Un divertissement sans conséquences

Messagers inconscients du progrès, ils annoncent tous « quelque chose ». Peggy Olson et Betty Draper annoncent le féminisme — plus, dans le deuxième cas, la libéralisation de la bourgeoisie WASP. Salvatore, l’émancipation des gays. Midge, la première maîtresse de Don dans la saison 1, annonce le mouvement beatnik. Et ainsi de suite. On suit ces personnages et on se demande comment leur existence peut être à ce point réductible à un motif sociologique aussi limité. Il va de soi que les personnages d’une série ne peuvent pas n’être que les reflets de leur seule existence individuelle, et qu’ils portent nécessairement en eux une réalité sociale qui leur est à la fois proche et étrangère — c’est une question de vraisemblance. Mais tout est dans le dosage. Dans le cas de Mad Men, l’archétype social supplante trop souvent le caractère personnel. Le récit social ne s’entremêle plus au récit personnel, il s’y substitue et en joue comme d’une marionnette.

Au final, c’est la qualité dramatique de la série qui en souffre. C’était tout particulièrement évident à la fin de la troisième saison, avec le divorce invraisemblable de Draper et de Betty : la discussion dans le salon, entre les parents séparés et les enfants, était une scène des années 2000, pas des années 60. Idem pour le « I won’t fight you » suave lancé par Don à Betty, laquelle appréhendait une réaction violente à sa demande de divorce : ce sont des mots empruntés à notre époque. Des mots plaqués pour un comportement plaqué.

(…)

Mais le commentaire le plus troublant doit être porté au crédit du publicitaire. Questionné lui aussi sur ses attentes pour la nouvelle saison, il a dit s’attendre à une « évolution » spectaculaire de Don Draper. « Tout [au long de la série] , explique-t-il, on voit cet homme s’agripper à un monde de mensonges. On est témoin de son cheminement très douloureux. Cet homme-là est terrifié… Son identité est fausse, il vit dans le mensonge.  On va le voir s’arracher au monde du mensonge pour devenir un peu plus véridique et transparent. » On comprend par la bande que le monde d’avant en était un de mensonge, et que le monde nouveau — le nôtre — en est un de vérité. CQFD.

Un peu de patience, Don se rapproche de nous. Il évolue. Il apprend. Il marche vers la lumière et la transparence. Oh ! comme il s’éloigne, l’odieux macho rayonnant de santé, qui avait osé lancer à l’une de ses maîtresses, dans la saison 1 : « Love ? What you call love was invented by guys like me to sell nylons. » Le temps des provocations est fini. L’âme de Don Draper est en jeu, et elle ne pourra être sauvée que par le progrès. Si Don existait vraiment dans la réalité et qu’il était toujours en vie, il aurait quelque chose comme 85 ans, se promènerait en BIXI, mangerait des cupcakes, militerait pour avoir le droit d’élever des poules en milieu urbain et aurait déchiré depuis longtemps sa carte de membre du Parti républicain.

C’est ici et c’est québécois. Une simple analyse du titre et du sous-titre de cette publicité pour bobo rééducateurs série suffirait presque, mais ne boudons pas le travail des autres.

Add:

Une plus vieille source qui disait déjà tout, dans le London Review of Books, sur la façon dont le spectateur de 2010 à fond la tolérance et la conscience éclairée est flatté de voir ce dinosaure de blanc hétéro fumeur WASP inconscient de vivre ses derniers instants de plaisirs au milieu de ses préjugés d’un autre âge, tout en le jalousant secrètement.

Add-2 : l’excellente réception critique de cette série et l’étrange satisfaction proclamée de son soi-disant succès, ainsi que les nombreux articles béats qu’elles a générés, sont à mettre en relation avec les taux d’audience :  Mad Men n’a jamais dépassé les 3 millions d’audience aux US, Dr House, par exemple, n’est jamais descendu en-dessous de 12. Peut-être faut-il entendre, là encore, une légère distorsion entre ce qu’imaginent les médiateux et ses branchouilles affiliés et le peuple téléspectateur. Ô mon beau miroir…

10 réflexions sur « Un divertissement sans conséquences »

  1. Souverain Poncif

    « Mad Men n’a jamais dépassé les 3 millions d’audience aux US, Dr House, par exemple, n’est jamais descendu en-dessous de 12. »
    3 millions pour une petite chaine ringarde du câble (AMC) c’est énorme, je vois pas comment on peut comparer ça aux chiffres d’audiences de Dr House qui passe sur une chaine nationale comme la Fox…

  2. Vae Victis

    J’aime beaucoup cette série, qui se distingue des autres par sa quasi absence d’intrigue et d’action. C’est une série d’ambiance où l’intrigue s’est dissout dans le background.

    La regarder c’est comme admirer son garage après avoir passé l’après-midi à le ranger. J’y trouve le même sentiment d’ordre. Chaque chose à sa place. L’impression que les choses se trouvent enfin là où elles auraient toujours dû se trouver, et qu’après des mois à errer dans le bazar fait place la netteté.

  3. Irena Adler

    Je suis d’accord avec vous, Il Sorpasso, pour Madmen. Cette série est daubesque. On entre dedans comme dans une grosse boite à bonbons rose-en-forme de-cœur. La première saison lance des dizaines de pistes à la volée, mode ambition : ON. Et puis… plus rien. Trou de mémoire. On se retrouve en présence d’une boite de démonstration : les papiers colorés sont vides.

    Il suffit de savoir une chose pour tout comprendre. L’équipe de scénaristes qui a conçu ce magnifique objet inutile (tout droit sorti d’une émission de téléachat) qu’est Madmen est – chose assez exceptionnelle dans le milieu (heureusement) – essentiellement composé de foutues gonzesses ! Oui, voilà une Prod a eu le bon goût de réunir une équipe exclusivement composée de pétasses du type New-Yorkaises prétentieuses et superficielles. On a donc affaire-là à une oeuvre conçue par des matrones qui se prennent encore pour des jeunes filles pour… leur propre nombril ! Une oeuvre de khâgneuses, justes sorties de l’Université-pour-riches qui a verni la crasse de leur intelligence et de leur sensibilité primitives, d’une mince croûte sucrée de confiture cultureuse !

    Passée la saison 1, Madmen ce ne sont juste plus que des sales gamines pourries-gâtées qui jouent à la poupée avec leurs acteurs et qui prennent en photo les beaux jouets que la Prod’ leur a offerts, au lieu de faire sagement leurs devoirs. C’est tout.

    Si je les tenais, ces mollafesses, voilà les questions que je leurs poserais :

    Est-ce que vous n’étiez pas parties, à l’origine, de l’idée que vous alliez édifier une critique « évangéliqu-oïde » du « Pourquoi le monde de la Com' »?
    N’aviez-vous pas pensé, à l’origine, que vous bâtiriez peut-être une socio-physio-psychologie érotique du grand Lucifer (le Maitre des apparences) des temps modernes, avec sa parlure, son Histoire, avec ses grands hommes et ses grands ouvrages fondateurs?
    Ne pensiez-vous pas aussi en venir, pour ce faire, à décoder tôt ou tard un certain nombres des théories « pseudo-philosophiques » utilisées par les « communiqueux » ?
    Ne pensiez-vous vraiment pas montrer à quel point il y avait eu quelque chose d’hallucinant et une quantité certaine d’hubris, à avoir prétendu (et à prétendre encore) enseigner à toutes les générations « communiquantes » nouvelles un certain nombre de moyens infaillibles pour devenir Maître du Monde et accéder au Côté Obscur de la Force ?
    N’alliez-vous pas finir éventuellement par nous faire nous rendre compte que les génération nouvelles avaient été conditionnées pour ne plus voir le caractère hallucinant d’une telle vision du monde, par le « soft-power » vecteur du rêve américain ?
    Ne pensez-vous pas, enfin qu’on consolide mieux un système comme celui du libéralisme américain en se chargeant « en interne », à la fois de sa critique la plus poussée et de sa promotion discrète, qu’en laissant le soin de le mettre à bas par des ennemis extérieurs qui seraient infoutus de ne rien construire de mieux à la place ?

    Non? Vous ne savez pas ? Vous ne savez plus ? Vous ne comprenez pas, peut-être ? Non, vous préférez juste les catalogues de mode féminine des années 50. Ah bon. Autant pour moi, désolée..

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