre à vos critiques. La première consisterait à dire, avec Pascal Salin je ne sais plus dans quel livre, que oui, le libéralisme est une utopie. On pourrait même souligner que c’est sans doute celle qui a fait le moins de morts jusqu’à présent parmi les grandes utopies sociales et politiques. Mais ce qu’il faut bien dire, c’est aussi que ce marché pur, c’est assez peu de sa faute s’il est u-topos : partout il existe des entités appelées États, qui fonctionnent sur des principes diamétralement opposés, et qui ont réussi à s’arroger le monopole de la violence en même temps que celui de tous les territoires disponibles. Ce qui pipe légèrement les dés : quant on n’a à opposer que des arguments à des huissiers du trésor appuyés par la force publique en la personne d’un commissaire de police, la discussion tourne en général assez court. Pour ne rien dire de la manière dont les États ont su se rendre quasi-impssibles à contester quant à leur existence même dans la foule des opinions communes.

      La deuxième manière, sans doute plus intéressante, c’est de questionner cette notion d’équilibre. Le marché fonctionnant bien, est-ce un optimum ? un équilibre bon, le meilleur, qui en prime se perpétuerait ? Le marché parfait et pur, ce serait alors la vraie patrie des harmonistes fous et des régulateurs forcenés, qui se tromperaient sur les moyens ou la méthode mais pas sur le but à atteindre… je ne sais pas trop. Au total je crois que non. La différence entre le marché, ou plus précisément, disons entre une société qui répondrait à des principes libéraux au sens français, libertariens, voire anarcaps d’une part, et la société rêvée des harmonistes fous et des régulateurs forcenés d’autre part, m’a l’air d’être plus profonde, et plus conceptuelle. Le marché fait sa part au mal, il sait que vivre ce n’est pas être dans une situation toujours la meilleure, toujours optimale, où tout le monde peut être heureux en même temps, de la même manière, sous le même rapport.

      D’abord parce que si l’on admet cela, la tentation d’organiser ce bonheur, d’en faire l’ingénierie sociale, en naît presque spontanément pour tenter de trouver une condition moyenne où chacun serait aussi heureux que possible sans que les autres en pâtissent. Ce qui conduit tout droit à des conceptions du bien commun imposé à tous par la violence ou de l’intérêt général qui peut se révéler contraire à l’intérêt de chacun.

      Ensuite, parce que le marché c’est un rapport à la raison meilleur que celui des harmonistes et régulateurs. Bien sûr on pourrait pour les condamner simplement dire que les harmonistes n’ont jamais une intelligence complète et que leur modèle est assez naïvement dérivé d’une intelligence divine omnisciente à laquelle ils n’arriveront jamais. Mais on peut ajouter : c’est un rapport à la raison meilleur parce que le marché conduit à s’arrêter sur les conditions d’usage de la raison ; reprenons en répétant l’évidence : par définition, on ne peut tout savoir. L’incertitude existe donc, elle est même ce qui permet la vie économique. Je ne suis jamais sûr de faire un profit. Mais ce que je sais c’est que globalement, il est impossible que tout le monde agisse durablement contre ses intérêts essentiels, dont il est meilleur juge que les harmonistes, quoi qu’ils prétendent. Le point où il me semblerait évident qu’une organisation harmoniste et régulatrice serait contraire aux agissement des individus qui agissent selon leur intérêt particulier délimite un domaine où les harmonistes perdent forcément : celui où ils refusent de se demander si l’usage de la raison qu’ils prétendent faire (et imposer au besoin) reste légitime et non contraditoire. Il me semble que ce simple refus des harmonistes de se poser efficacement la question de la légitimité de l’usage de la raison, leur incapacité à seulement envisager qu’il y ait un point où il faut qu’elle cède dans ses prétentions immédiates pour se conserver une validité plus haute en ne devenant pas contradictoire (et en assassinant les gens dont elle prétend faire le bien, par exemple, ou en volant les gens qu’elle prétend faire vivre mieux) permet de conclure à la supériorité du marché sur les régulations et les ambitions harmonistes.

      1. Saku

        Nicolas, c’est curieux que vous utilisez le terme d’harmonistes » pour parler des artisan de l’ingénierie sociale.
        Sauf erreur de ma part Bastiat utilise justement ce terme d’Harmonie, de manière générale, pour l’opposer aux planistes et aux ingénieurs sociaux.
        Dans son vocable les harmonistes sont ceux qui croient en cet équilibre divin.

      2. Lanternier

        « La première consisterait à dire, avec Pascal Salin je ne sais plus dans quel livre, que oui, le libéralisme est une utopie. On pourrait même souligner que c’est sans doute celle qui a fait le moins de morts jusqu’à présent parmi les grandes utopies sociales et politiques. »

        Là, je répondrais plutôt avec Raymond Aron, une nouvelle fois. Dans son Essai sur les libertés, me semble-t-il, il abordait le thème des idéologies du XXème siècle, et là où il distinguait le libéralisme du socialisme ou du fascisme, c’est par rapport à sa démarche. Socialisme et fascisme ont en commun une insatisfaction essentielle par rapport au réel, ils jugent que l’homme est mauvais ou faible, qu’il faut le transformer, le remodeler, par le moyen d’un Etat fort. A contrario, le libéralisme commence par accepter la nécessité de ce qui est, pour voir comment les choses fonctionnent (et c’est là la source de l’empirisme anglais). De là la théorie du commerce comme fait naturel, ou du marché comme fonctionnant spontanément, dans certaines circonstances tout du moins.
        Ce qui fait l’intérêt du libéralisme, à mon avis, c’est justement le fait qu’il ne soit pas une idéologie, ni une utopie. Si vous lisez l’Utopie de Thomas More, vous y voyez même des critiques cinglantes du commerce et du cynisme humain, avec l’idée qu’une société utopique serait une société sans propriété et sans argent… Inutile de développer sur la postérité de cette thèse.

        « Mais ce qu’il faut bien dire, c’est aussi que ce marché pur, c’est assez peu de sa faute s’il est u-topos : partout il existe des entités appelées États, qui fonctionnent sur des principes diamétralement opposés, et qui ont réussi à s’arroger le monopole de la violence en même temps que celui de tous les territoires disponibles. Ce qui pipe légèrement les dés : quant on n’a à opposer que des arguments à des huissiers du trésor appuyés par la force publique en la personne d’un commissaire de police, la discussion tourne en général assez court. Pour ne rien dire de la manière dont les États ont su se rendre quasi-impossibles à contester quant à leur existence même dans la foule des opinions communes. »

        Sauf que vous présupposez l’existence, possible ou réelle, du marché pur. Vous présupposez qu’il y a l’essence d’un marché pur, comme il y aurait un lit pur ou une table pure, c’est-à-dire une idée de lit ou de table, chez Platon. Hume a déjà critiqué avec succès ce genre de démarche : on peut tirer des idées de ce qui existe concrètement, mais on ne peut pas prétendre connaître des idées pures dont l’existence serait réelle hors de l’esprit, puis prétendre qu’elles seraient ou pourraient être réelles. Il y a un saut logique qui ne fonctionne pas.
        Ainsi, vous supposez qu’il peut exister un marché pur, qui se trouve entravé par l’Etat. J’admets que l’Etat possède le monopole du pouvoir coercitif (du moins, du pouvoir coercitif officiel et légal), mais cela n’empêche pas, dans les faits, l’Etat et le marché d’être foncièrement imbriqués. Nous ne sommes plus à l’époque du gaullisme où les élites économiques et politiques étaient distinctes – encore qu’elles tendaient à se mêler et à se confondre, phénomène qu’Aron voyait très bien venir.
        Pourquoi savons-nous qu’une société gérée par un Etat totalitaire ne peut pas, grâce à un tel état, acquérir un état de liberté supérieur à une société libérale ? D’une part, parce que c’est une impossibilité logique – Condorcet en avait eu l’intuition 150 ans avant qu’on essaie de le faire -, d’autre part parce que l’histoire du XXème siècle, donc l’expérience, nous l’a amplement prouvé. Si l’URSS a perdu face aux démocraties libérales, ce n’est pas parce qu’elle était immorale mais parce qu’elle était beaucoup moins efficace, sans marché libre, qu’une société libérale. (Et pour d’autres raisons, mais qu’il serait trop long de développer.) Nous savons, et la défaite de l’URSS le prouve, qu’un marché est nécessaire, qu’il constitue une dynamique propre, dont les conséquences sont bien réelles à tous les niveaux.
        Mais nous savons aussi qu’un Etat est nécessaire. Historiquement, il était nécessaire pour subvenir à la violence des hommes, pour permettre aux intérêts de chacun de se résoudre dans le marché (et ainsi de contribuer au développement matériel de tous et de chacun), et empêcher ces mêmes intérêts de mettre en danger la sécurité des individus dans la guerre. Aujourd’hui, la nécessité de l’Etat a peut-être changé de forme mais elle n’en est pas moins présente. Imaginez une France sans Etat. La racaille s’éclate, les magasins sont pillés, les individus aussi, lorsqu’il y a d’importantes chutes de neige l’armée ne vient même pas déneiger les autoroutes et des gens doivent dormir dans des gymnases parce qu’ils ne peuvent plus rentrer chez eux… comment ça, c’est déjà le cas ? En effet. Mais si les choses sont ainsi, ce n’est pas à cause d’un excès d’Etat.
        Dans les domaines dont je parle (ici, la protection des citoyens contre la délinquance et contre les intempéries ; pour le deuxième exemple, c’est du vécu tout frais de juste hier), et qui ne relèvent pas directement du marché, un Etat efficace devrait intervenir. Il n’aurait pas à être fort pour assurer une telle mission. Juste efficace dans les domaines qui sont les siens.
        Si l’existence de l’Etat n’était pas nécessaire, il y aurait bien quelques terres sans Etat sur la planète. S’il y a des Etats partout, c’est peut-être aussi parce que c’est une étape nécessaire du rapport de force entre peuples, entre nations, entre civilisations même. Après, il est tout à fait possible de critiquer l’Etat ou plutôt les formes qu’il prend et les domaines qu’il fait siens, parfois à tort – mais on ne peut pas nier la nécessité de son existence sans tomber dans l’utopie, et dans ce cas, l’expression d’anarcho-capitalisme prend tout son sens.

        « Ajoutons que sur SFR Bouygues Orange, le marché est innocent : si l’Etat ne s’était pas approprié d’autorité les fréquences utilisables par la téléphonie portable – fréquences qui n’appartiennent en fait à personne, et en tout cas pas à l’État – pour en vendre les licences et autorisations d’exploitation à prix d’or à un nombre d’entreprises réduit et in fine choisies par lui, on pourrait espérer que la concurrence existe. En l’état actuel des choses, elle ne peut simplement pas exister. »

        Le « marché » dont vous parlez est une abstraction. Pas une entité concrète. Si l’Etat s’est approprié d’autorité la possibilité d’usage de la téléphonie mobile (et je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il n’avait pas à le faire), quelles sont les personnes particulières responsables de cet état de fait ? Des gens comme M. Bouygues, des politiques, des businessmen, des lobbyistes. Ils ont un pouvoir politique et un pouvoir économique. Ce sont les mêmes personnes et les mêmes milieux sociaux. Du fait que l’hyperclasse ait un pouvoir dans les deux sphères (et ce pouvoir concret montre que la sphère étatique n’est plus distincte, si tant est qu’elle l’ait vraiment été, de la sphère économique), certains ont pu utiliser la puissance de l’Etat pour satisfaire leurs intérêts particuliers économiques propres, et installer un oligopole sur la téléphonie, au détriment de la libre concurrence.
        Dire « c’est la faute à l’Etat », c’est accuser une abstraction d’une action commise par des personnes particulières qui ont une casquette politique comme elles ont une casquette économique lorsque cela les arrange. Cette confusion est tout à fait regrettable, je suis d’accord, mais si ce genre de régulation existe, cela provient directement de l’influence de certains acteurs économiques, qui ont aussi un pouvoir politique (et l’utilisent à leur profit en violation du jeu de la concurrence), non d’un Etat castrateur qui imposerait unilatéralement sa volonté à un marché pur.

    2. Nicolas Auteur de l’article

      Ajoutons que sur SFR Bouygues Orange, le marché est innocent : si l’Etat ne s’était pas approprié d’autorité les fréquences utilisables par la téléphonie portable – fréquences qui n’appartiennent en fait à personne, et en tout cas pas à l’État – pour en vendre les licences et autorisations d’exploitation à prix d’or à un nombre d’entreprises réduit et in fine choisies par lui, on pourrait espérer que la concurrence existe. En l’état actuel des choses, elle ne peut simplement pas exister.

      De même les banques, dont on tire régulièrement le même argument : pour fonder une banque, il faut avant tout obtenir une autorisation de banque visée par une bonne douzaine de services étatiques et, maintenant, européens ; et Dieu sait que c’est difficile, il vaut mieux avoir un copain ministre ou commissaire bruxellois. Comment espère-t-on que devraient en sortir les conditions d’un marché libre ? Ces entreprises font ce qu’elles peuvent, dans des conditions données, et ce n’est pas le marché qui est à blâmer quand les conditions les plus élémentaires de l’activité économique (c’est pour cela qu’on ne pense pas toujours à les considérer) sont à ce point distordues par la régulation.

      1. Baraglioul

        Nicolas,

        Une chose m’étonne : vous semblez souscrire aux propos de Lanternier attribuant une quelconque fonction économique à la consommation ?

        Lanternier,

        Que le marché ne soit pas capable d’assurer l’ajustement de l’offre à la demande d’une manière parfaite et immédiate, c’est une évidence (sans laquelle, d’ailleurs, il n’y aurait pas de profit ) ; c’est en revanche une grave erreur, selon moi, de penser qu’il doit y exister une solution parce qu’il y a une imperfection, et que c’est l’Etat qui est capable d’y remédier.

        Une des raisons pour lesquelles l’Etat n’a pas cette puissance, c’est que la notion d' »équilibre » ne peut avoir de sens que par rapport à un bien économique donné ; à l’inverse, parler d' »équilibre » en général (comme fait Walras, je crois, mais dites-moi si je me trompe), est dénu de toute signification. Or il est bien évident que l’Etat, avec ses gros sabots, est absolument incapable de connaître l’état des déséquilibres particuliers ; seule la connaissance d’un chimérique équilibre général lui est accessible.

        Par ailleurs, dites-moi, n’emploieriez pas le terme « marché », tantôt au sens de « activité économique/marchande », tantôt en celui de « activité économique/marchande non entravée par l’intervention de l’Etat » ?

        Dans ce passage suivant de votre commentaire, il me semble que vous l’entendez dans la première acception (activité économique en général) et que vous lui refusez (à raison) une caractéristique — la capacité de d’auto-réguler — qui n’appartient effectivement qu’à la seconde (l’activité économique en régime libéral), et que vous en concluez (à tort) que la théorie libérale n’est que partiellement exacte :

        « Lorsque vous dites que le marché fonctionne très bien tout seul, vous présupposez qu’il peut fonctionner tout seul. Or, cela est faux. Le marché, ou le secteur économique en général, fait partie d’un tout plus vaste qui comprend d’autres secteurs et d’autres points de vue. Croire que le marché est ontologiquement distinct de la politique, qu’il peut fonctionner sans elle, « en circuit fermé », est une illusion. Aron le remarquait déjà dans les années 60, avec le début de la privatisation, les sphères du public et du privé ont une limite de plus en plus poreuse et de nos jours je ne crois pas qu’il soit possible de séparer réellement le public étatique et le privé économique ».

        Dit autrement, et plus simplement, j’ai l’impression que vous mélangez ce qui est (économie mixte) et ce qui pourrait être (économie libérale).

        1. Nicolas Auteur de l’article

          « Une chose m’étonne : vous semblez souscrire aux propos de Lanternier attribuant une quelconque fonction économique à la consommation ? »

          Alors c’est que je vous ai donné une fausse impression. Sans doute due au fait que pour répondre à Lanternier, il faut précisément accepter son vocabulaire et une partie de ses présupposés, sinon il suffirait de le renvoyer aux principes en lui disant que le droit de propriété etc. Mais ce serait bien abstrait et il me semble que ça ne convainc habituellement pas grand monde, bien que ce soit à la fois très vrai et incontestable.

          Pareil pour la confusion entre marché au sens de fonctionnement économique constatable dans des conditions que l’on explicite pas, et marché au sens quasi-idéal.

           » seule la connaissance d’un chimérique équilibre général lui est accessible. »

          Disons plus précisément qu’il cherche à faire croire avec la complicité des économistes mathématiciens qu’elle lui est accessible, afin d’avoir des statistiques à truquer. D’où par exemple la notion absurde et additionnant tout et n’importe quoi sans tenir compte des droits de propriété qu’est le sacro-saint PIB.

  5. Chouchoute-Moi les Bolox

    « Investissez votre argent… »
    Oui, mais comment faire pour apprendre à le placer ? Je ne demande pas de « bons tuyaux » valables pour aujourd’hui (achète 30 millions d’actions Soupliflex, etc.), mais des conseils pour apprendre à devenir avisé, et faire par soi-même des opérations profitables à court, moyen et long terme. Comment apprendre ?

    1. Nicolas Auteur de l’article

      D’abord il faut lire, se renseigner, confronter les conseils et les publications. Peu à peu vous formerez votre jugement, comme les lectures peuvent forger votre goût ou affiner votre intelligence. Un tel vous dit d’acheter de l’assurance vie, tel autre vous dit de regarder d’abord ce qu’il y a dedans (des bouts d’emprunts d’état grecs ?), en réfléchissant un peu à partir de cela, vous devriez être capable de ne pas acheter d’assurance-vie si la personne qui vous la vend n’est pas capable de vous donner par écrit la liste de ce qu’elle contient. (Et si vous êtes comme moi et que vous n’avez jamais aimé ce produit hybride mi-assurance mi-épargne, vous n’en achèterez de toute façon jamais :o) Cela pour connaître ce qui ne dépend pas de la conjoncture.

      Ensuite il faut vous tenir au courant des nouvelles conjoncturelles, justement, et observer, là encore en confrontant les opinions. Tous les ans le dernier trimestre voit l’or progresser. Il y a des raisons à cela, de la saison des festivals et mariages en Inde jusqu’à Noël chez nous. Si pour la première fois de votre vie vous devez acheter un produit à effet de levier sur l’or, ce serait peut-être une bonne période pour y risquer cent euros – pas plus. Ou bien savoir que la plupart des banques ont des bilans si cochonnés qu’on ne sait pas ce qu’il y a dedans (et encore moins ce qu’il y a à côté) devrait vous inciter à ne pas acheter d’actions de banques, même si on vous dit qu’elles montent.

      Enfin il faut commencer petit, accepter de perdre parfois, ne pas investir en bourse des sommes dont on peut avoir besoin, s’observer un peu pour ne pas vouloir gagner toujours plus au risque de tout perdre, etc. Un peu de bon sens, quoi.

  6. Saku

    « Nous voulons des banques qui ne prêtent que les richesses qu’elles possèdent. »

    C’est amusant, mais plus je lis de littérature libérale (autrichienne…)plus je me rends compte que certaines « revendications » gauchisantes convergent parfois vers les mêmes conclusions.
    Ne prenez pas cela pour un troll SVP, je sais que certains ont le « sang chaud » ^_^

    Ainsi la remarque ci-dessus, rejoint dans un certains sens les positions libérales autrichiennes concernant la critique des banques utilisant la réserves fractionnaires, qui génère inévitablement de l’inflation. Principe aujourd’hui utilisé par l’ensemble des banques, qui ne doivent conserver à peine que 10% en coffre de ce qu’elles prêtent, et encore…
    Rothbard dans sa critique de la FED est même aller jusqu’à comparer le principe de reserve fractionnaire avec de l’escroquerie.

    1. Nicolas Auteur de l’article

      Disons que Rothbard est quelqu’un de très bien, mais que la monnaie est précisément ce qu’il y a de plus critiquable chez lui. (Ceci dit, ce sont de ces chamailleries sur lesquelles on s’étripe quand on est d’accord sur l’essentiel.)

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