Kerouac avant Houellebecq (2)

Assis les jambes croisées, dans le sable mou, j’entendis ce calme effroyable au cœur de la vie mais je me sentis étrangement déprimé, comme si j’avais une prémonition du lendemain. Quand je retournai à la mer l’après-midi et inspirai soudain à fond, comme un yogi, pour que tout ce bon air marin pénètre en moi, je dus prendre une trop forte dose d’iode, ou de germes mauvais (peut-être les cavernes, peut-être les cités d’algues ?), car mon cœur se mit à battre soudain. Je croyais que j’allais avoir les vibrations locales, et au lieu de cela me voilà qui défaille presque ; mais il ne s’agit pas d’un évanouissement extatique à la saint François ; je suis submergé par l’horreur de ma condition éternelle de malade et de mort en puissance – valable pour moi et tous les autres. Je me sens complètement dépouillé de tous ces mauvais moyens de protection qui sont les réflexions sur la vie ou les méditations auxquelles on se livre à l’ombre des arbres ; dépouille de l’ « ultime » et de tout ce fatras et des pitoyables moyens de protection comme, simplement, le fait de préparer le souper et de se dire : « Que fais-je ensuite ? Je casse du bois ? », je me vois condamné, pitoyable. Je m’aperçois, avec horreur, que je me suis abusé toute ma vie en me disant qu’il y avait autre chose à faire pour que la parade continue. En fait, je ne suis qu’un clown malade d’écœurement, comme tout le monde. Parfaitement ; aussi pitoyable que ce soit ; pas même le moindre effort sensé et vivant pour soulager l’âme de cette condition sinistre et horrible (de désespoir mortel), et je reste là, assis dans le sable après m’être presque évanoui et je regarde fixement les vagues qui soudain ne sont plus des vagues, avec des yeux que j’imagine les plus stupides et les plus malheureux que Dieu, s’Il existe, ait jamais vus au cours de sa carrière cinématographique. Eh, vache, je déteste écrire. Toutes mes ruses mises à nu et même la conscience qu’elles étaient dévoilées m’apparaissent comme autant de mensonges. La mer a l’air de me crier : « VA VERS TON DESIR NE RESTE PAS ICI. »

Jack Kerouac – Big Sur ; Folio, p. 61 – 62

Le but de la fête est de nous faire oublier que nous sommes solitaires, misérables et promis à la mort. Autrement dit, de nous transformer en animaux. C’est pourquoi le primitif a un sens de la fête très développé. Une bonne flambée de plantes hallucinogènes, trois tambourins, et le tour est joué: un rien l’amuse. A l’opposé, l’Occidental moyen n’aboutit à une extase insuffisante qu’à l’issue de raves interminables dont il ressort sourd et drogué : il n’a pas du tout le sens de la fête. Profondément conscient de lui-même, radicalement étranger aux autres, terrorisé par l’idée de la mort, il est bien incapable d’accéder à une quelconque fusion. Cependant, il s’obstine. La perte de sa condition animale l’attriste, il en conçoit honte et dépit; il aimerait être un fêtard, ou du moins passer pour tel. Il est dans une sale situation.

Michel Houllebecq – La fête via Djayvi

10 réflexions sur « Kerouac avant Houellebecq (2) »

  1. Irena Adler

    Folle gaîté sur les bords de Marne :
    http://feebourbonnaise.files.wordpress.com/2009/10/moulin-de-la-galette.jpg

    Scène de bal mémorable :
    http://alaintruong.canalblog.com/albums/hommage_a_luchino_visconti/m-visconti56.jpg

    « M’accorderez-vous la prochaine danse? » !
    http://rhapody2000.free.fr/nc0/images/wallpapers/wallpaper_3067_autant_en_emporte_le_vent_%5B1939%5D__-02.jpg

    Jour de fête! :
    http://www.bifi.fr/upload/bibliotheque/Image/espace%20patrimonial/ARTICLES/2006/Affiches-cinema/jour%20de%20fete.jpg

    « Après cette fête où tout était charmant, mais fiévreux et fou, où lui-même avait si follement poursuivi le grand pierrot, Meaulnes se trouvait là plongé dans le bonheur le plus calme du monde. »
    http://1.bp.blogspot.com/_ZOTNU7fWM_Y/S78sMie9CpI/AAAAAAAAB74/DR4VHty49ew/s1600/legrandmeaulnes.jpg

    Première partie, chapitres XIII et XIV : « La fête étrange » :
    —>>> http://www.etudes-litteraires.com/grand-meaulnes.php

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