Ceci n’est pas le prophète

J’ai toujours été nul en philosophie, ça m’emmerdait comme pas possible…je n’ai que très rarement trouvé dans de lourds concepts forgés à la pelleteuse des applications pratiques…le seul machin un peu marrant et qui a une résonance contemporaine est l’allégorie de la caverne de Platon – qui doit, je pense, être le premier texte étudié en classe de philosophie en terminale…- et on trouve son application immédiate avec Paris-Plage. Je ne reviendrai pas sur l’analyse de P. Murray, reprise à toutes les sauces sur une flopée de sites…Donc l’allégorie de la caverne, on sait à peu près de quoi ça cause, mais ce qui est fascinant avec Paris-Plage est que Festivus-Festivus (pour reprendre les termes de l’autre) accorde une réalité à une chose qui n’en a pas tout en ayant la conscience la plus aigue que la réalité est sur les côtes de France et que lorsqu’on dit plage, on entend forcément mer et baignade…Platon n’a pas pu conceptualiser cela, mais concrètement il faudrait ajouter un paragraphe  à cette allégorie… l’homme enfermé dans la caverne a enlevé ces chaines et contemplé les feux de joie et il préfère remettre ses chaines pour vivre dans sa réalité qui n’est qu’une ombre des feux de joie (Vérité, eidos, Soleil, idée…appelez cela comme vous voulez)…Ce long paragraphe pour dire que c’est la seule application valable que je connais à un concept philosophique…c’est bien pourquoi je trouve la littérature bien supérieure à la philosophie…question de style déjà et puis la littérature c’est un cas pratique de la vie…tout simplement…

Donc, la philosophie, c’est pas mon truc et pourtant je vais m’aventurer sur ces périlleux rivages…pour illustrer le propos du jour.

L’un des fondements de l’Islam et du Judaïsme est la non-représentation de Dieu et du prophète. Je peux parfaitement comprendre la non-représentation de Dieu (même si on est à son image), c’est un être tellement supérieur que nous ne pouvons entendre la chose…Cela me rappelle une anecdote, je rentrais de NY et j’étais assis à côté d’un Loubavitch, qui exerçait le métier de boucher du côté de Creteil, assez rapidement, nous engageâmes la conversation, et il me dit assez péremptoirement et avec modestie, ton assez étrange  » Il y a un créateur et nous sommes ses créatures »…donc je peux comprendre la non-représentation de Dieu, même si elle pose problème, philosophiquement parlant bien entendu.

L’interdiction de la représentation dans les religions est, je pense, une sacrée barrière au développement des arts…encouragé par les institutions religieuses, l’art connaît des bonds et des frontières inexplorées, l’artiste encouragé par les institutions divines considère son don comme une grâce et un talent supérieur, sublime…suffit de regarder les collections du Vatican pour s’en convaincre…et puis cela donne le cadre, qui est la chose la plus importante dans l’art, « l’art naît de luttes, vit de contraintes et meurt de liberté » a écrit Gide.

Mais revenons à la non-représentation, elle est de fait impossible…Borges a très bien montré qu’avec un nombre limité de signes, on pouvait absolument tout écrire, dire et que s’il manque un mot pour décrire quelque chose, suffisait de former un mot plus ou moins ex-nihilo, un mot désignant une chose n’est qu’une convention acceptée de tous, un mot ne représente que la chose elle même sans être la chose à proprement parler…

Oh, je n’invente absolument rien, Magritte a mis en avant cette réalité avec son fameux « ceci n’est pas une pipe », de la même manière que le mot « chien » ne mord pas comme a écrit Williams James…

Nous pouvons écrire que tout est représentation sauf la chose elle-même qui est l’essence même et dès lors l’essence précède l’existence (contrairement à ce que pensait ce connard de Sartre)…puisqu’une essence ne peut exister, s’il n’y a pas de représentation pour 1) la nommer 2) se représenter comme l’essence dans l’idée d’un tiers. Je ne sais si je me fais clair…la conclusion de cela pour dire, qu’il ne peut y avoir d’essence, d’existence s’il n’y pas de représentation, c’est extrêmement trivial mais c’est pourtant la réalité brute sinon à chaque fois que j’évoquerais l’idée d’une chaise il faudrait que je me ballade avec une chaise sur le dos, ce qui est assez peu pratique, convenez-en…

Ainsi lorsque les Juifs évoquent Dieu en l’écrivant D., cela est déjà une représentation de Dieu…De même, lorsqu’on écrit « Tu ne représenteras pas le Prophète » le mot Prophète est déjà une représentation de Mahomet, lui-même une représentation de l’homme qui a dicté le Coran…et ainsi de suite…

On ne peut sortir de la représentation, tout est est représentation, car la représentation n’est pas une présentation et impose une démarche réflexive illustrée par le préfixe re-.

8 réflexions sur « Ceci n’est pas le prophète »

  1. Nebo

    « l’art naît de luttes, vit de contraintes et meurt de liberté » a écrit Gide.

    J’aime bien certains trucs de Gide, lointaines lectures adolescentes qui m’ont laissé un goût de miel dans la bouche, mais là il dit une connerie énorme le protestant pédéraste. Nietzsche a dit que nous avions l’Art pour ne pas devenir fous. Ce qui permet de penser la vie d’atteindre à une lucidité sur soi, qui apporte la Conscience du monde et qui ne masque rien du négatif et nous fait l’accepter sans résignation, en prononçant un Oui jouissif et positif.

    Et puis les écrivains authentiques, on les entend penser lorsqu’on les lit. « La littérature n’est ni un passe-temps ni une évasion, mais une façon – peut-être la plus complète et la plus profonde – d’examiner la condition humaine. »
    Ernesto Sabato, L’Écrivain et la catastrophe et du même, à méditer : « Ayant entendu dire que les idées sont le propre de la philosophie ou de la science, beaucoup d’écrivains ont essayé de les proscrire de leurs fictions, pratiquant ainsi une sorte d’étrange irréalisme ; bien ou mal, les hommes ne cessent jamais de penser et on ne voit pas pour quelle raison ils devraient cesser de le faire à partir du moment où ils deviennent des personnages de roman. Il suffit, pour constater l’ampleur de la plaisanterie, d’imaginer un instant ce qui resterait de l’œuvre de Proust, de Joyce, de Dostoïevski, de Thomas Mann ou de Tolstoï si nous enlevions les idées.»

    Dans le recueil d’essais intitulé Sur les écrivains, Pierre Drieu la Rochelle témoigne de ses débuts littéraires : « Comme au lendemain matin de Charleroi, j’avais de nombreuses choses urgentes à crier sur la guerre, sur l’homme dans la guerre, sur la confrontation de la vie et de la mort et il fallait que je trouvasse un moyen qui fût à la mesure de la violence de mon cri. »

    Les vrais écrivains pensent, souvent aussi bien que les grands philosophes, seulement ils ne développent pas des postulats, des systèmes. Une simple phrase d’écrivain vaut parfois dix notions Kantiennes. Je lis Le Feu follet de Drieu, en ce moment, et une phrase comme celle-ci vaut son pesant de cacahuètes métaphysiques, où il décrit le monde intérieur du personnage principal, dégénéré, drogué et sans volonté aucune si ce n’est celle de regretter sans cesse sa beauté qui s’en va et qui, il le sait, ne reviendra jamais, un peu comme la France : « (Alain) n’ayant plus la force d’animer les choses et de les sublimer dans le sens du symbole, entreprend sur elles un travail inverse de réduction et les use et les ronge jusqu’à atteindre en elles un noyau du néant. »

    Alain est un personnage faible et pitoyable, en bout de course, il sait qu’un drogué ne peut atteindre une liberté intérieure, même éphémère, qu’en assumant la grandeur tragique de sa condition dont il ne parvient pas à sortir qu’en s’élevant dans la mort. En lisant ce livre je réalise combien Drieu nous en dit également sur lui-même tant il est vrai que « nous ne sommes des personnages qu’à l’heure de notre tragédie. » (Drieu la Rochelle, Histoires déplaisantes). Il a assumé ses épousailles avec le Nihilisme jusqu’au bout… collaborant avec les nazis puis, malgré la main tendue de celui qui fut, avant guerre et probablement l’était-il encore, son meilleur ami, Malraux, il s’est donné la délivrance par la mort.
    Jean-Paul Bourre dans « L’orgueil des fous » se demande justement : « Sommes-nous des spectateurs ou des acteurs de notre vie. Toute la question est là, tout le drame aussi. » (Je cite de mémoire)

    Finissons avec Nietzsche et à une de ses forts nombreuses approches de l’Art et de la Littérature de son temps qu’il lisait beaucoup, en particulier les français (Baudelaire, Stendhal, Flaubert, …) :

    « L’art doit avant tout embellir la vie, donc nous rendre nous-mêmes tolérables aux autres et agréables si possible : ayant cette tâche en vue, il modère et nous tient en brides, crée des formes de civilité, lie ceux dont l’éducation n’est pas faite à des lois de convenance, de propreté, de politesse, leur apprend à parler et à se taire au bon moment.

    De plus, l’art doit dissimuler ou réinterpréter tout ce qui est laid, ces choses pénibles, épouvantables et dégoûtantes qui, malgré tous les efforts, à cause des origines de la nature humaine, viendront toujours de nouveau à la surface : il doit agir ainsi surtout pour ce qui en est des passions, des douleurs de l’âme et des craintes, et faire transparaître, dans la laideur inévitable ou insurmontable, son côté significatif.

    Après cette tâche de l’art, dont la grandeur va jusqu’à l’énormité, l’art que l’on appelle véritable, l’art des œuvres d’art, n’est qu’accessoire. L’homme qui sent en lui un excédent de ces forces qui embellissent, cachent, transforment, finira par chercher, à s’alléger de cet excédent par l’œuvre d’art ; dans certaines circonstances, c’est tout un peuple qui agira ainsi.

    Mais on a l’habitude, aujourd’hui, de commencer l’art par la fin ; on se suspend à sa queue, avec l’idée que l’art des oeuvres d’art est le principal et que c’est en partant de cet art que la vie doit être améliorée et transformée. Fous que nous sommes ! Si nous commençons le repas par le dessert, goûtant à un plat sucré après l’autre, quoi d’étonnant si nous nous gâtons l’estomac et même l’appétit pour le bon festin, fortifiant et nourrissant , à quoi l’art nous convie. »

    Nietzsche – Humain, trop humain

  2. Cherea Auteur de l’article

    « nous avions l’Art pour ne pas devenir fous »…hum humm…donc en fati une bonne flopée d’artistes prendraient sur eux notre part de folie…car il n’y a pas plus dingue qu’un artiste…au contraire, je considère que l’art rend fou, suffit de voir des collectionneurs devenir dingues pour une pièce…

    « Et puis les écrivains authentiques, on les entend penser lorsqu’on les lit », oui c’est assez vrai, surtout de Montaigne qui dictait ses essais et je ne sais plus qui disait pote de La Boétie, qu’on le voyait penser quand on lisait les Essais alors que pour d’autres on les voyait écrire…

    Je pense qu’on est d’accord sur la supériorité de l’écrivain rapport au philosophe…

    Sur le fait que l’art doit embellir la vie… j’en suis sûr…faudrait le rappeler à de nombreux « artistes »…mais je pense que l vrai artiste doit avoir un ego démesuré et faire concurrence à Dieu, quand l’écrivain fait concurrence à l’état civil…

    longue discussion

  3. Nebo

    Jeune je me faisais peur car je me croyais fou. Puis avec le temps, je me suis aperçu que je ne pouvais faire porter le cachet de la folie à ma sensibilité à fleur de peau, car en vérité les fous c’était le monde entier sauf moi. Grosso modo. Alors les artistes, c’est la même chose mais par des forces décuplées… y’a rien d’anormal, quand on y réfléchie de prêt, à Van Gogh se coupant l’oreille, à Michaux prenant de la drogue, ou au jeune éphèbe Rimbaud buvant de l’absinthe avant d’enculer ce vieux satyre dégueulasse et crasseux de Verlaine. C’est le monde qui tourne mal et se refuse à considérer face à face ses démons… pour au final parvenir à s’en débarrasser ou à les maîtriser au fil de l’expérience acquise. On préfère se dire que LA NORME encadre le tout, dans cette éternelle galère psycho-socio-familiale… et on n’est pas au bout de nos surprises puisque depuis quelques décennies LA NORME est en pleine transformation pour la plus grande joie de nos Gôchistes lénifiants et de nos barbus qui se frottent les mains et aiguisent leurs couteaux.

    Il faut savoir, quand on est artiste, ce que l’on vaut. Et être très humble, c’est là mon avis… si on est très bon, de toute façon on passera aux yeux de beaucoup comme un égocentrique cherchant à concurrencer Dieu. Mais à la base de quoi a besoin l’artiste ? Nietzsche dirait : de son pain et de son art… comme le peuple a besoin de pain et de jeux. Son pain et son art, rien de plus. Victor Hugo, par exemple, est lui-même très clair à ce sujet dans sa jeunesse. En 1851, après le coup d’Etat, à Bruxelles il écrit : Une fois ceux que j’aime en sécurité, qu’importe le reste : un grenier, un lit de sangle, une chaise de paille, une table et de quoi écrire, cela me suffit. »

    Il ne faut pas s’arrêter aux apparences, aux vestiges, mais tracer sa route :

    « Nostre pratique en effet est un chemin dans les sables, où l’on doit se conduire par l’estoile du Nord, plutost que par les vestiges qu’on y voit imprimés. La confusion des traces, qu’un nombre presqu’infini de personnes y ont laissées, est si grande, et on y trouve tant de differents sentiers, qui menent presque tous dans des deserts affreux, qu’il est presque impossible de ne pas s’égarer de la veritable voye, que les seuls sages favorisés du Ciel, ont heureusement sçeu deméler, et reconnoistre. » Limojon de Saint-Didier, Lettres aux Vrais Disciples d’Hermès (1699)

    Affaire de Conscience, de Concentration et d’Eveil… de Jeux aussi. Choses qui ne sont pas données à tous et à toutes et sitôt qu’on les possède on passe aux yeux des fous qui se croient normaux pour un cinglé de premier ordre.

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