De l’équilibre

Les magistrats ne disent pas uniquement le droit. Ils remplissent aussi une fonction sociale indispensable à l’équilibre de notre société

Brice Hortefeux. 2010.

Ah, on rigole, on rigole, mais il y en a qui seraient prêt à attribuer une sorte de paternité à Brice Hortefeux pour ces propos là. Comme s’il avait fait démonstration ici d’une quelconque originalité.

Jacques Julliard est de ceux-ci. De ces deux phrases énoncées par Brice Hortefeux il conclut brillamment,

En d’autres termes, la justice ne doit pas être rendue seulement conformément à la loi. Elle doit tenir compte des humeurs du peuple. Ce qui se profile en filigrane, c’est la « justice populaire », la même, à y bien réfléchir, que celle que préconisait la Gauche prolétarienne dans l’affaire de Bruay-en-Artois. Coupable parce que notaire, ou coupable parce que Rom ou immigré, n’est-ce pas toujours le même déni de justice, le même refus de la loi égale pour tous ? Le vrai critère du populisme, qu’il soit de droite ou de gauche, celui qui l’exclut de la mouvance démocratique, ce n’est pas la confiance dans le peuple, c’est la défiance envers la loi. Nous y sommes.

Bien sûr il est tout à fait mensonger de conclure des propos de Brice Hortefeux que celui-ci nourrit de la défiance envers la loi. Ce n’est pas envers la loi qu’il fait mine d’en avoir. Non, comme tout le monde, il cible les magistrats. Or, n’en déplaise à Jacques Julliard, les magistrats et la loi, ce n’est pas la même chose.

Le magistrat applique la loi mais celle-ci lui laisse une marge de manœuvre qui n’est pas mince. Aussi bien dans la qualification des faits, la détention provisoire, le jugement au tribunal que dans la peine infligée… C’est la fameuse loterie judiciaire. Dont vous sortez plus ou moins gagnant selon votre origine sociale, votre couleur de peau, votre capacité de séduction, la valeur de votre avocat, la qualité du repas ingurgité à midi par votre juge et l’orientation de ses opinions politiques. Difficile de faire la part dans tout ça.

Subtil mélange.

Nous sommes jugés par des hommes.

Mais auxquels nous n’avons notamment cessé de donner, pendant des décennies, plus de latitude dans leur métier pour individualiser les peines.

Maintenant, manifestement, il semblerait qu’un modèle de juge semble s’imposer au fil des années. Et il suffit d’entendre les syndicats de magistrats -ou de regarder dans le détail la décision de la chambre de l’instruction de Grenoble sur l’affaire d’Uriage- pour comprendre que ces magistrats sont les premiers à se défier de la loi. Peut-être parce que, contrairement à Brice Hortefeux il ne la font pas. Peut-être aussi que les amitiés politiques de beaucoup d’entre eux vont à la gauche de l’échiquier politique.

Peut-être parce qu’ils sont habitués à ne plus avoir de compte à rendre au peuple. Ils vivent, comme tout ceux de leur classe sociale, de moins en moins parmi lui. D’ailleurs, pourquoi serait-elle la seule profession a ne pas avoir été touchée par la fameuse fracture sociale ? Les décisions que vous prenez en tant que magistrat ont de moins en moins d’impact réel dans votre vie. Le petit voleur ou agresseur de quartier vous ne le croiserez jamais. Ces classes populaires qui défilent dans votre prétoire, même au supermarché vous ne les voyez plus, elles sont au Lidl. Etc.

Je ne dis pas que certains magistrats n’en sont pas conscient et n’essaient pas de contrebalancer la chose. Je dis que, confronté à la bêtise, la violence et la misère humaine, l’une des choses qui a le pouvoir de vous obliger à avoir mauvaise conscience en condamnant justement mais sévèrement, c’est de ressentir personnellement les conséquences de vos décisions.

Et je m’aventure à penser que c’est de moins en moins le cas.

Ce n’est pas propre aux magistrats. C’est juste la marche logique de notre société qui se fragmente.

Alors oui, la défiance envers ces magistrats là, elle, existe de la part du pouvoir. Mais on la ressent bien plus dans les peines planchers -par exemple- que dans ces deux phrases anodines de Brice Hortefeux.

Mais pour certains les humeurs du peuple sentent moins bon que celles des magistrats.

Il faut toujours laisser faire les professionnels.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

6 réflexions sur « De l’équilibre »

  1. Bob Arctor

    La question qui tue: L’état de droit est-il destiné à abdiquer faute de pouvoir respecter son propre droit ?

    Un avocat me racontait que juque dans le grosses collectivités territoriales et malgré tout le bataillon de juristes qu’elles emploient, on continuait à nager dans l’illégalité permanente.

    Les tribunaux administratifs sont remplis de ces couilles dans le potage qui ont fait littéralement déborder la soupe. Ce n’est qu’à force d’entêtement procédurier que des particuliers arrivent à faire plier les Mairies et les Syndic pour des choses qui tomberaient sous l’évidence de n’importe quel neuneu.

    Ce mépris de la loi par les gens et les institutions qui ont tout le temps et l’argent pour se mettre en conformité avec elle, c’est assez fascinant je trouve.

  2. Aquinus

    Je discutais pour ma part avec deux juristes parisiens, la cinquantaine, très versés dans l’Histoire du droit et les fondements de législatifs. Ils me disaient que globalement, le système juridique dans son ensemble ne croyait plus à sa propre autorité; ils me disaient même que de plus en plus souvent les acteurs de ce système ne croyaient plus au bien-fondé de leur faire appliquer, ceci expliquant le fait qu’ils n’osent plus se réclamer une quelconque autorité. Enfin l’un d’entre eux me disait être en contact régulier avec des collègues au Royaume-Uni et que ceux-ci dressaient grosso-modo le même constat.

    Il est inévitable qu’au milieu de telles ruines se dressent de nouvelles autorités, de nouvelles institutions, de nouvelles formes d’autorité qui seront les prémices, parfois clandestines, des frontières futures.

    Houellebecq n’a qu’en parti raison lorsqu’il oppose la carte au territoire et lorsqu’il dit que nous avons cessé de vivre et de maîtriser ce territoire. En même temps celui-ci existe toujours. Il suffit de prendre une carte des gangs dans la région parisienne, avec toutes ces annotations et ces points rouges quartiers par quartiers, et l’on a en filigrane la vraie carte en phase avec le territoire réel du pays, le filigrane de ce que sera la carte dans quelques décennies. Ou l’une des cartes possibles.

    Il nous faut à tout prix nous détacher de ces institutions vermoulues qui ne sont plus qu’un décor fantôche comme dans Tintin chez les Sovietes, malgré quelques soubressauts passagers et en théorie une énorme force de frappe du côté de l’Etat pour faire régner l’ordre. Ce chateau de cartes ne pourra pas être sauvé, on ne lui ré-injectera pas de vie à ce niveau de coma.

  3. Alexandre Petit

    |c’est la défiance envers la loi. Nous y sommes.!

    Quel loi ? Quel juge connaît la loi ? Les codes pénal, civil, administratif, des assurances, aérien, de la manière d’élever les mouches à quatre et trois pattes… puis les traités et lois supranationales qui rendent caduque l’alinéa chose au paragraphe truc du dixième tome de lois de code l’application de la médecine en milieu carcéral pour enfant, ce qui entre parenthèse fait du monde judiciaire un rentier… comme les experts comptables sont les rentiers du code fiscal. Sans fiscalité d’État si incompréhensible, n’importe est apte à tenir une comptabilité sommaire au paiement des impôts.
    C’est l’arbitraire, l’arbitraire MORAL. Car a défaut d’une justice de l’absolue application d’un texte, on applique un critère moral à un fait. Bien ou pas ? Le type qu’a tué c’est pas déjà la victime de quelque chose ? Et l’intention, morale ou pas ?

    Et en ajout aux propos d’Aquinus, la légitimité de condamner vient de plus en plus des médias.

  4. Aquinus

    Oui c’est exactement ça, le corps juridique dans son ensemble ne croit plus avoir la moindre légitimité pour punir, c’est-à-dire pour faire leur travail. C’est un grand corps de chomeurs subventionné grassement par les propres victimes de leur abandon de poste.

    Cette légitimité est passé ailleurs, elle est encore diffuse. Pour l’instant ce sont effectivement les medias qui en ont repris le flambeau, mais ça ne durera probablement pas tellement la soif de justice et de vengeance sont inscrits au coeur de l’homme, et demandement des institutions qui les tempèrent.

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