La bonne épouse

Lorsque le gouvernement français accorda enfin droit de cité au débat sur l’identité nationale, il y avait bien longtemps que j’avais pénétré dans le théâtre… Je fus aux premières loges quand le rideau se leva. A mes côtés se tenait ainsi qu’un véritable corps de garde, ce bataillon d’amis acquis encore plus tôt que moi à la Cause, au travers duquel le brouhaha du monde contemporain et son concert discordant de bonnes intentions, avait cessé quasi-complètement de me parvenir. Protégée comme j’étais de ce que je haïssais le plus : la barbarie, la vulgarité et la solitude, mes instincts de guerrière s’étaient quelque peu émoussés. Attendri par la tiédeur du foyer conjugal dont m’avait par ailleurs échu la charge, mon esprit avait repris le cours de rêveries plus anciennes – rêveries de la maternité et de la soupe aux poireaux.

Ca n’est pas si facile, me croirez-vous, d’être une bonne épouse… Toute personne ayant véritablement aimé la politique a forcément pensé un jour – serait-ce l’instant d’une lubie – qu’il y aurait sans doute beaucoup de joie à s’en aller mourir au nom d’une grande idée susceptible de donner du sens à la vie… Plus de joie, certainement, qu’à continuer ainsi, mollement, à « vivre pour vivre », c’est-à-dire livré à la sensation d’inhumaine absurdité qui se dégage d’une telle condition… Encore faut-il naturellement pour que ce genre de petit miracle arrive, que la vie elle-même en vienne à proposer un tel deal à pareil individu ! Or, ce n’est pas une chose aussi ordinaire qu’on voudrait parfois le croire… Autant il est assez remarquable de constater que les jeunes gens de ma génération, eux les premiers spectateurs de notre époque, se porteraient fort probablement tous volontaires pour une ultime action d’éclat si l’heure venait de remplacer les comédiens en scène, et même de détruire le théâtre, autant l’être humain est toujours beaucoup moins courageux lorsqu’il s’agit d’endurer pareil sacrifice sur la longueur… Pourtant, l’épouse, à elle, que lui demande-t-on, sinon de ranger ses vanités personnelles dans une boite à bijoux, et de diminuer chaque jour que dieu fait, tel l’oignon fond lentement dans la poêle, au profit de ceux qu’elle nourrit de bons soins et d’amour ? Il faut bien vous dire que ces deux-là, le guerrier et sa femme, ne mènent pas deux combats différents, mais œuvrent chacun de leur côté, chacun à leur manière, à l’édification de la société néoconservatrice telle que nous la désirons. Il faut bien vous dire aussi que là où l’histoire n’offre que rarement au jeune anarchiste de droite de périr pour ce qu’il aime, son épouse en revanche, si tant est qu’elle soit dévouée au même idéal, abandonnera immanquablement à celui-ci tous les avantages que lui offrait le monde moderne en tant que femme ! – Notamment celui, notable, d’être « un homme comme les autres », c’est-à-dire de prétendre à l’universel. Pour la femme réactionnaire, c’est bien simple, dans la mesure où elle intègre spontanément le schéma patriarcal, tout activisme politique ne peut que se confondre en définitive avec son devoir d’épouse, et même il se résume à aimer son mari plus qu’elle-même.

Ainsi j’allais désormais l’âme au repos, car je ne crois pas que rien ne soit plus indispensable au bonheur que de se savoir utile. Servir ! Joie qui unit le plus petit des hommes au plus grand…

12 réflexions sur « La bonne épouse »

  1. Anthony

    « là où l’histoire n’offre que rarement au jeune anarchiste de droite de périr pour ce qu’il aime, son épouse en revanche, si tant est qu’elle est dévouée au même idéal, abandonnera immanquablement à celui-ci tous les avantages que lui offrait le monde moderne »

    Certes, mais l’anarchiste de droite, s’il vit ses convictions politiques comme la bonne épouse, tentera au moins d’assumer ses responsabilités, n’abandonnera pas femme et enfant pour la première bimbo venu, et, avec plus ou moins de succès, essayera de donner une éducation à peu près correcte aux gosses.
    Très bon article sinon.

  2. Irena Adler

    @ Alex : … A qui vous adressez-vous donc ? A l’auteur ? Au narrateur ?

    En tous les cas même si les bourgeois exemplaires (comme l’est assurément cette coquine de narratrice) agissaient tous par un mélange de vanité, d’hypocrisie et de couardise, ne pensez-vous pas que cela ne regarde que leur confesseur, et non la société (dont vous, lecteur, êtes représentant), qui trouve en eux ses meilleurs éléments et plus excellents serviteurs ?

    Vous qui postez sur Ilys, j’espère que vous ne seriez pas du genre à agresser un pacifique notable et sa femme irréprochable durant un dîner en ville, au motif que vous devinez secrètement des raison psychologiques honteuses à l’exemplarité de leur conduite ?

  3. Alex

    A la narratrice…qui est le reflet de son auteur dirons nous.

    Notez par ailleurs que je ne parle pas de la vanité « des bonnes épouses » mais de celle de votre protagoniste, qui visiblement n’appartient pas à cette race de femmes (qui ne sont d’ailleurs pas vraiment celles qu’affectionnent les hommes que vous semblez tenir en faveur).

  4. Irena Adler

    Hum.

    Bon, Alex, vous semblez vouloir opposer un type particulier de vanité qui caractériserait la « race » des « bonnes épouses » bourgeoises à celui dont fait preuve ma narratrice [je vous prierai d’ailleurs de vous en tenir à ce terme, dorénavant, pour l’évoquer, merci]. De même la « race » particulière à laquelle cette dernière appartient serait, toujours selon vous, « visiblement » autre. Seriez-vous capable de la nommer ? Aurions-nous affaire-là à un concept de votre cru ? Si c’est le cas, sachez qu’il m’intéresse. J’adore les concepts ! 🙂

    Si par contre, vous étiez, pour quelque raison que ce soit, dans l’impossibilité de développer, étant donné que vous vous êtes pour l’instant borné au sous-entendu fumeux, j’en resterai à mon idée première, c’est-à-dire que votre remarque est à la fois infondée et gratuite.

    ***

    Quand vous en aurez fini avec cette question, s’il vous reste de l’entrain, j’aimerais aussi avoir votre avis à ce sujet :

    Dans quelle mesure, quand Alex (qu’I.A. ne connait pas) vient écrire à Irena Adler (qu’Alex est persuadé de connaître) : « Les hommes que vous aimez ne vous aiment pas ! », vient-il essentiellement lui parler de lui ?

    Vous avez 2 jours (au-delà de quoi votre précédente remarque sera supprimée).

    Merci

  5. Alex

    «Bon, Alex, vous semblez vouloir opposer un type particulier de vanité qui caractériserait la « race » des « bonnes épouses » bourgeoises à celui dont fait preuve ma narratrice [je vous prierai d’ailleurs de vous en tenir à ce terme, dorénavant, pour l’évoquer, merci].»

    Vous lisez mal, je n’oppose pas deux types de vanité…j’évoque seulement celle de votre narratrice qui s’enorgueillit de son «sacrifice».

    «De même la « race » particulière à laquelle cette dernière appartient serait, toujours selon vous, « visiblement » autre. Seriez-vous capable de la nommer ?»

    Penchant plutôt du côté de Lady MacBeth…(âme puissante au crime, Rêve d’Eschyle éclos au climat des autans – CB) ou de la chieuse ordinaire ; à voir.

    «Si par contre, vous étiez, pour quelque raison que ce soit, dans l’impossibilité de développer, étant donné que vous vous êtes pour l’instant borné au sous-entendu fumeux, j’en resterai à mon idée première, c’est-à-dire que votre remarque est à la fois infondée et gratuite.»

    C’est pourtant limpide ; pour ce qui est de développer, ce serait bien volontiers si je n’étais pas d’une indolence criminelle…aussi il vous faudra faire avec ce qui existe autour du sujet, en attendant le jour de mon éventuelle production.

    «Dans quelle mesure, quand Alex (qu’I.A. ne connait pas) vient écrire à Irena Adler (qu’Alex est persuadé de connaître) : « Les hommes que vous aimez ne vous aiment pas ! », vient-il essentiellement lui parler de lui ?»

    Je croyais qu’il était question de votre narratrice ? Et encore une fois vous me lisez mal…

    1 – j’ai dit que votre narratrice n’était pas à ranger dans les «bonnes épouses»
    2 – j’ai dit que le genre d’hommes qu’elle/vous semble(z) affectionner au vu de la teneur de ce texte…n’est pas celui fait pour les bonne épouses.

    Bref, j’ai du mal à suivre le cheminement de pensée vous amenant à trouver « Les hommes que vous aimez ne vous aiment pas ! » dans mes propos.

    Quant à ce que je pense de vous, rien ; si ce n’est l’indifférence cordiale que j’accorde à toute personne qui m’est inconnue.

    «Vous avez 2 jours (au-delà de quoi votre précédente remarque sera supprimée).»

    J’ai le droit à un bon point pour avoir rendu ma copie en avance ?

    NB: Si celle-ci ne vous donne pas satisfaction, libre à vous d’effacer sommairement mes commentaires ; je ne vous en tiendrais pas rigueur.

Laisser un commentaire