Il est devenu banal de se plaindre de l’agitation et du surmenage de notre époque. A la vérité, ce qui distingue surtout notre époque, c’est une paresse et une lassitude profondes; et le fait est que la réelle paresse est la cause de l’agitation apparente. Prenez un exemple tout à fait extérieur : les rues sont bruyantes à cause des taxis et e la circulation, mais cela tient moins à l’activité humaine qu’au repos humain. Il y aurait moins d’agitation s’il y avait plus d’activité, si les gens se contentaient de marcher. Notre monde serait plus silencieux s’il était plus actif. Et ce qui est vrai pour l’agitation physique apparente est également vrai pour l’agitation apparente de l’intellect. La machinerie du langage moderne est, dans l’ensemble, une machinerie qui allège le travail, et allège le travail mental beaucoup plus qu’elle ne le devrait. On recourt aux expressions scientifiques comme à des rouages et à des tiges de piston pour que la voie du confortable soit encore plus rapide et plus lisse. Les mots à rallonges nous fracassent les oreilles comme des locomotives traînant une quantité de wagons. Nous savons qu’ils transportent des milliers d’individus trop las ou trop indolents pour marcher et penser par eux-mêmes. C’est un bon exercice que de s’efforcer pour une fois d’exprimer une opinion personnelle avec des mots d’une syllabe. Si vous dites : « Tous les criminologistes reconnaissent l’utilité sociale d’une sentence indéterminée comme faisant partie de notre évolution sociologique vers une vue plus humaine et plus scientifique du châtiment », vous pourrez continuer à deviser de la sorte pendant des heures sans que la matière grise remue beaucoup à l’intérieur de votre crâne. Mais si vous commencez par dire : « Je veux que Jones aille en prison et que Brown dise quand Jones en sortira », vous découvrirez, avec un frisson d’horreur, que vous êtes obligés de penser. Les mots longs ne sont pas des mots durs; ce sont les mots brefs qui sont durs. Il y a beaucoup plus de subtilité métaphysique dans le mot « damn » que dans le mot « dégénérescence.
Chesterton, Orthodoxie. Chap. » Le roman de l’Orthodoxie » , p. 197-198
5 réflexions sur « Chesterton »
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A la fin : c’est le chapitre 8!!! Pas 3+ et tu as mis deux fois le titre Orthodoxie!!!
Une note de bas de page à propos du terme « Damn » :
To damn : damner, condamner, mais aussi maudire, comme dans l’interjection damn it! (« bon sang! »). Ou encore : I don’t give a damn (« Je m’en fiche pas mal »).