Magistrats voyous

Je vais tenter d’être clair afin que, encore une fois, même un magistrat ou un journaliste malencontreusement égaré puisse comprendre. Certains magistrats sont des voyous. Je dis voyous, mais les mots de canailles ou de crapules peuvent également convenir. On me dira que le terme est un peu fort, injurieux peut-être. Ou mieux, qu’il est diffamatoire et qu’il conviendrait ainsi d’avoir des preuves de ce que j’avance.

Il n’est, bien entendu, pas question de prétendre que ces magistrats sont des voyous judiciaires. Personne ne les accuse d’avoir violé la loi et d’avoir été condamnés pour cela. Mais il sont parfois des voyous en ce qu’il sont des hommes sans scrupules ni moralité. D’autant plus coupables qu’ils occupent des fonctions qui peuvent broyer des existences entières.

Pourquoi sans scrupules ni moralité vous demandez-vous ?

Citons Christophe Régnard, interrogé par France Info sur le tout dernier bras d’honneur de la justice à l’égard du peuple français, le maintien sous seul contrôle judiciaire de Moncif Gabbour par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble,

La décision du JLD était à l’époque fondée

C’est cela qui est formidable dans la magistrature. Vos décisions peuvent être fondées par d’autres décisions prises par… Vos pairs. Vos voisins du bureau d’à côté. Désormais, grâce à ces trois magistrats de cette même cour de Grenoble, les critiques des forces de l’ordre et des politiques portées à l’encontre du JLD sont donc « infondées ». C’est pratique d’être magistrat français. Ce doit être tout juste en dessous de pape pour l’infaillibilité. En dessous parce qu’il faut quand même le concours -que certaines âmes noires, incrédules et méchantes pourrait qualifier de corporatiste- de vos collègues.

Se serrer les coudes.

Tous ensemble.

Jusqu’au bout.

Ah, on voit que les leçons d’Outreau sont, effectivement, parfaitement intégrées par le président de l’USM…

Mais il n’est pas le seul.

Intéressons-nous à l’avis de la chambre de l’instruction de Grenoble qui ferait dix-sept pages (je ne les ai pas in extenso) et qui serait très bien motivé selon Christophe Régnard.

Cela me fait l’effet d’attendre un FPS sous le sapin de Noël. Je sais que je vais bientôt fraguer et j’en suis terriblement excité d’avance. Alors allons-y sur les éléments intéressants.

Que dans ce cas la détention ne peut être ordonnée, ou prolongée, que par référence aux seules dispositions des articles 143-1 et 144 du même code ;

Que l’article 144 du code de procédure pénale dispose en outre que la détention ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à sept objectifs qu’elle définit limitativement, et qui ne pourraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ;

Que cependant, l’appréciation du caractère insuffisant des obligations du contrôle judiciaire ainsi que des objectifs que seule la détention provisoire permettrait d’atteindre, ne peut se faire sans référence aux éléments objectifs du dossier ; qu’il convient d’ailleurs de relever à cet égard que lors de l’audience, tant le ministère public que la défense ont longuement évoqué ces éléments

Formidable. Le tour de passe-passe commence.

Car le « Que cependant », il signifie quoi en pratique ? Que les magistrats de la chambre de l’instruction ne se sont pas contentés d’évaluer l’intérêt de mettre en détention provisoire Moncif Ghabour sur les seules dispositions de l’article 143-1 et 144 du CPP, mais se sont également piqués d’opérer une évaluation de la solidité des charges retenues contre notre suspecté deuxième braqueur. Ce qui se confirme un peu plus bas dans l’arrêt.

Mais ce n’est pas ce qui leur est demandé. Ni ce pourquoi ils ont autorité ou mission.

Et, encore une fois, contrairement à ce que bien des magistrats tentent de nous faire croire, cela est fort heureux pour les justiciables.

Aussi est-il mensonger de prétendre que des leçons d’Outreau sont tirées avec un JLD qui s’occupe de ce qu’il ne le regarde pas. Le fait que le JLD outrepasse ses fonctions, en tentant de ne pas mettre en prison les gens pour lesquels il juge qu’il se pourrait qu’il soit innocents, ne répond pas une seconde aux enjeux d’Outreau. Pourquoi me demanderez-vous ?

J’observe déjà que rien ne dit, d’abord, que le (ou les) JLD de l’époque dans cette affaire n’ait pas été partisan lui aussi d’évaluer la solidité des charges retenues contre les suspects. Si j’ai suivi de nombreux épisodes de la commission d’enquête parlementaire, je ne me souviens plus de cet aspect-là. Si quelqu’un se souvient de cet aspect, qu’il me fasse signe en commentaires.

Quoiqu’il en soit, il convient que la détention provisoire ne soit justement ni une mesure pour faire avouer (ce qu’à été Outreau pour partie), ni qu’elle soit perçue comme un préjugement -ce qu’elle est encore trop. Or, si désormais on considère qu’on ne met plus en détention provisoire que les gens pour lesquels il y a des charges importantes, ce serait désastreux pour ceux qui ne comparaîtraient pas libre et pour leur présomption d’innocence.

Pour régler ce problème il n’y a qu’une solution. Il convient qu’un accusé en détention ou libre ne doive pas sa détention ou sa liberté à l’épaisseur ou la solidité des éléments retenus contre lui. Que sa détention ou sa liberté soit par contre décidée par un juge spécifique, le JLD, qui statue sur d’autres critères que la « certitude ou la quasi-certitude » (pour reprendre les mots de la chambre de l’instruction de Grenoble), de sa culpabilité.

Sinon, franchement, on ampute la moitié de ce pourquoi le JLD a été institué.

Autrement dit, il est essentiel de ne s’intéresser qu’à l’article 144 et rien que lui.

Vient ensuite de leur part une analyse point par point de l’article 144. Je ne retire pas un mot de ce que j’ai pu écrire sur ce sujet. Mais reprenons les points où il y a débat.

Sur les pressions concernant les témoins ou victimes,

Que si les magistrats instructeurs doivent procéder à des auditions, voire des confrontations, pour vérifier les alibis fournis par certains témoins, le risque de pression peut être sérieusement écarté dans la mesure où, entre la date des faits et l’interpellation du mis en examen, plus de six semaines se sont écoulées pendant lesquelles, ce dernier, pratiquement toujours dans la région, a eu la possibilité d’entrer en contact avec les témoins, sans qu’il soit allégué ou qu’il ait été observé qu’il l’ait fait

Etant donné que le mis en examen était en cavale, il est possible qu’il ait préféré éviter d’entrer en contact avec les témoins… Il est également possible qu’il n’ait eu, jusqu’à son arrestation, aucune idée de qui ces témoins étaient mais que, désormais, grâce à son avocat, il connaisse leur nom. Et on ne parle même pas du risque que ces témoignages, même recueillis, peuvent varier lors du procès de manière surprenante si le mis en examen se montre persuasif d’ici-là. Ici, c’est la personnalité du mis en examen qui compte. Et il s’agit d’un multirécidiviste. Un homme déjà condamné pour braquage à main armée. Pas un enfant de coeur.

La chambre de l’instruction de Grenoble est donc complètement à côté de la plaque.

Mais c’est aussi que la chambre de l’instruction ne considère pas qu’il y ait eu cavale,

Attendu que les documents produits par le conseil de Moncif G. permettent d’établir qu’il s’est présenté à une convocation du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de GRENOBLE le 22 juillet 2010, ainsi qu’à une consultation auprès de son médecin pour renouveler son traitement le 18 août 2010, ce qui n’est pas l’attitude d’un délinquant “en cavale” ;

Que depuis son placement sous contrôle judiciaire, il n’a pas cherché à fuir et qu’il s’est effectivement présenté à l’audience de la chambre d’instruction à laquelle il était convoqué ;

Que sa représentation en justice paraît dès lors suffisamment garantie par une mesure de contrôle judiciaire ;

Mais qui dit que Moncif Ghabour se soit senti menacé dès le 22 juillet, c’est à dire moins d’une semaine après le braquage proprement dit et une poignée de jours seulement après les émeutes de Grenoble ? Pourquoi ne l’aurait-il pas appris plus tard ?

Quant à sa consultation chez son médecin, en quoi ne saurait-elle pas être l’attitude d’un délinquant en cavale ayant décidé de rester dans la région ? Les délinquants en cavale ne vont plus chez le médecin ? Qui aurait pu penser que ce médecin était sous surveillance ? Et le médecin n’est-il pas celui qui ne peut pas parler, tenu par son secret professionnel ou, encore plus sûrement encore, par l’éthique de son métier ?

Autres questions, notre suspecté deuxième braqueur du casino d’Uriage était-il à son domicile habituel ? Ses journées étaient-elles semblables à avant le braquage ? Pourquoi les policiers affirment-ils qu’il était en cavale ? Ils mentent éhontément ? Ils n’ont pas les pages blanches ? Pas de téléphone pour composer les renseignements si l’homme n’était pas en cavale ?

C’est bien simple, la chambre de l’instruction ne démontre en aucun cas dans cet arrêt que Moncif Ghabour n’ait pas été en cavale. Et, à défaut, ne dit absolument pas en quoi la déclaration des policiers sur la cavale sont inexactes. Ni pourquoi un homme pour lequel la cour a reconnu qu’il y avait de fortes pressions pour qu’il soit appréhendé ne l’ait été qu’environ un mois et demi après les faits s’il ne se cachait pas.

On l’a suivi pendant un mois et demi ? Placé sur écoute ?

Manifestement non, sinon la cour n’aurait pas manqué d’en faire mention…

Autrement dit, cela sent légèrement le foutage de gueule.

Concernant le risque de récidive,

Attendu que le casier judiciaire de Moncif G. fait état de 7 condamnations antérieures, dont une prononcée le 18 juin 2008 par une Cour d’assises pour des faits de vols avec arme commis début 2006 ; que dans le cadre de cette dernière condamnation, il se trouve sous le régime de la mise à l’épreuve depuis le jour de sa libération, soit le 12 septembre 2009 ;

Qu’il a régulièrement répondu aux convocations du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation ; qu’un incident a été cependant noté puisqu’il a été intercepté à l’aéroport de ROISSY, en mars 2010, alors qu’il partait pour un séjour de vacances au Mexique sans avoir sollicité l’autorisation de sortir du territoire national ; que cet incident a donné lieu à une convocation devant le Juge de l’Application des Peines le 13 avril 2010 ; que lors de cet entretien, le contenu de ses obligations lui était rappelé, ainsi que le risque de révocation du sursis en cas de nouvel incident ; qu’aucun incident ultérieur à ce rappel à l’ordre n’apparaît au dossier ;

Que le soutien mis en place par sa famille dont il bénéficie, renforcé encore depuis son interpellation et par la pression que représentent les accusations portées sur lui, paraît suffisant en l’état pour prévenir le renouvellement de l’infraction ;

Monsieur est multirécidiviste, condamné par les assises la dernière fois, suspecté de braquage cette fois-ci, mais, voyez-vous, monsieur bénéficie du soutien de sa famille. Voilà. Monsieur sait qu’il risque la révocation de son sursis, alors, même s’il est suspecté d’un braquage, vous imaginez bien qu’il ne va pas récidiver. Ce n’est pas comme s’il l’avait déjà fait à plusieurs reprises. Et puis, sept fois, vraiment, ce n’est rien.

Bon, je crois que cette partie se passe de commentaires. D’autant que le plus scandaleux arrive juste après,

Attendu que, comme le précise l’article 144 7° du code de procédure pénale, le trouble à l’ordre public ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire, quand bien même aurait-il, comme en l’espèce, été largement entretenu, voire même amplifié, par les différentes prises de position rapportées dans les médias ;

Qu’il ne peut être contesté en l’espèce que les faits, ayant été commis à l’aide d’armes de guerre, utilisées contre des policiers, personnes dépositaires de l’autorité publique, ont, par leur nature, gravement porté atteinte à l’ordre public ; que ce trouble a persisté puisque de véritables émeutes ont soulevé le quartier de la Villeneuve au cours des trois jours qui ont suivi, nécessitant l’intervention de nombreuses forces de police pour rétablir l’ordre ;

Attendu toutefois qu’il convient, par ailleurs, d’observer que les éléments matériels réunis lors de l’enquête approfondie ne permettent pas d’identifier indiscutablement le co-auteur de Karim BOUDOUDA, les expertises réalisées par le LIPSADON ne pouvant être considérées comme des preuves scientifiques absolument fiables et déterminantes ; que si un faisceau de coïncidences troublantes permet de penser que Moncif G. pourrait avoir commis les faits pour lesquels il a été mis en examen, il ne peut, en l’état du dossier, donner lieu à une certitude ou à une quasi-certitude quant à sa participation aux faits ; que dès lors, et compte tenu des incertitudes qui demeurent au dossier, le placement en détention de Moncif G. n’apparaît pas de nature à apaiser le trouble à l’ordre public qui résulte des faits ;Attendu qu’ainsi, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, les critères légaux permettant le recours à la détention provisoire ne sont pas suffisamment établis et que le contrôle judiciaire strict, tel que mis en place par le juge des libertés et de la détention, s’avère toujours suffisant au regard des nécessités de l’instruction et à titre de mesure de sûreté ;

Le premier rappel de la chambre de l’instruction, concernant le seul retentissement médiatique, est salutaire. Ce dernier n’est pas suffisant pour mettre quelqu’un en détention provisoire. Cependant, ce nécessaire rappel n’est pas appliqué partout avec autant de courage, par exemple dans le cas de René Galinier. C’est l’un des menus problèmes que la justice et ses magistrats ne veulent pas voir de manière incompréhensible. Tant pis. Je n’ai pas vocation à les instruire. Normalement il y a une école bordelaise pour ça.

Le trouble public, donc, nous venons de l’apprendre grâce à cet arrêt, doit être pondéré par l’évaluation de la solidité et validité des éléments et charges retenues contre le mis en examen par le JLD. C’est frais, c’est nouveau, ça vient de sortir. On ne trouve rien de tout cela dans les textes humains, c’est donc une illumination divine qui touche les magistrats du siège grenoblois. Miracle. Le JLD doit donc, en cas de non-certitude, considérer que la mise en détention n’est pas de nature à apaiser le trouble à l’ordre public résultant des faits… Même si on s’attache au code de procédure pénale il n’a pas à évaluer ou à se préoccuper de cela. Mais le code de procédure pénale, n’est-ce pas, c’est aux policiers de le respecter, les magistrats, eux, ils n’ont pas que ça à foutre que de respecter la loi alors qu’ils peuvent l’interpréter.

On comprend bien de quoi il s’agit. Il s’agit de confondre sciemment détention provisoire et détention suite à une condamnation. Et ensuite, vlan, on balance qu’un innocent en prison c’est un trouble à l’ordre public plus grand que tout autre.

Formidable.

Je ne vais pas revenir sur le fait que de tels propos sont terriblement attentatoires à la présomption d’innocence des mis en examen qui se trouvent en détention provisoire et qui, faut-il le dire encore, sont également présumés innocents.

Moralité, tout cela est, comme on peut le voir, est de nature à apaiser le trouble à la justice qui touche bien de nos concitoyens.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

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