Le provincialisme réside dans l’incapacité (ou le refus) d’envisager sa culture dans le grand contexte. Il y a quelques années, un journal parisien fit une enquête auprès de trente personnalités appartenant à une sorte d’establishment intellectuel du moment, journalistes, historiens, sociologues, éditeurs et quelques écrivains. Chacun devait citer, par ordre d’importance, les dix livres les plus remarquables de toute l’histoire de France; de ces trente listes de dix livres fut ensuite tiré un palmarès de cent livres (…) et le résultat donne une image assez juste de ce qu’une élite intellectuelle française considère aujourd’hui comme important dans la littérature de son pays.De cette compétition, Les Misérables de Victor Hugo sont sortis vainqueurs. Un écrivain étranger sera surpris. N’ayant jamais considéré ce livre important pour lui ni pour l’histoire de la littérature, il comprendra que la littérature française qu’il adore n’est pas celle qu’on adore en France. En onzième place, les Mémoires de guerre de De Gaulle. Accorder au livre d’un homme d’Etat, d’un militaire, une telle valeur, cela pourrait difficilement arriver hors de France. Pourtant, ce n’est pas cela qui est déconcertant, mais le fait que les plus grands chefs-d’oeuvre n’arrivent qu’après. Rabelais n’est cité qu’en quatorzième place! (…) Et le XXème siècle? (…) Comme si l’immense influence de la France sur l’art moderne n’avait jamais eu lieu! (…) Plus étonnant encore: l’absence de Beckett et Ionesco. Combien de dramaturges du siècle dernier ont eu leur force? Un? Deux? Pas plus. (…) L’indifférence envers la valeur esthétique repousse fatalement toute la culture dans le provincialisme.
Milan Kundera, Le Rideau, P.55.
J’ajouterais ceci: le principal argument de ceux qui tiennent de Gaulle pour un écrivain réside dans le fait que ses Mémoires sont bien écrites. Considérer que la littérature est une simple question de technique qu’il s’agit de maîtriser ou de tradition littéraire dont il faut s’imprégner, c’est de l’égalitarisme. Un égalitarisme républicain, anti-soixante-huitard, old school, mais de l’égalitarisme tout de même, son côté pile, tandis que l’égalitarisme soixante-huitard est son côté face. Si on pouvait faire de la littérature en apprenant juste à faire des belles lettres, il y aurait eu quelques millions d’écrivains potentiels à l’époque du Général, et il y en aurait encore quelques centaines de milliers.
Or, il doit y en avoir cinq ou six.
(Ce billet n’est pas une réponse à celui de mon camarade Cherea. Il ne le contredit pas, il le complète.)
Je comprends ton raisonnement, mais avant de transgresser les codes de la littérature française, il faut la connaître parfaitement, à cet égard, je conseille la relecture de la préface de Guignol’s Band. De surcroît, le bac littéraire est une mauvaise appellation, il s’agit au mieux, pour les bacheliers d’aujourd’hui, d’une validation de la maîtrise des écriture,syntaxe et grammaire. À cet effet, le choix des Mémoires de De Gaulle est plutôt judicieux. Cette oeuvre ne dénote pas dans les textes précédemment étudiés.
« Or, il doit y en avoir cinq ou six. »
Lesquels?
Amicalement,
« . De surcroît, le bac littéraire est une mauvaise appellation, il s’agit au mieux, pour les bacheliers d’aujourd’hui, d’une validation de la maîtrise des écriture,syntaxe et grammaire »
Vu comme ça, d’accord. C’est même une bonne chose, que l’on s’en tienne à apprendre aux masses la maitrîse de l’écriture et de la syntaxe. Je ne vois pas l’intérêt d’enseigner la littérature ou la philosophie au plus grand nombre. C’est une perte de temps et d’argent.
Sans compter que lorsque l’on a le goût pour pour Ces choses là, on les arpente dans les silence d’une chambre, ou à la faveur de conversations. Si la mayonnaise n’a pas pris un jour parce que tout petit on a ét fasciné par une discussion volée, une quatrième de couverture ou pourquoi pas une émission de télévision où il était question de Proust ou de Nietzsche, si à aucun moment on est allé par soi-même vers eux, c’est qu’on est pas fait pour ça. Et si l’on est fait pour ça, on a pas besoin des services d’un pédagogue payé par l’état.
Ce qui me fait réagir, ce n’est pas qu’on fasse étudier les Mémoires au bacho, mais qu’on tienne pour de littérature ce qui appartient au registre des Belles Lettres.
« « Or, il doit y en avoir cinq ou six. »
Lesquels? »
Je ne sais pas. « Dantec hélas »,comme disait l’autre, Houellebecq, Jauffret, Yannick Haenel?…
Mais je sais qui n’en est pas: Duteurtre,par exemple.
Dans un domaine qui n’a pas strictement de rapport avec la littérature, il y a de bons fabricants de « produits à coloration littéraire », des artisans, comme Marc Lévy. Ce sont les Poncon du Terrail de l’époque, pas des artistes, mais des artisans, et c’est autrement plus noble que d’être un sous Marcel Proust.
Un artisan soigneux, c’est autrement plus respectable qu’un faux artiste. Et le premier n’empiète pas le champs de la littérature pour le souiller, lui.
« « Or, il doit y en avoir cinq ou six. »
Lesquels? »
(Haenel…- ça : non, vraiment, non, s’il est un esprit belles lettres il en est le parfait, donc le plus inepte représentant, avec sa prose sucrée aux pastels rosâtres bavant la niaiseries par toute son encre fade,cette esthétique de nursery pour enfants gâteux, ses mignardises gringalettes de porte-coton en escarpins, cette écriture délavée qui ne charrie ni ruts ni béances, rien que du sur mesure pour marché asiatique, Hermès thaïlandais Shalimar sauce Mao , bref, ces greffes du diabolique docteur Moreau-Sollers plantant des têtes de paon sur des corps de dindon, cette Haenelerie (que sa rime bien avec animalerie) me semble n’avoir pour soi que la charmante ingénuité avec laquelle l’homme prétend continuer Dante, Borges et Dieu le père.
Sinon au petit jeu de société bloguesque « lesquels 5, 6» (voir plus haut) je dirai -parce que j’aime jouer : Pierre Michon, Claude Louis Combet, Claude Simon. Le préfet Maritime du poétique, superbe erudissime et tout simplement mirifique Alamblog, nous vante Céline Minardet et Jean Duperray dont je n’ai rien lus. Espérons que le préfet ait autant de goût en contemporain qu’en ressuscités fin de siècle et exhumation post 1900. si quelques témoignages s’égarent en ces lieux à propos des deux vantés…
Ps J’ajoute in fine Renaud Camus, à cause d’un certain blogueur de gout (ah, ah! kolossale finesse) qui serait navré pour nous, pour ilys, pour l’écrivain et pour le monde qu’on oublie pareil auteur. Et parce que beaucoup de bons esprits pensent comme lui.
Oui, c’est vrai. Beckett et Ionesco oubliés… c’est par eux que je suis entrée dans le vrai amour de la littérature (pas celui, emprunté, qu’on se forge au collège, quand on est « l’intello » de service, pour séduire une professeure de français charismatique dont on espère – en pure perte – qu’elle vous emportera sous son aile hors de la meute). C’est là que j’ai compris que pour moi, « dire le réel » serait LE moyen dans un premier lieu qu’il ne me rejette pas comme un corps étranger (de Camus), puis, une fois aguerrie, d’en parcourir les villosités infinie au-delà du stade où les autres s’arrêtent, saisis de nausée (Sartrienne), tout en partageant avec des lecteurs le terrible poids d’une telle connaissance acquise, au lieu qu’il repose entièrement sur mes frêles épaules – comme c’est le cas de toute la foule malheureuse de ces gens « couronnés » qui ont hérité une vocation de héros du quotidien, mais qui en crèvent, au sens littéral, parce qu’ils ne disposent pas des appuis littéraires qui leur permettraient de se l’expliquer à eux-mêmes.
Bref… ceci est naturellement une bouteille jetée à la mer : elle a pour destinataire celui qui l’ouvre, c’est-à-dire en l’occurence qu’elle ne s’adresse pas à l’ensemble de ceux qui savent lire le Français, mais au nombre plus restreint (voire nul – c’est le destin de la plupart des bouteilles à la mer) de ceux qui en captent le message.
Je ne pense pas me tromper en avançant que Beckett et Ionesco étaient un peu dans ce même cas. A leur place je serais même plutôt flattée de n’être pas un prophète dans mon propre pays – avoir sa place dans les évangiles, je ne crois pas qu’il existe de distinction supérieure… D’ailleurs, cela replace, dans la foulée, la France dans son rôle originel de néo-Canaan (pour éviter d’employer un autre nom propre qui fâche) – cela notamment en vertu de ce que nos croisés, dit-on, s’emparèrent jadis de l’Arche d’Alliance et la confièrent à la Fille Aînée de l’Eglise, en un lieu tenu secret -, et les Français, donc, dans leur rôle historique de néo-peuple élu. Car – j’espère que vous avez suivi – c’est bien par excellence le fait d’un peuple élu, que d’enfanter des prophètes, et en ne les reconnaissant pas, de les offrir en cadeau au reste de l’humanité.
Tout est bien.
***
Cependant! Mince! Que vous a donc fait ce pauvre Victor Hugo? Le romancier, encore, je le laisse seul se débrouiller avec votre vindicte (A-t-il besoin de moi? C’est un si grand garçon! ^^), mais le poète au moins ! Le poète est incroyable…
Ecoutez-moi ça :
http://www.biblisem.net/meditat/hugopdln.htm
Toujours suite à notre conversation de dimanche dernier, j’ajouterai qu’il y a des gens encore plus atteints : ceux qui pensent que François Mitterrand était un écrivain.
Et merci à Restif, pour Camus…
Je te trouve un peu sévère avec Mitterand l’écrivain.
Il est l’auteur d’un excellent livre de jardinage, toujours au programme du concours d’entrée au service « entretien des espaces verts » de la ville de Dijon, quarante ans après sa sortie…
« La paille et le grain », que ça s’appelle.
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Paille_et_le_grain
De toute façon, Mitterand était forcément un grand lettré, « il faisait les bouquinistes », comme disent les abrutis en se pâmant d’aise.
Il avait « de l’epaisseur », pas comme ce beauf de Sarko qui occupe son temps en se plongeant dans des dossiers à la con, genre suppression de la taxe professionnelle ou réforme des retraites…. Et qui occupe ses vacances à décompresser, en faisant une croisière sur un bateau, comme tous les gens qui travaillent vraiment, qui ne prennent pas sur leurs heures de bureau pour aller faire les bouquinistes.
L’auteur d’un ouvrage sur le jardinage pour le concours d’entrée aux espaces verts de Dijon!^^
Merci pour le fou rire.(et la pertinente remarque au passage sur Sarko et les « vrais » dossiers) Tu es vraiment un couillon génial.^^
[Pas faux…. C’est vrai que je suis plutôt génial, comme gars…]
D’ailleurs, pour en revenir toujours à cette fameuse conversation de dimanche, (qui reprenait, c’est amusant, presque mot à mot les termes de Cherea et ceux…d’XP), je dois avouer, pour aller sur une autre problématique que celle soulevée par Cherea et XP ( de la finalité du bac littéraire) que les sujets du bac de français cette année sont tout de même éloquents : un texte d’Aragon et pour la dissertation le thème de la réécriture(??) : tout ceci demeure ancré très fortement à gauche toute! Les sujets de philo ont par contre évolués dans un sens plus classique si je puis dire (le bonheur, l’art et la vérité et même un texte de Saint Thomas d’Aquin! Qui peut bien entendu être interprété complètement de traviole mais c’est tout de même encourageant…)
Donc, il est vrai que de remettre au goût du jour De Gaulle et ses Mémoires eut été je pense une bonne chose aussi IDÉOLOGIQUEMENT parlant (parce que bien entendu, tout est question d’idéologie et pas de littérature ou d’art, il ne faut pas délirer! Il est question aussi, un peu, mais pas beaucoup, de syntaxe, de savoir bien écrire mais même cela, si peu…).
« [Pas faux…. C’est vrai que je suis plutôt génial, comme gars…] »
ça m’apprendra à ricaner aux dépends de l’élite!^^
Justement, XP, Sarkozy n’a pas réformé les retraites. Il maintient le système madoffien par répartition, sans même introduire de capitalisation, et relève de deux ans l’âge de départ, ce qui ne règle absolument rien.
Le vrai problème de Sarkozy, c’est qu’il n’est même pas un praticien. Du coup, on lui reproche son inculture.
Je suis d’accord pour dire que c’est hypocrite, mais si c’était un bon praticien, il pourrait s’appuyer sur ça.
Qu’est-ce qu’a Sarkozy a son actif depuis trois ans ?
Trois fois rien.
Juste quelques petits souvenirs, pêle-mêle, de ces années 80 où il était de bon ton d’encenser les qualités littéraires de Mitterrand:
-Dans Le Monde du 11 mai 1981 -le lendemain de son élection-, le lécheur de charentaises Bertrand Poirot-Delpech pondait un servile billet intitulé: «Un écrivain né». J’ai tenu ce numéro entre mes mains, il m’en est tombé. Ce jour-là, j’ai entrevu à quel point la courtisanerie pouvait s’étaler sans vergogne du moment qu’elle flattait le camp du Bien. Poirot fut élu en 1986 à l’Académie.
-En 1985, le groupe Jalons, dans un numéro parodique -d’une rare finesse- du journal de révérence repabtisé Le Monstre, avait concocté un billet caricatural signé… Bertrand Carotte-Navet. Drôle, mais j’avais préféré la trouvaille de je ne sais plus qui:
Bertrand Endive-Sardou.
-Le titre La Paille et le grain avait donné lieu à une contrepèterie simple mais rigolote.
-Chez Gibert Jeune, la Paille… était bradée 2,50 F en 1987.
J’ai une très bonne mémoire et j’ai toujours détesté Mitterrand.