James Ellroy : un tueur sur la route.

James Ellroy est né le 4 mars 1948 d’un père comptable de 50 piges et d’une mère infirmière d’origine allemande. Ses parents divorcent six ans plus tard.
Jean Ellroy, la mère, est assassinée le 22 juin 1958. L’assassin ne sera jamais arrêté.  Cet événement va complètement niquer la tête de James et nourrir toute son oeuvre.
Son père meurt en 1965. C’est le début d’une lente descente aux enfers. Renvoyé du collège, Ellroy tente de rentrer à l’armée mais est réformé. Il plonge dans l’alcool et la drogue.
Ellroy vit plus de dix ans sans domicile fixe, de petits boulots, de larcins, dort dans les parcs, s’introduit chez les gens, moins pour cambrioler que pour ressentir le grand frisson.

En 1975, un abcès au poumon le fait renoncer aux abus de toxiques. Il brise le cercle infernal dans lequel il s’est enfermé. Il devient caddie de golf à Los Angeles et commence une vie plus rangée. En 1978, il s’inspire de son expérience de caddie pour poser la trame de fond d’un premier roman : Brown’s Requiem, publié en 1981. Il poursuit avec Clandestin (1982), puis livre sa série des « Lloyd Hopkins » (1984 – 1986), qu’il clôt avant terme, ne publiant que trois livres sur cinq prévus initialement. François Guérif, directeur de la collection Rivages/noir et Jean-Patrick Manchette contribuent à populariser son oeuvre en France.

Il publie ensuite Un tueur sur la route. Il se lance après dans l’écriture du livre qui lui apporte gloire et célébrité : Le Dahlia Noir, adapté au cinéma par Brian de Palma en 2006, film raté. Suite au Dahlia noir, il continue d’écrire sur sa ville de Los Angeles dont il est l’écrivain définitif.
Toujours obsédé par l’histoire de sa mère, il écrit Ma part d’ombre en 2004, récit qui relate l’itinéraire de sa génitrice et permet de calmer ses démons.
Il se présente désormais comme un ermite vivant en vase clos pour éviter que l’univers de ses romans, qui se passent dans les années 1940 à 1970, ne soit perturbé par le monde contemporain.

James Ellroy est sans conteste l’un des écrivains les plus adulés et reconnus pour ses romans qui ne sont pas seulement des romans policiers, ou des romans noirs mais bien des romans complets, des romans qui englobent et décrivent la totalité de la société et de l’expérience américaines. En fait, nous pouvons affirmer sans trop nous tromper, que James Ellroy, de par son écriture et son style est un fantastique chroniqueur de son temps, de sa société et nous offre à travers ses romans une vision lucide de l’époque. Tout comme Balzac décrivait la première moitié du XIXème siècle, James Ellroy décrit la seconde moitié du XXème siècle avec en toile de fond des histoires de meurtres et de policiers. Nombre de ses œuvres ont été adaptées au cinéma avec plus ou moins de bonheur. Je conseille L.A. Confidential avec Russel Crowe de Curtis Hanson si vous souhaitez voir une adaptation fidèle et réussie de l’œuvre du maître.

Maintenant que vous en savez un peu plus sur James Ellroy, ami de nos terreurs enfouies et ennemi de notre confort matériel sombrons dans cette œuvre décalée qu’est Un tueur sur la route.

Paru en 1986 aux USA, le roman arrive  en France en 1989 grâce à la très bonne traduction de Freddy Michalski. Le roman écrit à la 1ère personne livre la confession hallucinante d’un tueur en série. À l’époque les tueurs en série ne sont pas encore les protagonistes populaires de films ou de livres qu’ils sont aujourd’hui. Cela démontre l’instinct d’anticipation de Big E.

« Il existe une dynamique dans la mise en oeuvre de l’horreur : servez-la garnie d’hyperboles fleuries, et la distance s’installe même si la terreur est présente, puis branchez tous les feux du cliché littéraire ou figuratif, et vous ferez naître un sentiment de gratitude parce que le cauchemar prendra fin, un cauchemar au premier abord trop horrible pour être vrai. Je n’obéirai pas à cette dynamique, je ne vous laisserai pas me prendre en pitié…
Je mérite crainte et respect pour être demeuré inviolé jusqu’au bout du voyage que je vais décrire, et puisque la force de mon cauchemar interdit qu’il prenne fin, vous me les offrirez. »

L’antihéros de cette terrible confession est Martin Plunkett (MP). Son père l’abandonne rapidement et il tue sa mère par le poison à peine majeur. Recueilli par des services sociaux, MP apprend le métier de voleur ce qui lui permet de s’introduire sans trop de difficultés chez les gens. Nul doute que dans les scènes descriptives d’intrusion chez les particuliers, James Ellroy fait parler ses expériences de voleur. Le soir de l’assassinat de Robert Kennedy, MP s’introduit chez un couple et les aperçoit en plein coït. Ce jour marque un climax chez notre héros et il cherchera tout le long de son odyssée meurtrière à retrouver ces sensations salvatrices et destructrices.
Comme son nom l’indique, notre tueur bourlingue à bord d’un véhicule qu’il baptise la MortMobile, lieu de supplices de ses victimes. Rompu à une méthode quasi infaillible, notre tueur voyage à travers les états américains parsemant sa quête de meurtres barbares. Vous pensez, à raison, que l’on pourrait vite se lasser d’une action que l’on pense répétitive. Pas du tout.

James Ellroy inaugure dans ce livre une technique qu’il parfera dans les autres suivants. Afin d’aérer et de rendre plus vivant le récit, notre auteur insère dans la relation de ses horreurs des coupures de journaux, des rapports de police identifiables par une typographie propre qui résument et synthétisent les faits et gestes du tueur en série.

James Ellroy fait également preuve d’innovation en mêlant la fiction de son roman avec l’Histoire comme nous l’avons vu avec l’assassinat de Robert Kennedy. Il fait de même en incorporant Charles Manson à son roman qui a défrayé la chronique dans les années en 70 en massacrant Sharon Tate, la compagne à l’époque de Roman Polanski lors d’une orgie bien sanglante. James Ellroy reprendra cette double technique : insérer des rapports avec une typographie spécifique et mêler l’Histoire et la fiction qu’il crée de toute pièce. Cette technique brouille les repères si bien que nous prenons la fiction pour la réalité. Fiction et réalité se confondent.
Mais revenons à MP. Déjà époustouflant, le roman prend un nouveau tour encore plus fantastique et incroyable lorsque dans la quatrième partie du livre intitulé La foudre frappe deux fois James Ellroy imagine la rencontre entre Martin Plunkett, le tueur en série que nous suivons depuis le début avec un autre tueur surnommé le Scieur du Wisconsin. Nous assistons alors à une création littéraire inédite que la lecture rend encore plus hallucinante. Afin de ne pas dévoiler encore plus l’intrigue, je vous laisse seuls juges de cette œuvre.
Ce roman de James Ellroy n’est pas une introduction à l’œuvre de l’immense écrivain mais bien un livre complètement à part qui peut être lu indépendamment des autres.

Enfin, anecdote (vraie ou fausse) pour finir et elle résume bien l’aspect réaliste du roman, on dit que ce bouquin est donné aux étudiants de Quantico afin qu’ils aient une bonne première approche de la mentalité d’un tueur en série.

15 réflexions sur « James Ellroy : un tueur sur la route. »

  1. Restif

    Bien que la fidélité à l’œuvre soit évidente,je n’ai pas trouvé « LA Confidential » très réussi.
    Un produit correct, mais fade, qui est à Ellroy ce qu’un coca éventé est à une gnôle sortie de l’alambique du distillateur clandestin. La distribution a totalement raté le rôle de celui qui reste à mes yeux le plus grand personnages d’ Ellroy, l’irlandais Dudley Smith, moderne incarnation du diable qui dans une galerie qui contient des Bondurante des Buzz Meeks , l’incroyable Haviland,(et tant d’autres…) me parait pourtant sans rival –sauf peut-être Loyd Hopkins himself, mais Hopkins aussi brutal, entre deux eaux soit-il, reste du côté du bien, quand Dudley représente le machiavélisme à moitié dément d’un être qui élève sa morale à l’échelle de l’unique vérité, ployant, pliant tout à ses pulsions dévoratrices, il est la loi dévoyée, l’impureté suprême, le philistin démoniaque qui n’est plus qu’esprit de possession, voyeur, comme tous ceux qui ont perdu la charité et veulent s’emparer du secret des âmes qui n’appartient qu’à Dieu, violant les intimités pour mieux détruire, humilier, écraser. Le démon d’aujourd’hui… Sa silhouette domine tout le quatuor de Los Angeles et son duel avec Preston Exley (sacré personnage aussi) en constituera d’ailleurs le dernier volet, ultime règlement et apurement des comptes. Ellroy à en lui du Balzac, du Dostoïevski et du Faulkner, avec ce sens du péché si purement américain, et cet espoir envers et contre tout d’une rédemption qu’on va chercher avec ses tripes et qui ne rachète jamais tout à fait le passé.
    Depuis la suite et fin D’American Tabloïd, Underground Usa, il me semble qu’Ellroy est moins hanté, donc un tout petit peu moins bon. Tout se passe comme si d’avoir écrit « Ma part d’ombre »,en le délivrant, l’avait privé d’une partie de son incroyable pouvoir narratif, cette immersion totale au plus profond des personnages, dans leur sous-sol, ce naturalisme lyrique qui sent la nuit, le mal, la jouissance mauvaise et le remord. Et l’amour, toujours présent, main perpétuellement tendue par le destin, dernière chance des maudits. En perdant sa part de damnation Ellroy aurait-il perdu l’art secret de conter les villes où la tentation fait son trottoir, villes-casino où l’on relance d’une vie, d’une âme, d’un meurtre?
    Quoi qu’il en soit l’œuvre est là, fascinée par les nocturnes que nous habitons, qui nous habitent, prodigieusement émouvante dans son désir éperdu de miser de toute ses forces sur l’amour, fut-on le dernier des rats d’égouts. A tous ceux qui croient le roman mort… embarquez vous d’abord en Ellroy, refaites la route de Dante, ici le polar n’est qu’un habit , le décor de l’inexpiable, de éternelle lutte du cœur de l’homme.
    Merci à Cheraa d’avoir évoqué à sa hauteur ce rescapé aux mains pleines de sombres merveilles.

  2. Cherea Auteur de l’article

    En fait, j’ai dit que LA Confidential était réussi, parce qu’inconsciemment je le comparais à l’adaptation pourrie du Dalhia Noir de De Palma.
    Je suis d’accord avec toi, mais rendre Dudley Smith d’un point de vue cinématographique est impossible. Ce n’est qu’un personnage en toile de fond ou un second rôle dans chaque tome du quatuor mais le plus important dans la globalité du quatuor, c’est très dur de rendre cela au cinéma…mais il est vrai que c’est le personnage le plus effrayant de l’histoire,, il mériterait une étude universitaire à lui seul à l’instar d’autres personnages de la littérature…Je suis entièrement d’accord sur le fait que James Ellroy s’est calmé, il a écrit ma part d’ombre, a apparemment rencontré l’amour et on le ressent à la lecture d’underworld USA. C’est raté et les attentes ont été déçues…après huit ans

    C’est vrai qu’il y a du Balzac et du Dostoievski chez Ellroy…le talent du chroniqueur pour décrire une époque et celui de l’observateur qui arrive à s’insérer dans les tréfonds des personnages qui sombrent, absolument et extrêmement…
    Personnellement, j’ai toujours eu de la sympathie pour Bondurant…son côté québecquois…et puis je l’aime bien dans American Tabloïd et American Death Trip..
    Un tueur sur la route est vraiment à part dans son oeuvre…et c’est ce qui m’a intéressé pour en faire la chronique…
    Je commence une série sur le polar et je pense que je reviendrai à BIG E. à travers Le Grand Nulle Part ou La trilogie Underworld USA…

  3. Restif

    C’est vrai, tu as raison, scénaristiquement il était impossible de mettre Dudley en premier plan –sauf à réaliser un six fois une heure , comme la BBc jadis, pour La Taupe de Le Carre. C’est d’ailleurs là qu’on peut repérer l’une des facettes de l’art d’Ellroy dans la construction du personnage de Dudley Liam Smith, meneur de jeu toujours en lisière, toujours rodant à la bordure des vies,manipulateur caché sous la surface de la loi. Une étude universitaire sur D.L.S…J’en rêve! plutôt que la millième étude de la Bovary… ça serait, enfin!, du nouveau. Seul un américaniste couillu pourrait se le permettre.
    J’étudierai ça en « figure moderne du diable », le Satan d’un monde déspiritualisé, mais qui garde, imprenable, sa part d’opacité, de MAL. Mais il y a plein d’autre manière d’aborder le personnage, la dualité notamment, aussi la jouissance d’une intelligence pour la domination plus que pour l’argent, et le sens du secret –être le maître des choses cachées, de la partie invisible du monde, « le grand nocturne » pour reprendre un titre de Jean Ray.

    J’aime beaucoup aussi Bondurant. Son histoire avec son frère qui en dit tant sur lui… Et puis dans American vertigo sa « fin de carrière », son amour –ah, l’amour chez Ellroy…. Ce n’est peut-être pas un hasard si Exley doit abandonner l’amour pour combattre Dudley (dont le couple et la famille,ce qu’il ressent vraiment pour eux, reste le secret le mieux caché. Je me demande ce qu’Ellroy lui-même en dirait. En tous cas ça ajoute énormément à la complexité vertigineuse du personnage, qui après tout avec son idée de « contenir », de faire sa part au mal parce que celui-ci est de toute manière imbattable et qu’il faut bien faire la part du feu, échappe à toute étiquetage absolu. Mais il apparaît que chez lui, les moyens employés détruisent l’excuse. Enfin bon,il y a de quoi faire une étude serrée !
    Dostoïevski m’est souvent venu à l’esprit par la capacité de l’écrivain à laisser ses personnages aller jusqu’aux bout d’eux-mêmes, leur laisser une complète autonomie une fois que se produit la déflagration entre ce qu’ils sont et les événements. Mel C.,le flic du Grand nulle part, « tueur de nazi », qui tient tellement à son fils. Gaffaney et son rapport hallucinant à Hopkins (leur ultime rencontre arracherait des sanglots à un roc ! Les tripes sont prises). Ellroy OSE, ose briser les cadres d’un personnage, montrer quel paquet d’émotions contradictoires nous sommes.

    C’est parfait d’évoquer Un tueur sur la route, l’idéal pour entrer dans Ellroy. Puis c’est vrai… Le quatuor ou l’évocation des dessous Hoover-Maffia de la trilogie U .Usa, qui prend des milliers de page, ce serait ardu en un post. L’important était d’évoquer ce grand écrivain, et pas de problème, ça donne envie de le lire. Et de le relire !
    Bonne chance pour l’étude, c’est une idée superbe. Si je devais absolument choisir j’aurais une légère préférence pour le Quatuor, mais ici le coeur doit parler et l’autre massif romanesque est si riche…Ellroy mérite d’être étudié et aimé comme ça,sans attendre cent ans.

  4. Ariane

    J’ai passé toutes mes années de lycée à lire James Ellroy, et ma plus grande frustration est de ne jamais avoir trouvé un auteur similaire.
    J’ai tout essayé, Connely, David Peace, je n’ai rien trouvé.

    Je ne lis pas les polars français car je ne peux pas m’empêcher de trouver ça ridicule, je ne veux que du polar noir avec des héros qui se perdent dans la nuit et qui ressentent parfois de l’attirance pour les tueurs qu’ils pourchassent, mais à part Ellroy, impossible de trouver, alors si vous connaissez un autre auteur….

    1. Cherea Auteur de l’article

      Bonjour Ariane,

      ça a été très dur de retrouver quelque chose de la noirceur de J. Ellroy. Je peux te conseiller Robin Cook, l’auteur anglias, pas l’Américain qui écrit des polars médicaux et notamment j’étais Dora suarez…

      Sinon, en parlent de mec qui sombre totalement…j’ai eu un vrai choc avec Versus d’Antoine Chainas, un auteur français, mais un personnage, un flic de nom de Nazutti…celui c’est du haut niveau dans la galerie des flics de polars…un peu le genre lloyd Hopkins mais en vraiment plus fêlé…tiens moi au courant…

  5. lettow

    Le seul l´unique, c´est ADG,même pas parce qu´il était d´extrème Drouaaate et que son Djerzinsky est inspiré de Beketch, lisez « notre pére qui êtes odieux », « pour venger pépére » et quelques autres…

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