Ayn Rand

Ces temps-ci, je m’efforce d’arrêter progressivement la cigarette.

Mon objectif est de descendre à six clopes par jour, comme Jean-Marie Le Pen et Maître Thierry Levy, du barreau de Paris. Il s’agit d’une espèce d’investissement à long terme, car si en principe,  je devrais  un jour économiser les neurones que la nicotine détruit, je confesse avoir pour l’instant du mal à déployer mon imagination et faire tourner cette belle mécanique qui me sert de cerveau.

Je vais pourtant me livrer devant vos yeux à un exercice qui entre tous nécessite de l’intelligence et de la profondeur (ainsi qu’une certaine mauvaise foi dont j’ai le secret et qui force le respect de tous),  puisque je vais vous entretenir avec pertinence d’Ayn Rand, un auteur dont je n’ai jamais lu une ligne.

Plus précisément, je vais dire ce qui m’a dissuadé de me pencher sur son œuvre et rentrer en commerce avec elle…. Cette dame, me dit-on, est une libérale qui non contente d’avoir défendu ces convictions-là par l’essai, leur a aussi consacré des romans. 

Or, Je pense de l’Art deux choses, à savoir d’une part qu’il a pour unique mission de montrer, et d’autre part qu’avant d’ambitionner de montrer, il faut faire le serment de ne pas démontrer. Jamais. Même à son insu, au débotté, entre les parenthèses ou le temps d’une introduction. Celui qui s’engage à montrer prononce des vœux et choisit la voie du sacerdoce, il fait un serment de passivité, renonce à trier ce qui défile devant ses yeux et ce dont il va parler. Pour le dire autrement, il doit renoncer à la liberté, à l’inverse de ce que racontent les escrocs littéromanes qui font l’éloge de l’écriture et du sentiment de liberté que leur procure cette activité à laquelle ils s’adonnent en toute illégitimité…. Puisqu’on en est à retourner les lieux communs pour les mettre sur leurs pieds, disons qu’on  ne crée pas des œuvres d’Art pour s’épanouir, mais on offre au contraire sa peau dans l’espoir de les voir naitre, et l’on consent ainsi à descendre et même à s’enfoncer jusqu’à ce que notre corps artistique soit au firmament. Toujours à l’inverse de ce que racontent les imbéciles, aucun artiste n’a jamais été plus fou que vous et moi, la folie n’a jamais été le terreau du génie, et c’est au contraire le génie qui engendre la folie, le plus souvent au détriment de l’œuvre. Il s’agit d’une course contre la montre perdue d’avance dont le but est de placer le point final avant que la démence ne vous rattrape et fasse tourner votre production à l’histrionisme, la caricature et la pause du cabot.. Le peintre ou l’écrivain ne doit pas seulement ambitionner de devenir fou, selon le mot de Dostoïevski, mais tenter de finir son œuvre avant d’avoir à se coiffer de son entonnoir.

Aucune frontière ne sépare l’écrivain à thèse de droite de son homologue de gauche, ils ont la même vision de l’art et la même conception du monde,le royaliste François Coppée a refait l’œuvre du Républicain mécréant Zola en croyant lui en opposer une, pareil à ce les Hussards se sont engagés dans une rivalité mimétique avec ce Sartre dont il s’imaginait prendre le contre-pied, et c’est bien pour ça qu’il reste trois fois rien de Roger Nimier cinquante ans après sa mort ou que la postérité a fait une croix sur Déon alors même que ses obsèques n’ont pas encore été annoncées dans le carnet du Figaro.

Le romancier à thèse libéral me semble encore davantage se vautrer dans l’oxymore, un peu peu comme un gouvernement qui  nationaliserait massivement l’économie pour instaurer le libéralisme économique, en plaçant aux secteurs clefs des adeptes d’Hayek sans états d’âme.

Le libéral est en principe animé d’une conviction cardinale, à savoir que le commerce entre les hommes est une affaire de chair et de sang, qu’il s’agit par conséquence d’une chose infiniment irrationnel et complexe, qu’il serait vain de vouloir la faire passer sous les fourches caudines d’un plan quinquennal. Il a foi dans la force infinie de l’Homme, il sait qu’il finira par s’extraire de tous les pièges et que des richesses incommensurables finiront toujours par jaillir de ses mains, mais il le sait aussi trop faible pour assigner une place au succès et déterminer quand, comment et de quelle manière il va se présenter devant lui…. En faisant confiance au marché, ce n’est pas à une conviction économique qu’il s’adosse mais à une conviction métaphysique et spirituelle.

Or, s’il pense du succès qu’il surgira comme Dieu le veut et quand Dieu le veut, qu’il doit s’aider pour que le ciel l’aide sans jamais chercher à percer son mystère, il porte alors le même regard sur de ce qui donne un sens à une vie ou une Œuvre.

Les antilibéraux font grief à la société libérale d’être vide de sens, de ne proposer comme seul horizon que la consommation. En vérité, ils lui reprochent de ne pas assigner une place au sens, de leur laisser la responsabilité de chercher en hommes libres et donc en chrétiens l’endroit où le Sens a choisit de se nicher, d’exercer leurs sensibilités et d’avoir avec lui un rapport véritable. Pour le dire  prosaïquement,  la société de consommation ne vous indique pas où se trouve la poésie pour que vous puissiez aller vers elle sans faire l’effort de vous diriger en poète, mais elle vous laisse le soin de la voir où elle se trouve et où elle est censée ne pas être, dans un petit matin blafard d’après cuite plutôt que devant un coucher de soleil (*), dans la beauté de la boite à biscuit de notre enfance davantage que dans une biennale. 

En dernière analyse, ceux qui reprochent à cette société de consommation qui n’assigne aucune place au sens d’être vide de sens sont des matérialistes, et de la pire espèce qui plus est.

Pour les mêmes raisons, bien-sûr, on ne peut pas donner le moindre sens à une œuvre d’art en le déterminant soi-même,  et si l’on commet ce péché de l’esprit pour convaincre par le roman des bienfaits du libéralisme, on ne se contente sans doute pas de ne rien comprendre à l’art romanesque, mais on fait montre aussi son peu d’appétence pour ce qui constitue l’essence du libéralisme… Pareil à celui qui se voudrait artiste et préférerait faire des recensions de livres plutôt que de raconter la magie d’un petit matin dans une rue sale et le bonheur du mac-do trouvé dans une poubelle qui éponge le vin de la nuit(*).

(*) allusion au superbe texte de Lounès que j’avais à l’esprit en me livrant à ces quelques méditations… j’avais aussi en mémoire quelques cuistres qui pensent avoir une proximité avec la littérature au prétexte qu’ils publient des fiches de lectures rédigés le petit doigt en l’air pour dire combien Kafka ou Chateaubriand leur apporte du bohneuuur et combien c’est merveilleux de liiire, mais je ne citerais pas de nom. Ce serait  méchant, et ce n’est pas dans ma nature.

13 réflexions sur « Ayn Rand »

  1. la crevette

    Je pense qu’il y a dans le cas d’Ayn Rand, une « récupération » de la part de libéraux, je pense qu’elle-même était vraiment écrivain, romancière et qu’elle n’a pas du tout pensé avant d’écrire ses romans : « Je vais exposer mes thèses libérales ». Non. Elle avait quelque chose à dire, et le roman s’est trouvé être la façon la plus adaptée pour elle. Il se trouve qu’elle était libérale, profondément, viscéralement (fuite de la Russie communiste plus jeune entre autres choses) et donc elle a « vidé son sac » d’un coup, dans ses romans.

    Je crois que la récupération n’a pas été de son fait à elle, elle est vraiment romancière au sens plein du terme. Elle est le fait de libéraux. D’ailleurs elle a été très peu comprise et « jartée » de tous ces groupes libéraux, tout au long de sa vie. C’est comme la « récupération » Muray, c’est du même type.Tout le monde croit posséder son Muray, sa vérité mais ces écrivains sont déjà ailleurs quand on arrive…

    La difficulté est de constater que la vision, n’importe laquelle vision d’un écrivain aujourd’hui est imprégnée de l’atmosphère de son époque et donc gauchisante d’office. Hors,un écrivain, s’il baigne dans son époque et s’il est capable d’en rendre compte avec ses mots et ses couleurs, est aussi normalement capable de voir autre chose, différemment : c’est là que je coince moi : pourquoi personne ne voit par exemple dans un banquier ou un entrepreneur un mec bien? Pourquoi, en gros, même les écrivains (les bons) tombent dans le piège de leur époque?

  2. XP Auteur de l’article

    @La crevette

    Je suis persuadé que c’est, non pas une grande romancière mais une très grande romancière. Je voulais parler le la Ayn Rand dont on nous parle, pas de la vraie.
    Et comme je l’ai dit, je suis d’une mauvaise foi parfaitemnt assumée.

    Je conseille vivement à tout le monde de la lire toutes affaires cessantes (j’y pense, il faudra un jour que je me décide à lire les livres que je conseille, et à voir les films dont je dis du bien, sinon, ça va finir par se voir).

  3. la crevette

    Ah, c’était de la provocation… Mais c’est que j’ai failli sortir de mes gonds moi… J’ai failli jurer…j’ai failli casser une assiette…
    Tu veux me faire louper ma mayonnaise ou ma béchamel?!^^ C’est cela? Le crime parfait.
    Tout ça parce que toi-même t’as jamais réussi à cuisiner le moindre œuf au plat… La jalousie est un très vilain défaut.

  4. Maverick

    Houellebecq fait aussi pas mal de théorie, et le reconnaît lui-même, ça n’enlève il me semble rien à la valeur de ses romans (puisqu’il dit se reconnaître dans la conception de Novalis d’un roman qui englobe tous les aspects de la vie, hors la vie c’est aussi un tropisme d’essayiste à la petite semaine).

  5. XP Auteur de l’article

    Oui, Houellebecq parle souvent de ça… Proust à aussi cette volonté d’écrire un roman complet, ou l’on passe de l’affaire Dreyffus au portrait de sa grand-mère…

    Mais il s’agit à mon avis de mettre le concept au service du roman, et non l’inverse… D’en faire une couleur de plus sur la palette.

    Mettre ses idées au service de sa plume,et non sa plume au service de ces idées, d’une cause….

  6. Bob Arctor

    CSP parle de XP et de Jérome Leroy dans un récent article

    http://comite-de-salut-public.blogspot.com/2010/05/lhomme-qui-sombre.html

    Il me semble que le bougre n’a pas encore compris que la chasse au cocos, ça ne passionne personne en France, mais que pour avoir dénoncer la vie de pillard d’un Mahomet, on peut se traîner au cul quelques millions de fadas à travers toute la planète, prêts à vous trouer pour avoir simplement rappeler, et sans emphase apologétique, la vérité hagiographique de leur propre corpus traditionnel.

    Dire que Mahomet a été un pillard, que les textes musulmans orthodoxes donne en exemple à suivre pour tous les fidèles de l’islam un chef de tribu qui rançonnent, tue et pille des caravanes, dire cela constitue désormais un trouble certain contre le vivre-ensemble des petits non-dits, des hypocrisie feintes. Dire la Vérité, un truc dangereux en substance…

    Rappeler que le communisme est meurtrier, au mieux cela fait rire, au pire cela vous fait passer pour un droitard grincheux qui agitent une figure paradigmatique de bolocho le coutelas entre les chicos.

    Rien de nouveau sous le soleil de Satan.

    1. XP Auteur de l’article

      Merci pour l’info.

      Amusant que notre ami trotsko s’imagine que je « flippe » au prétexte que je renvoie ces connards dans les cordes, et que j’applique la méthode « pour une dent, toute la gueule ».
      Un certain nombre de blogueurs qui trainent par ici me connaissent et ils pourraient lui confirmer que non seulement je ne flippe pas, mais que je suis très satisfait de tenir la tête de ces gens dans le lavabo.

  7. Mr_Zlu

    Une lecture très rafraîchissante, surtout après des logorrhées marxistes/gauchistes de mes collègues de travail sur le capitalisme, la libre-concurrence qui est cause de tous les maux de ce monde, la nécessité d’augmenter les aides pour les pauvres etc…

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